Et qu’il soit ligoté de façon à ne pouvoir s’enfuir. »

Ateja se précipita vers son père et se jeta à ses pieds.

« Ne le tuez pas ! cria-t-elle en sanglotant. Ce n’est pas lui, j’en suis sûre ! Jamais Zeyd n’aurait commis ce crime !

– Que fais-tu ici, jeune fille ? dit le cheik avec sévérité. Ce n’est pas ta place. Retourne auprès de ta mère ! »

On traîna Zeyd jusqu’à sa tente, où il fut lié étroitement. Puis les anciens de la tribu rejoignirent le cheik pour tenir conseil tandis que, blottie dans un coin de la tente, Ateja écoutait avec fièvre : bientôt elle entendit la sentence :

« À l’aube, il sera exécuté ! »

*

* *

Sous ses couvertures, Fahd souriait férocement, satisfait du résultat de son plan. Zeyd, lui, essayait de se libérer de ses liens car, bien qu’innocent, il n’avait pas le moindre doute quant au sort qui lui serait réservé. Pendant ce temps, Ateja, retenant ses larmes, attendait avec impatience le moment où le souffle régulier d’Ibn Jad et de Hirfa, sa femme, l’avertirait qu’ils dormaient paisiblement tous deux.

Alors, lentement, Ateja rampa de l’autre côté de la tente. Elle s’empara du fusil de Zeyd qui y avait été oublié, d’une couverture et de quelques provisions, puis elle sortit silencieusement et se dirigea vers la tente du jeune homme.

Un long moment, elle resta immobile, épiant le moindre bruit suspect, puis, rassurée, elle pénétra à l’intérieur.

Zeyd luttait toujours désespérément contre ses liens. Il entendit la jeune fille.

« Qui est là ? fit-il d’une voix angoissée, croyant déjà sa dernière venue.

– Chut ! murmura la jeune fille. C’est moi, Ateja ! »

Et elle s’approcha du malheureux.

« Ma bien-aimée ! » balbutia Zeyd.

Rapidement, Ateja trancha les courroies qui enserraient les poignets et les chevilles du jeune homme.

« Je t’ai apporté ton arme et de la nourriture, dit-elle à voix basse. C’est tout ce que je puis te donner avec la liberté. Le reste, toi seul pourras l’accomplir. Ta jument est entravée à la place habituelle. De grands dangers te menacent dans la jungle que tu devras traverser, mais, nuit et jour, Ateja priera Allah de te garder sain et sauf. Maintenant, hâte-toi, mon bien-aimé ! »

Zeyd attira la jeune fille sur sa poitrine, l’étreignit tendrement, puis il disparut dans la nuit.

CHAPITRE IX

MESSIRE RICHARD

Le tunnel dans lequel Blake s’était engagé, toujours aiguillonné par la lance de son gardien, montait, descendait, puis remontait encore. Le chemin était interminable, et Blake, exténué, se serait laissé choir à terre à plusieurs reprises, si l’implacable lance ne l’avait rappelé à l’ordre.

Mais tout a une fin, et une petite lueur, au loin, avertit Blake qu’ils approchaient de l’autre extrémité du passage. Lorsque enfin il se retrouva au-dehors, il cligna d’abord des yeux, ébloui par le jour, puis il jeta un regard autour de lui.

Il se trouvait à l’entrée d’une vaste vallée verdoyante, où des ruisseaux coulaient joyeusement, descendant de la haute montagne dans laquelle était foré le tunnel. Mais ce n’est pas sur ce spectacle que le regard de Blake s’était arrêté. Il fixait avec ahurissement un mur crénelé qui se dressait à sa gauche, terminé de chaque côté par deux grosses tours percées de meurtrières. Au milieu, une large porte était pratiquée, défendue par une herse, derrière laquelle deux noirs montaient la garde.

« Holà, gardiens ! cria Paul. Ça, qu’on m’ouvre la porte, j’amène un prisonnier ! »

Lentement, la herse se leva, et les deux hommes franchirent le mur d’enceinte. Du corps de garde, plusieurs soldats, vêtus exactement comme Paul, sortirent curieusement la tête pour regarder le prisonnier. Dans la vaste cour, quelques valets étaient occupés à harnacher de lourds chevaux qui, sous leurs housses brodées d’or, rappelèrent à Blake les destriers du moyen âge.

D’ailleurs tout ce qui l’entourait semblait se rattacher directement à ces époques révolues, depuis le langage des hommes d’arme jusqu’à leur costume et à l’architecture de la demeure dans laquelle on venait de le faire entrer. Tous les détails avaient une valeur évocatrice si hallucinante que Blake s’interdit momentanément de chercher la réalité dans cette fantasmagorie, de crainte d’y perdre la raison.

Soudain, la porte du principal corps de bâtiment s’ouvrit, livrant passage à un jeune homme de haute stature, portant un haubert de fines mailles d’acier et un suroît de laine pourpre. Il n’était armé que d’une lourde épée à deux tranchants et d’un poignard mais, derrière lui, un jeune page portait sa lance, ses gants de mailles d’acier et un bouclier sur lequel s’étalait la croix.

« Par le Saint Sang ! s’exclama le jeune homme en apercevant Blake. Qui es-tu et que fais-tu ici ?

– C’est un prisonnier, messire Richard ! s’empressa de répondre Paul, avec déférence.

– Quelque Sarrasin, assurément ! reprit le jeune seigneur.

– Pardonnez ma hardiesse, messire, dit Paul, mais je ne le pense pas.

– Et pourquoi donc ?

– Je l’ai vu, de mes yeux, s’incliner devant l’image du Seigneur.

– Qu’il approche ! »

Paul piqua légèrement Blake avec sa lance pour le faire avancer, mais celui-ci ne sentit même pas la légère douleur ; une idée venait de surgir dans son esprit, fournissant une solution lumineuse à tous les mystères qui l’entouraient. Il rit en lui-même de sa jobardise et s’avoua qu’il avait bien failli se laisser prendre à toute cette mise en scène.

Cependant, messire Richard l’examinait avec hauteur. « D’où viens-tu et qu’es-tu venu faire dans la Vallée du Saint-Sépulcre, manant ? » dit-il.

Le sourire de Blake s’évanouit. Il y avait des bornes à la plaisanterie.

« Assez joué la comédie, mon ami, dit-il sèchement. Où est le directeur de la production ?

– Le directeur ?… Par l’Épine, manant, je ne sais ce que tu dis !

– Mais si, mais si, mon vieux ! fit Blake en riant.