On cabre pour sauver son altitude, l'avion perd sa vitesse et devient mou : on s'enfonce toujours. On rend la main, craignant maintenant d'avoir trop cabré, on se laisse dériver sur la droite ou sur la gauche pour s'adosser à la crête favorable, celle qui reçoit les vents comme un tremplin, mais l'on s'enfonce encore. C'est le ciel entier qui semble descendre. On se sent pris, alors, dans une sorte d'accident cosmique. Il n'est plus de refuge. On tente en vain le demi-tour pour rejoindre, en arrière, les zones où l'air vous soutenait, solide et plein comme un pilier. Mais il n'est plus de pilier. Tout se décompose, et l'on glisse dans un délabrement universel vers le nuage qui monte mollement, se hausse jusqu'à vous, et vous absorbe.

« J'avais déjà failli me faire coincer, nous disais-tu, mais je n'étais pas convaincu encore. On rencontre des courants descendants au-dessus de nuages qui paraissent stables, pour la simple raison qu'à la même altitude ils se recomposent indéfiniment. Tout est si bizarre en haute montagne… »

Et quels nuages !…

« Aussitôt pris, je lâchai les commandes, me cramponnant au siège pour ne point me laisser projeter au-dehors. Les secousses étaient si dures les courroies me blessaient aux épaules et eussent sauté. Le givrage, de plus, m'avait privé net tout horizon instrumental et je fus roulé comme un chapeau, de six mille à trois mille cinq.

« À trois mille cinq j'entrevis une masse noire, horizontale, qui me permit de rétablir l'avion. C'était un étang que je reconnus : la Laguna Diamante. Je la savais logée au fond d'un entonnoir, dont un des flancs, le volcan Maipu, s'élève à six neuf cents mètres. Quoique délivré du nuage, j'étais encore aveuglé par d'épais tourbillons de neige, et ne pouvais lâcher mon lac sans m'écraser contre un des flancs de l'entonnoir. Je tournai donc autour de la lagune, à trente mètres d'altitude, jusqu'à la panne d'essence. Après deux heures de manège, je me posai et capotai. Quand je me dégageai de l'avion, la tempête me renversa. Je me rétablis sur mes pieds, elle me renversa encore. J'en fus réduit à me glisser sous la carlingue et à creuser un abri dans la neige. Je m'enveloppai là de sacs postaux et, quarante-huit heures durant, j'attendis.

« Après quoi, le tempête apaisée, je me mis en marche. Je marchai cinq jours et quatre nuits. »

Mais que restait-il de toi, Guillaumet ? Nous te retrouvions bien, mais calciné, mais racorni, mais rapetissé comme une vieille ! Le soir même, en avion, je te ramenais à Mendoza où des draps blancs coulaient sur toi comme un baume. Mais ils ne te guérissaient pas. Tu étais encombré de ce corps courbatu, que tu tournais et retournais, sans parvenir à le loger dans le sommeil. Ton corps n'oubliait pas les rochers ni les neiges. Ils te marquaient. J'observais ton visage noir, tuméfié, semblable à un fruit blet qui a reçu des coups. Tu étais très laid, et misérable, ayant perdu l'usage des beaux outils de ton travail : tes mains demeuraient gourdes, et quand, pour respirer, tu t'asseyais sur le bord de ton lit, tes pieds gelés pendaient comme deux poids morts. Tu n'avais même pas terminé ton voyage, tu haletais encore, et, lorsque tu te retournais contre l'oreiller, pour chercher la paix, alors une procession d'images que tu ne pouvais retenir, une procession qui s'impatientait dans les coulisses, aussitôt se mettait en branle sous ton crâne. Et elle défilait.