A Carcass

Remember, my love, the object we saw

That beautiful morning in June:

By a bend in the path a carcass reclined

On a bed sown with pebbles and stones;

Her legs were spread out like a lecherous whore,

Sweating out poisonous fumes,

Who opened in slick invitational style

Her stinking and festering womb.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

Comme afin de la cuire à point,

Et de rendre au centuple à la grande Nature

Tout ce qu’ensemble elle avait joint;

Et le ciel regardait la carcasse superbe

Comme une fleur s’épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l’herbe

Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

D’où sortaient de noirs bataillons

De larves, qui coulaient comme un épais liquide

Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,

Ou s’élançait en petillant;

On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,

Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,

Comme l’eau courante et le vent,

Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rhythmique

Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,

Une ébauche lente à venir,

Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève

Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète

Nous regardait d’un œil fâché,

Épiant le moment de reprendre au squelette

Le morceau qu’elle avait lâché.

—Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

A cette horrible infection,

Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion!

The sun on this rottenness focused its rays

To cook the cadaver till done,

And render to Nature a hundredfold gift

Of all she’d united in one.

And the sky cast an eye on this marvellous meat

As over the flowers in bloom.

The stench was so wretched that there on the grass

You nearly collapsed in a swoon.

The flies buzzed and droned on these bowels of filth

Where an army of maggots arose,

Which flowed with a liquid and thickening stream

On the animate rags of her clothes.

And it rose and it fell, and pulsed like a wave,

Rushing and bubbling with health.

One could say that this carcass, blown with vague breath,

Lived in increasing itself.

And this whole teeming world made a musical sound

Like babbling brooks and the breeze,

Or the grain that a man with a winnowing-fan

Turns with a rhythmical ease.

The shapes wore away as if only a dream

Like a sketch that is left on the page

Which the artist forgot and can only complete

On the canvas, with memory’s aid.

From back in the rocks, a pitiful bitch

Eyed us with angry distaste,

Awaiting the moment to snatch from the bones

The morsel she’d dropped in her haste.

—And you, in your turn, will be rotten as this:

Horrible, filthy, undone,

O sun of my nature and star of my eyes,

My passion, my angel in one!

Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,

Après les derniers sacrements,

Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,

Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j’ai gardé la forme et l’essence divine

De mes amours décomposés!

30. De profundis clamavi

J’implore ta pitié, Toi, l’unique que j’aime,

Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.

C’est un univers morne à l’horizon plombé,

Où nagent dans la nuit l’horreur et le blasphème;

Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,

Et les six autres mois la nuit couvre la terre;

C’est un pays plus nu que la terre polaire;

—Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois!

Or il n’est pas d’horreur au monde qui surpasse

La froide cruauté de ce soleil de glace

Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos;

Je jalouse le sort des plus vils animaux

Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,

Tant l’écheveau du temps lentement se dévide!

Yes, such will you be, o regent of grace,

After the rites have been read,

Under the weeds, under blossoming grass

As you moulder with bones of the dead.

Ah then, o my beauty, explain to the worms

Who cherish your body so fine,

That I am the keeper for corpses of love

Of the form, and the essence divine!*

30. De profundis clamavi*

I beg your pity, You, my only love;

My fallen heart lies in a deep abyss,

A universe of leaden heaviness,

Where cursing terrors swim the night above!

For six months stands a sun with heatless beams,

The other months are spent in total night;

It is a polar land to human sight

—No greenery, no trees, no running streams!

But there is not a horror to surpass

The cruelty of that blank sun’s cold glass,

And that long night, that Chaos come again!

I’m jealous of the meanest of the beasts

Who plunge themselves into a stupid sleep—

So slowly does the time unwind its skein!

31. Le Vampire

Toi qui, comme un coup de couteau,

Dans mon cœur plaintif es entrée;

Toi qui, forte comme un troupeau

De démons, vins, folle et parée,

De mon esprit humilié

Faire ton lit et ton domaine;

—Infâme à qui je suis lié

Comme le forçat à la chaîne,

Comme au jeu le joueur têtu,

Comme à la bouteille l’ivrogne,

Comme aux vermines la charogne,

—Maudite, maudite sois-tu!

