Splendeurs et misères des courtisanes

Splendeurs et misères des courtisanes
Honoré de Balzac
Publication: 1847
Catégorie(s): Fiction, Roman
Source: http://fr.wikisource.org
A Propos Balzac:
Honoré de Balzac (May 20, 1799 – August 18, 1850), born Honoré
Balzac, was a nineteenth-century French novelist and playwright.
His work, much of which is a sequence (or Roman-fleuve) of almost
100 novels and plays collectively entitled La Comédie humaine, is a
broad, often satirical panorama of French society, particularly the
petite bourgeoisie, in the years after the fall of Napoléon
Bonaparte in 1815—namely the period of the Restoration (1815–1830)
and the July Monarchy (1830–1848). Along with Gustave Flaubert
(whose work he influenced), Balzac is generally regarded as a
founding father of realism in European literature. Balzac's novels,
most of which are farcical comedies, feature a large cast of
well-defined characters, and descriptions in exquisite detail of
the scene of action. He also presented particular characters in
different novels repeatedly, sometimes as main protagonists and
sometimes in the background, in order to create the effect of a
consistent 'real' world across his novelistic output. He is the
pioneer of this style. Source: Wikipedia
Disponible sur Feedbooks Balzac:
Le
Père Goriot (1834)
La
Peau de chagrin (1831)
Eugénie
Grandet (1833)
La
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Le
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Le
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Le
Colonel Chabert (1832)
La
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L’Enfant
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La
Recherche de l’Absolu (1834)
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Partie 1
Comment aiment les filles
Une vue du bal de l'Opéra
En 1824, au dernier bal de l'Opéra, plusieurs masques furent
frappés de la beauté d'un jeune homme qui se promenait dans les
corridors et dans le foyer, avec l'allure des gens en quête d'une
femme retenue au logis par des circonstances imprévues. Le secret
de cette démarche, tour à tour indolente et pressée, n'est connu
que des vieilles femmes et de quelques flâneurs émérites. Dans cet
immense rendez-vous, la foule observe peu la foule, les intérêts
sont passionnés, le Désœuvrement lui-même est préoccupé. Le jeune
dandy était si bien absorbé par son inquiète recherche qu'il ne
s'apercevait pas de son succès: les exclamations railleusement
admiratives de masques, les étonnements sérieux, les mordants
lazzis, les plus douces paroles, il ne les entendait pas, il ne les
voyait point. Quoique sa beauté le classât parmi ces personnages
exceptionnels qui viennent au bal de l'Opéra pour y avoir une
aventure, et qui l'attendent comme on attendait un coup heureux à
la Roulette quand Frascati vivait, il paraissait bourgeoisement sûr
de sa soirée; il devait être le héros d'un de ces mystères à trois
personnages qui composent tout le bal masqué de l'Opéra, et connus
seulement de ceux qui y jouent leur rôle; car, pour les jeunes
femmes qui viennent afin de pouvoir dire: J'ai vu; pour les gens de
province, pour les jeunes gens inexpérimentés, pour les étrangers,
l'Opéra doit être alors le palais de la fatigue et de l'ennui. Pour
eux, cette foule noire, lente et pressée, qui va, vient, serpente,
tourne, retourne, monte, descend, et qui ne peut être comparée qu'à
des fourmis sur leur tas de bois, n'est pas plus compréhensible que
la Bourse pour un paysan bas-breton qui ignore l'existence du
Grand-Livre. A de rares exceptions près, à Paris, les hommes ne se
masquent point: un homme en domino paraît ridicule. En ceci le
génie de la nation éclate. Les gens qui veulent cacher leur bonheur
peuvent aller au bal de l'Opéra sans y venir, et les masques
absolument forcés d'y entrer en sortent aussitôt. Un spectacle des
plus amusants est l'encombrement que produit à la porte, dès
l'ouverture du bal, le flot des gens qui s'échappent aux prises
avec ceux qui y montent. Donc, les hommes masqués sont des maris
jaloux qui viennent espionner leurs femmes, ou des maris en bonne
