Les Charbonnel se risquèrent à échanger leurs impressions à voix basse, tandis que madame Correur étouffait une légère toux dans son mouchoir. Madame Bouchard remonta discrètement au fond de la tribune du Conseil d’État, auprès de M. Jules d’Escorailles.

En effet, le rapporteur changeant brusquement de voix, descendant du ton solennel au ton familier, bredouilla rapidement :

― « Nous vous proposons, messieurs, l’adoption pure et simple du projet de loi tel qu’il a été présenté par le Conseil d’État. »

Et il s’assit, au milieu d’une grande rumeur.

― Très-bien ! très-bien ! criait toute la salle.

Des bravos éclatèrent. M. de Combelot, dont l’attention souriante ne s’était pas démentie une minute, lança même un : Vive l’empereur ! qui se perdit dans le bruit. Et l’on fit presque une ovation au colonel Jobelin, debout au bord de la tribune où il était seul, s’oubliant à applaudir de ses mains sèches, malgré le règlement. Toute l’extase des premières phrases reparaissait avec un débordement nouveau de congratulations. C’était la fin de la corvée. D’un banc à un autre, on échangeait des mots aimables, pendant qu’un flot d’amis se précipitaient vers le rapporteur, pour lui serrer énergiquement les deux mains.

Puis, dans le brouhaha, un mot domina bientôt.

― La délibération ! la délibération !

Le président, debout au bureau, semblait attendre ce cri. Il donna un coup de sonnette, et dans la salle subitement respectueuse, il dit :

― Messieurs, un grand nombre de membres demandent qu’on passe immédiatement à la délibération.

― Oui, oui, appuya d’une seule clameur la Chambre entière.

Et il n’y eut pas de délibération. On vota tout de suite. Les deux articles du projet de loi, successivement mis aux voix, furent adoptés par assis et levé. A peine le président achevait-il la lecture de l’article, que, du haut en bas des gradins, tous les députés se levaient d’un bloc, avec un grand remuement de pieds, comme soulevés par un élan d’enthousiasme. Puis, les urnes circulèrent, des huissiers passèrent entre les bancs, recueillant les votes dans les boîtes de zinc. Le crédit de quatre cent mille francs était accordé à l’unanimité de deux cent trente-neuf voix.

― Voilà de la bonne besogne, dit naïvement M. Béjuin, qui se mit à rire ensuite, croyant avoir lâché un mot spirituel.

― Il est trois heures passées, moi je file, murmura M. La Rouquette, en passant devant M. Kahn.

La salle se vidait. Des députés, doucement, gagnaient les portes, semblaient disparaître dans les murs. L’ordre du jour appelait des lois d’intérêt local. Bientôt, il n’y eut plus, sur les bancs, que les membres de bonne volonté, ceux qui n’avaient sans doute ce jour-là aucune affaire au-dehors ; ils continuèrent leur somme interrompu, ils reprirent leur causerie au point où ils l’avaient laissée ; et la séance s’acheva, ainsi qu’elle avait commencé, au milieu d’une tranquille indifférence. Même le brouhaha tombait peu à peu, comme si le Corps législatif se fût complètement endormi, dans un coin de Paris muet.

― Dites donc, Béjuin, demanda M. Kahn, tâchez à la sortie de faire causer Delestang. Il est venu avec Rougon, il doit savoir quelque chose.

― Tiens ! vous avez raison, c’est Delestang, murmura M. Béjuin, en regardant le conseiller d’État assis à la gauche de Rougon. Je ne les reconnais jamais, avec ces diables d’uniformes.

― Moi, je ne m’en vais pas, pour pincer notre grand homme, ajouta M. Kahn. Il faut que nous sachions.

Le président mettait aux voix un défilé interminable de projets de loi, que l’on votait par assis et levé. Les députés, machinalement, se levaient, se rasseyaient, sans cesser de causer, sans même cesser de dormir. L’ennui devenait tel, que les quelques curieux des tribunes s’en allèrent.