J’ai prié le glaive rapide

De conquérir ma liberté,

Et j’ai dit au poison perfide

De secourir ma lâcheté.

Hélas! le poison et le glaive

M’ont pris en dédain et m’ont dit:

‘Tu n’es pas digne qu’on t’enlève

A ton esclavage maudit,

Imbécile! — de son empire

Si nos efforts te délivraient,

Tes baisers ressusciteraient

Le cadavre de ton vampire!’

31. The Vampire

You invaded my sorrowful heart

Like the sudden stroke of a blade;

Bold as a lunatic troupe

Of demons in drunken parade,

You in my mortified soul

Made your bed and your domain;

—Abhorrence, to whom I am bound

As the convict is to the chain,

As the drunkard is to the jug,

As the gambler to the game,

As to the vermin the corpse,

—I damn you, out of my shame!

And I prayed to the eager sword

To win my deliverance,

And have asked the perfidious vial

To redeem my cowardice.

Alas! the vial and the sword

Disdainfully said to me;

‘You are not worthy to lift

From your wretched slavery,

You fool! — if from her command

Our efforts delivered you forth,

Your kisses would waken again

Your vampire lover’s corpse!’

31a. Le Léthé

Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde,

Tigre adoré, monstre aux airs indolents;

Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants

Dans l’épaisseur de ta crinière lourde;

Dans tes jupons remplis de ton parfum

Ensevelir ma tête endolorie,

Et respirer, comme une fleur flétrie,

Le doux relent de mon amour défunt.

Je veux dormir! dormir plutôt que vivre!

Dans un sommeil aussi doux que la mort,

J’étalerai mes baisers sans remord

Sur ton beau corps poli comme le cuivre.

Pour engloutir mes sanglots apaisés

Rien ne me vaut l’abîme de ta couche;

L’oubli puissant habite sur ta bouche,

Et le Léthé coule dans tes baisers.

A mon destin, désormais mon délice,

J’obéirai comme un prédestiné;

Martyr docile, innocent condamné,

Dont la ferveur attise le supplice,

Je sucerai, pour noyer ma rancœur,

Le népenthès et la bonne ciguë

Aux bouts charmants de cette gorge aiguë,

Qui n’a jamais emprisonné de cœur.

31a. Lethe*

Come to my heart, you tiger I adore.

You sullen monster, cruel and speechless spirit;

Into the thickness of your heavy mane

I want to plunge my trembling fingers’ grip.

I want to hide the throbbing of my head

In your perfume, under those petticoats,

And breathe the musky scent of our old love,

The fading fragrance of the dying rose.

I want to sleep! to sleep and not to live!

And in a sleep as sweet as death, to dream

Of spreading out my kisses without shame

On your smooth body, bright with copper sheen.

If I would swallow down my softened sobs

It must be in your bed’s profound abyss—

Forgetfulness is moistening your breath,

Lethe itself runs smoothly in your kiss.

My destiny, from now on my delight,

Is to obey as one who has been sent

To guiltless martyrdom, when all the while

His passion fans the flames of his torment.

My lips will suck the cure for bitterness:

Oblivion, nepenthe* has its start

In the bewitching teats of those hard breasts,

That never have been harbour of a heart.

32. ‘Une nuit que j’étais près …’

Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive,

Comme au long d’un cadavre un cadavre étendu,

Je me pris à songer près de ce corps vendu

A la triste beauté dont mon désir se prive.

Je me répresentai sa majesté native,

Son regard de vigueur et de grâces armé,

Ses cheveux qui lui font un casque parfumé,

Et dont le souvenir pour l’amour me ravive.

Car j’eusse avec ferveur baisé ton noble corps,

Et depuis tes pieds frais jusqu’à tes noires tresses

Déroulé le trésor des profondes caresses,

Si, quelque soir, d’un pleur obtenu sans effort

Tu pouvais seulement, ô reine des cruelles!

Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.

