pécairé fermati. Souni là. Vedrem !... s’écria la vieille Asie avec ces intonations illinoises particulières aux marchandes des rues qui dénaturent si bien leurs paroles qu’elles deviennent des onomatopées compréhensibles seulement pour les Parisiens.

Dans le brouhaha de la rue et au milieu des cris de tous les cochers survenus, personne ne pouvait faire attention à ce cri sauvage qui semblait être celui de la marchande. Mais cette clameur, distincte pour Jacques Collin, lui jetait à l’oreille dans un patois de convention mêlé d’italien et de provençal corrompus, cette phrase terrible : — Ton pauvre petit est pris ; mais je suis là pour veiller sur vous. Tu vas me revoir...

Au milieu de la joie infinie que lui causait son triomphe sur la Justice, car il espérait pouvoir entretenir des communications au dehors, Jacques Collin fut atteint par une réaction qui eût tué tout autre que lui.

— Lucien arrêté !... se dit-il. Et il faillit s’évanouir. Cette nouvelle était plus affreuse pour lui que le rejet de son pourvoi s’il eût été condamné à mort.

Maintenant, que les deux paniers à salade roulent sur les quais, l’intérêt de cette histoire exige quelques mots sur la Conciergerie pendant le temps qu’ils mettront à y venir. La Conciergerie, nom historique, mot terrible, chose plus terrible encore, est mêlée aux révolutions de la France, et à celles de Paris surtout. Elle a vu la plupart des grands criminels. Si de tous les monuments de Paris c’est le plus intéressant, c’en est aussi le moins connu... des gens qui appartiennent aux classes supérieures de la société ; mais, malgré l’immense intérêt de cette digression historique, elle sera tout aussi rapide que la course des paniers à salade.

Quel est le Parisien, l’étranger ou le provincial, pour peu qu’ils soient restés deux jours à Paris, qui n’ait remarqué les murailles noires flanquées de trois grosses tours à poivrières, dont deux sont presque accouplées, ornement sombre et mystérieux du quai dit des Lunettes. Ce quai commence au bas du pont au Change et s’étend jusqu’au Pont-Neuf. Une tour carrée, dite la tour de l’Horloge, où fut donné le signal de la Saint-Barthélemy, tour presque aussi élevée que celle de Saint-Jacques-la-Boucherie, indique le Palais et forme le coin de ce quai. Ces quatre tours, ces murailles sont revêtues de ce suaire noirâtre que prennent à Paris toutes les façades à l’exposition du Nord. Vers le milieu du quai, à une arcade déserte, commencent les constructions privées que l’établissement du Pont-Neuf détermina sous le règne de Henri IV. La place Royale fut la réplique de la place Dauphine. C’est le même système d’architecture, de la brique encadrée par des chaînes en pierre de taille. Cette arcade et la rue de Harlay indiquent les limites du Palais à l’ouest. Autrefois la Préfecture de police, hôtel des premiers présidents au Parlement, dépendait du Palais. La cour des Comptes et la cour des Aides y complétaient la justice suprême, celle du souverain. On voit qu’avant la Révolution, le Palais jouissait de cet isolement qu’on cherche à créer aujourd’hui.

Ce carré, cette île de maisons et de monuments, où se trouve la Sainte-Chapelle, le plus magnifique joyau de l’écrin de saint Louis, cet espace est le sanctuaire de Paris ; c’en est la place sacrée, l’arche sainte. Et d’abord, cet espace fut la première cité tout entière, car l’emplacement de la place Dauphine était une prairie dépendante du domaine royal où se trouvait un moulin à frapper les monnaies. De là le nom de rue de la Monnaie, donné à celle qui mène au Pont-Neuf. De là aussi le nom d’une des trois tours rondes, la seconde, qui s’appelle la tour d’Argent, et qui semblerait prouver qu’on y a primitivement battu monnaie. Le fameux moulin, qui se voit dans les anciens plans de Paris, serait vraisemblablement postérieur au temps où l’on frappait la monnaie dans le palais même, et dû sans doute à un perfectionnement dans l’art monétaire. La première tour, presque accolée à la tour d’Argent, se nomme la tour de Montgommery. La troisième, la plus petite, mais la mieux conservée des trois, car elle a gardé ses créneaux, a nom la tour Bonbec. La Sainte-Chapelle et ces quatre tours (en comprenant la tour de l’Horloge) déterminent parfaitement l’enceinte, le périmètre, dirait un employé du Cadastre, du palais, depuis les Mérovingiens jusqu’à la première maison de Valois ; mais, pour nous, et par suite de ses transformations, ce palais représente plus spécialement l’époque de saint Louis.

Charles V, le premier, abandonna le Palais au Parlement, institution nouvellement créée, et alla, sous la protection de la Bastille, habiter le fameux hôtel Saint-Pol, auquel on adossa plus tard le palais des Tournelles.