fortune qui ne veulent pas être espionnés par elles, deux
situations également moquables. Or, le jeune homme était suivi,
sans qu'il le sût, par un masque assassin, gros et court, roulant
sur lui-même comme un tonneau. Pour tout habitué de l'Opéra, ce
domino trahissait un administrateur, un agent de change, un
banquier, un notaire, un bourgeois quelconque en soupçon de son
infidèle. En effet, dans la très haute société, personne ne court
après d'humiliants témoignages. Déjà plusieurs masques s'étaient
montré en riant ce monstrueux personnage, d'autres l'avaient
apostrophé, quelques jeunes s'étaient moqués de lui, sa carrure et
son maintien annonçaient un dédain marqué pour ces traits sans
portée; il allait où le menait le jeune homme, comme va un sanglier
poursuivi qui ne se soucie ni des balles qui sifflent à ses
oreilles, ni des chiens qui aboient après lui. Quoique au premier
abord le plaisir et l'inquiétude aient pris la même livrée,
l'illustre robe noire vénitienne, et que tout soit confus au bal de
l'Opéra, les différents cercles dont se compose la société
parisienne se retrouvent, se reconnaissent et s'observent. Il y a
des notions si précises pour quelques initiés, que ce grimoire
d'intérêts est lisible comme un roman qui serait amusant. Pour les
habitués, cet homme ne pouvait donc pas être en bonne fortune, il
eût infailliblement porté quelque marque convenue, rouge, blanche
ou verte, qui signale les bonheurs apprêtés de longue main.
S'agissait-il d'une vengeance? En voyant le masque suivant de si
près un homme en bonne fortune, quelques désœuvrés revenaient au
beau visage sur lequel le plaisir avait mis sa divine auréole. Le
jeune homme intéressait: plus il allait, plus il réveillait de
curiosités. Tout en lui signalait d'ailleurs les habitudes d'une
vie élégante. Suivant une loi fatale de notre époque, il existe peu
de différence, soit physique, soit morale, entre le plus distingué,
le mieux élevé des fils d'un duc et pair, et ce charmant garçon que
naguère la misère étreignait de ses mains de fer au milieu de
Paris. La beauté, la jeunesse pouvaient masquer chez lui de
profonds abîmes, comme chez beaucoup de jeunes gens qui veulent
jouer un rôle à Paris sans posséder le capital nécessaire à leurs
prétentions, et qui chaque jour risquent le tout pour le tout en
sacrifiant au dieu le plus courtisé dans cette cité royale, le
Hasard. Néanmoins, sa mise, ses manières étaient irréprochables, il
foulait le parquet classique du foyer en habitué de l'Opéra. Qui
n'a pas remarqué que là, comme dans toutes les zones de Paris, il
est une façon d'être qui révèle ce que vous êtes, ce que vous
faites, d'où vous venez, et ce que vous voulez?
- Le beau jeune homme! ici l'on peut se retourner pour le voir,
dit un masque en qui les habitués du bal reconnaissaient une femme
comme il faut.
- Vous ne vous le rappelez pas? lui répondit l'homme qui lui
donnait le bras, madame du Châtelet vous l'a cependant
présenté…
- Quoi! c'est ce fils d'apothicaire de qui elle s'était
amourachée, qui s'est fait journaliste, l'amant de mademoiselle
Coralie?
- Je le croyais tombé trop bas pour jamais pouvoir se remonter,
et je ne comprends pas comment il peut reparaître dans le monde de
Paris, dit le comte Sixte du Châtelet.
- Il a un air de prince, dit le masque, et ce n'est pas cette
actrice avec laquelle il vivait qui le lui aura donné; ma cousine,
qui l'avait deviné, n'a pas su le débarbouiller; je voudrais bien
connaître la maîtresse de ce Sargines, dites-moi quelque chose de
sa vie qui puisse me permettre de l'intriguer.
Ce couple qui suivait ce jeune homme en chuchotant fut alors
particulièrement observé par le masque aux épaules carrées.
- Cher monsieur Chardon, dit le préfet de la Charente en prenant
le dandy par le bras, laissez-moi vous présenter une personne qui
veut renouer connaissance avec vous…
- Cher comte Châtelet, répondit le jeune homme, cette personne
m'a appris combien était ridicule le nom que vous me donnez. Une
Ordonnance du Roi m'a rendu celui de mes ancêtres maternels, les
Rubempré.
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