33. Remords posthume

Lorsque tu dormirás, ma belle ténébreuse,

Au fond d’un monument construit en marbre noir,

Et lorsque tu n’auras pour alcôve et manoir

Qu’un caveau pluvieux et qu’une fosse creuse;

Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse

Et tes flancs qu’assouplit un charmant nonchaloir,

Empêchera ton cœur de battre et de vouloir,

Et tes pieds de courir leur course aventureuse,

32. ‘Beside a monstrous Jewish whore …’

Beside a monstrous Jewish whore* I lay

One night, we were two corpses side by side,

And came to dream beside this hired bride

Of beauty my desire had turned away.*

I saw again her native majesty,

Her gaze empowered with a strength and grace,

Her hair a perfumed casque around her face,

An image that revived the love in me.

For I would fervently have kissed your flesh,

From your sweet feet up to your sable hair

Unrolled the treasure of a deep caress,

If on some evening, with a simple tear,

O queen of cruelty! you had devised

To dim the brilliance of those soulless eyes.

33. Remorse after Death

When, sullen beauty, you will sleep and have

As resting place a fine black marble tomb,

When for a boudoir in your manor-home

You have a hollow pit, a sodden cave,

When stone, now heavy on your fearful breast

And loins once supple in their tempered fire,

Will stop your heart from beating, and desire,

And keep your straying feet from wantonness,

Le tombeau, confident de mon rêve infini

(Car le tombeau toujours comprendra le poëte),

Durant ces grandes nuits d’où le somme est banni,

Te dira: ‘Que vous sert, courtisane imparfaite,

De n’avoir pas connu ce que pleurent les morts?’

—Et le ver rongera ta peau comme un remords.

34. Le Chat

Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux;

Retiens les griffes de ta patte,

Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,

Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir

Ta tête et ton dos élastique,

Et que ma main s’enivre du plaisir

De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,

Comme le tien, aimable bête,

Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,

Un air subtil, un dangereux parfum

Nagent autour de son corps brun.

35. Duellum

Deux guerriers ont couru l’un sur l’autre; leurs armes

Ont éclaboussé l’air de lueurs et de sang.

Ces jeux, ces cliquetis du fer sont les vacarmes

D’une jeunesse en proie à l’amour vagissant.

The Tomb, who knows what yearning is about

(The Tomb grasps what the poet has to say)

Will question you these nights you cannot rest,

‘Vain courtesan, how could you live that way

And not have known what all the dead cry out?’

—And like remorse the worm will gnaw your flesh.

34. The Cat

Come, my fine cat, to my amorous heart;

Please let your claws be concealed.

And let me plunge into your beautiful eyes,

Coalescence of agate and steel.

When my leisurely fingers are stroking your head

And your body’s elasticity,

And my hand becomes drunk with the pleasure it finds

In the feel of electricity,

My woman comes into my mind. Her regard

Like your own, my agreeable beast,

Is deep and is cold, and it splits like a spear,

And, from her head to her feet,

A subtle and dangerous air of perfume

Floats always around her brown skin.

35. Duellum*

Two warriors have grappled, and their arms

Have flecked the air with blood and flashing steel.

These frolics, this mad clanking, these alarms

Proceed from childish love’s frantic appeal.

Les glaives sont brisés! comme notre jeunesse,

Ma chère! Mais les dents, les ongles acérés,

Vengent bientôt l’épée et la dague traîtresse.

—Ô fureur des cœurs mûrs par l’amour ulcérés!

Dans le ravin hanté des chats-pards et des onces

Nos héros, s’étreignant méchamment, ont roulé,

Et leur peau fleurira l’aridité des ronces.

—Ce gouffre, c’est l’enfer, de nos amis peuplé!

Roulons-y sans remords, amazone inhumaine,

Afin d’éterniser l’ardeur de notre haine!

36. Le Balcon

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,

Ô toi, tous mes plaisirs! ô toi, tous mes devoirs!

Tu te rappelleras la beauté des caresses,

La douceur du foyer et le charme des soirs,

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses!

Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon,

Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.

Que ton sein m’était doux! que ton cœur m’était bon!

Nous avons dit souvent d’impérissables choses

Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon.

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!

Que l’espace est profond! que le cœur est puissant!

En me penchant vers toi, reine des adorées,

Je croyais respirer le parfum de ton sang.

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!

The swords are broken! like our youthful life

My dear! But tooth and nail, avid and sharp,

Soon fill the place of rapier and knife.

—O bitter heat of love, o cankered hearts!

In a ravine haunted by catlike forms

These two have tumbled, struggling to the end;

Shreds of their skin will bloom on arid thorns.

—This pit is Hell, its denizens our friends!

Amazon,* let us roll there guiltlessly

In spiteful fervour, for eternity!

36. The Balcony

Mother of memories, mistress of mistresses,

O thou of all my pleasures, all my debts of love!

Call to your mind the gentle touch of our caress,

The sweetness of the hearth, the charming sky above,

Mother of memories, mistress of mistresses!

Evenings illumined by the ardour of the coal,

And on the balcony, the pink that vapours bring;

How sweet your bosom to me, and how kind your soul!

We often told ourselves imperishable things,

Evenings illumined by the ardour of the coal.

How beautiful the suns! How warm their evening beams!

How endless is the space! The heart, how strong and good!

On bending towards you, o beloved, o my queen,

I thought that I could breathe the perfume of your blood.

How beautiful the suns! How warm their evening beams!

La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison,

Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,

Et je buvais ton souffle, ô douceur! ô poison!

Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles.

La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.

Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses,

Et revis mon passé blotti dans tes genoux.

Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses

Ailleurs qu’en ton cher corps et qu’en ton cœur si doux?

Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses!

Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,

Renaîtront-ils d’un gouffre interdit à nos sondes,

Comme montent au ciel les soleils rajeunis

Après s’être lavés au fond des mers profondes?

—Ô serments! ô parfums! ô baisers infinis!

37. Le Possédé

Le soleil s’est couvert d’un crêpe. Comme lui,

Ô Lune de ma vie! emmitoufle-toi d’ombre;

Dors ou fume à ton gré; sois muette, sois sombre,

Et plonge tout entière au gouffre de l’Ennui;

Je t’aime ainsi! Pourtant, si tu veux aujourd’hui,

Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre,

Te pavaner aux lieux que la Folie encombre, C’est bien!

Charmant poignard, jaillis de ton étui!

Allume ta prunelle à la flamme des lustres!

Allume le désir dans les regards des rustres!

Tout de toi m’est plaisir, morbide ou pétulant;

Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore;

Il n’est pas une fibre en tout mon corps tremblant

Qui ne crie: Ô mon cher Belzébuth, je t’adore!

Then we would be enclosed within the thickening night,

And in the dark my eyes divined your eyes so deep,

And I would drink your breath, o poison, o delight!

In my fraternal hands, your feet would go to sleep,

When we would be enclosed within the thickening night.

I have the art of calling forth the happy times,

Seeing again my past there curled within your knees.

Where should I look for beauty, languorous and sublime,

If not in your dear heart, and body at its ease?

I have the art of calling forth the happy times!

These vows, these sweet perfumes, these kisses infinite,

Will they be reborn from a gulf we cannot sound,

As suns rejuvenated take celestial flight

Having been bathed in oceans, mighty and profound?

—O vows! O sweet perfumes! O kisses infinite!

37. The Possessed

The sun is wrapped within a pall of mist,

Moon of my life! enshroud yourself like him;

Sleep, damp your fires; be silent, dim,

And plunge to ennui’s most profound abyss;

I love you this way! But, if you decline,

And choose to move from your eclipse to light,

To strut yourself where Folly throngs tonight,

Spring, charming dagger, from your sheath! That’s fine!

Light up your eyes with flames of candle glow!

Light up the lust in yokels at the show!

I love your moods, no one of them the best;

Be night or dawn, do what you want to do;

I cry in every fibre of my flesh:

‘O my Beelzebub, * I worship you!’

38. Un fantôme

I
Les Ténèbres

Dans les caveaux d’insondable tristesse

Où le Destin m’a déjà relégué;

Où jamais n’entre un rayon rose et gai;

Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse,

Je suis comme un peintre qu’un Dieu moqueur

Condamne à peindre, hélas! sur les ténèbres;

Où, cuisinier aux appétits funèbres,

Je fais bouillir et je mange mon cœur,

Par instants brille, et s’allonge, et s’étale

Un spectre fait de grâce et de splendeur.

A sa rêveuse allure orientale,

Quand il atteint sa totale grandeur,

Je reconnais ma belle visiteuse:

C’est Elle! noire et pourtant lumineuse.

II
Le Parfum

Lecteur, as-tu quelquefois respiré

Avec ivresse et lente gourmandise

Ce grain d’encens qui remplit une église,

Ou d’un sachet le musc invétéré?

Charme profond, magique, dont nous grise

Dans le présent le passé restauré!

Ainsi l’amant sur un corps adoré

Du souvenir cueille la fleur exquise.

38. A Phantom

I
The Blackness

In vaults of fathomless obscurity

Where Destiny has sentenced me for life;

Where cheerful rosy beams may never shine;

Where, living with that sullen hostess, Night,

I am an artist that a mocking God

Condemns, alas! to paint the gloom itself;

Where like a cook with ghoulish appetite

I boil and devour my own heart,

Sometimes there sprawls, and stretches out, and glows

A splendid ghost, of a surpassing charm,

And when this vision growing in my sight

In oriental languor, like a dream,

Is fully formed, I know the phantom’s name:

Yes, it is She! though black, yet full of light.

II
The Perfume

During your lifetime, reader, have you breathed,

Slow-savouring to the point of dizziness,

That grain of incense which fills up a church,

Or the pervasive musk of a sachet?

Magical charm, in which the past restored

Intoxicates us with its presence here!

So from the body of his well-beloved

The lover plucks remembrance’s bright bloom.

De ses cheveux élastiques et lourds,

Vivant sachet, encensoir de l’alcôve,

Une senteur montait, sauvage et fauve,

Et des habits, mousseline ou velours,

Tout imprégnés de sa jeunesse pure,

Se dégageait un parfum de fourrure.

III
Le Cadre

Comme un beau cadre ajoute à la peinture,

Bien qu’elle soit d’un pinceau très-vanté,

Je ne sais quoi d’étrange et d’enchanté

En l’isolant de l’immense nature,

Ainsi bijoux, meubles, métaux, dorure,

S’adaptaient juste à sa rare beauté;

Rien n’offusquait sa parfaite clarté,

Et tout semblait lui servir de bordure.

Même on eût dit parfois qu’elle croyait

Que tout voulait l’aimer; elle noyait

Sa nudité voluptueusement

Dans les baisers du satin et du linge,

Et, lente ou brusque, à chaque mouvement

Montrait la grâce enfantine du singe.

IV
Le Portrait

La Maladie et la Mort font des cendres

De tout le feu qui pour nous flamboya.

De ces grands yeux si fervents et si tendres,

De cette bouche où mon cœur se noya,

Out of the phantom’s dense, resilient locks,

Living sachet, censer of the alcove,

Would rise an alien and tawny scent,

And all her clothes, of muslin or of plush,

Redolent as they were with her pure youth,

Released the soft perfume of thickest fur.

III
The Frame

Just as the frame adds to the painter’s art,

Although the brush itself be highly praised,

A something that is captivating, strange,

Setting it off from all in nature else,

So jewels and metals, gildings, furnishings

Exactly fit her rich and rare appeal;

Nothing offends her perfect clarity,

And all would seem a frame for her display.

And one could say at times that she believed

Everything loved her, in that she would bathe

Freely, voluptuously, her nudity

In kisses of the linen and the silk,

And with each charming movement, slow or quick,

Display a cunning monkey’s childlike grace.

IV
The Portrait

Disease and Death make only dust and ash

Of all the fire that blazed so bright for us.

Of those great eyes so tender and so warm,

Of this mouth where my heart has drowned itself,

De ces baisers puissants comme un dictame,

De ces transports plus vifs que des rayons,

Que reste-t-il? C’est affreux, ô mon âme!

Rien qu’un dessin fort pâle, aux trois crayons,

Qui, comme moi, meurt dans la solitude,

Et que le Temps, injurieux vieillard,

Chaque jour frotte avec son aile rude …

Noir assassin de la Vie et de l’Art,

Tu ne tueras jamais dans ma mémoire

Celle qui fut mon plaisir et ma gloire!

39. ‘Je te donne ces vers …’

Je te donne ces vers afin que si mon nom

Aborde heureusement aux époques lointaines,

Et fait rêver un soir les cervelles humaines,

Vaisseau favorisé par un grand aquilon,

Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,

Fatigue le lecteur ainsi qu’un tympanon,

Et par un fraternel et mystique chaînon

Reste comme pendue à mes rimes hautaines;

Être maudit à qui, de l’abîme profond

Jusqu’au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond!

—Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d’un pied léger et d’un regard serein

Les stupides mortels qui t’ont jugée amère,

Statue aux yeux de jais, grand ange au front d’airain!

Of kisses puissant as a healing balm,

Of transports more intense than flaring light,

What now remains? Appalling, o my soul!

Only a fading sketch in three pale tones,

Like me, dying away in solitude,

And which Time, that maleficent old man,

Each day rubs over with his churlish wing …

Time, you black murderer of Life and Art,

You’ll never kill her in my memory—

Not She, who was my pleasure and my pride!

39.’I give to you these verses …’

I give to you these verses, that if in

Some future time my name lands happily

To bring brief pleasure to humanity,

The craft supported by a great north wind,

Your memory, like tales from ancient times,

Will bore the reader like a dulcimer,

And by a strange fraternal chain live here

As if suspended in my lofty rhymes.

From deepest pit into the highest sky

Damned being, only I can bear you now.

—O shadow, barely present to the eye,

You lightly step, with a serene regard

On mortal fools who’ve judged you mean and hard—

Angel with eyes of jet, great burnished brow!

40. Semper eadem

‘D’où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange,

Montant comme la mer sur le roc noir et nu?’

—Quand notre cœur a fait une fois sa vendange,

Vivre est un mal. C’est un secret de tous connu,

Une douleur très-simple et non mystérieuse,

Et, comme votre joie, éclatante pour tous.

Cessez donc de chercher, ô belle curieuse!

Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous!

Taisez-vous, ignorante! âme toujours ravie!

Bouche au rire enfantin! Plus encor que la Vie,

La Mort nous tient souvent par des liens subtils.

Laissez, laissez mon cœur s’enivrer d’un mensonge,

Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe,

Et sommeiller longtemps à l’ombre de vos cils!

41. Tout entière

Le Démon, dans ma chambre haute,

Ce matin est venu me voir,

Et, tâchant à me prendre en faute,

Me dit: ‘Je voudrais bien savoir,

Parmi toutes les belles choses

Dont est fait son enchantement,

Parmi les objets noirs ou roses

Qui composent son corps charmant,

40. Semper eadem*

You said, there grows within you some strange gloom,

A sea rising on rock, why is it so?

—When once your heart has brought its harvest home

Life is an evil! (secret all men know),

A simple sorrow, not mysterious,

And, like your joy, it sparkles for us all.

So, lovely one, be not so curious!

And even though your voice is sweet, be still!

Be quiet silly girl! Soul of delight!

Mouth of the childish laugh! More, still, than Life

Death holds us often in the subtlest ways.

So let my heart be lost within a lie*

As in a sweet dream, plunge into your eyes

And sleep a long time in your lashes’ shade.

41. Completely One

The Devil and I had a chat

This morning in my snuggery;

Trying to catch me in a lapse,

‘Tell me’, he said beseechingly,

‘Among the many charming things

Of which her body is composed

That make her so enrapturing,

Among the objects, black or rose,*

Quel est le plus doux.’ — Ô mon âme!

Tu répondis à l’Abhorré:

‘Puisqu’en Elle tout est dictame,

Rien ne peut être préféré.

Lorsque tout me ravit, j’ignore

Si quelque chose me séduit.

Elle éblouit comme l’Aurore

Et console comme la Nuit;

Et l’harmonie est trop exquise,

Qui gouverne tout son beau corps,

Pour que l’impuissante analyse

En note les nombreux accords.

Ô métamorphose mystique

De tous mes sens fondus en un!

Son haleine fait la musique,

Comme sa voix fait le parfum!’

42.