Pour alors…
– Halte ! fit le brigadier patiemment. Tu dors dans ta voiture, farceur ? À pas cinq cents mètres de ta cambuse ? Des blagues. Tu serais rentré d’abord.
– Fallait que mon cheval souffle, pardi ! Montez-la donc, vous, la côte de Rampont. Avec ça que la descente est plus mauvaise encore, pleine de gros cailloux. Je devais-t-y risquer de le laisser aller sur les genoux, misère ? Pour alors, j’ai fermé les yeux, le froid m’a saisi, je ne sais plus.
– Combien de temps ? Une heure ou deux minutes.
– Sais pas. Le temps d’un Pater.
– D’un Pater ? Tâche de t’exprimer en français.
– Il veut dire d’un Notre Père. Avec ses grimaces, brigadier, le vieux singe est en train de nous rouler. Récite-le donc ton Pater, abruti ! Et sais-tu ce que c’est qu’un Pater ? Tel que t’es, t’as pas dû fatiguer les bancs du catéchisme.
– Les gens parlent ainsi, manière de dire, répliqua le messager d’un air sombre. Pas dormi longtemps, voilà tout.
– Bon. Tu débarques le curé, tu lui montres le chemin, tu fais souffler ton cheval, tu t’endors un moment, tu ouvres les yeux. Fiche-lui la paix, Pietri ! Et quoi que t’as vu en ouvrant les yeux ?
– Pas grand-chose. Une espèce d’ombre qui se défilait par le chemin de la Hure, je l’ai prise pour un chien perdu.
– Menteur ! Sacré menteur ! gronda le gendarme. Brigadier… Il a dit voilà pas cinq minutes, une femme en caraco !
Mais le brigadier lui imposa silence d’un violent coup de talon sur les chevilles. Il reprit d’un ton cordial :
– Écoute, Mathurin, fais-moi plaisir. On va trinquer nous trois. Va quérir la bouteille de marc qui ne doit rien au gouvernement, motus ! Pietri, mets les tasses sur la table, mon homme. Débrouille ! Débrouille ! Pas la peine d’ouvrir la bouche et de tortiller de la prunelle, garçon ! Le litre est là, sous la huche, fais pas l’idiot. Donne-nous la goutte.
Il remplit lui-même les bols, les remplit de nouveau. La sueur perlait au front du messager.
– Le chemin de la Hure, dit-il. Bon. D’accord. Si t’as vu le chemin de la Hure du haut de la côte, t’as de bons yeux, farceur ! Avoue donc que tu as été faire un tour sur la route de Dombasle pour te dégourdir, ou quoi ?
L’ancien berger réfléchissait, le front dans ses mains, une longue mèche déjà grise pendant jusqu’au menton.
– J’ai entendu sonner une pierre, dit-il enfin. Le vent venait de tourner droit au nord. Il y a son et son. Je me suis dit : « On marche dans le chemin de la Hure, le capellan s’est trompé. » Faut reconnaître qu’il est jeune, pas habitué au pays et il avait l’air malade, il soufflait tout le temps. J’ai rangé mon cheval sur le bas-côté, crié un coup, pas trop fort, pour ne pas effrayer Pharamond.
Il tendit son bol. Nul n’ignorait à Mégère que l’alcool déliait la langue de Mathurin pour des heures, mais il buvait presque toujours seul, et ne parlait guère qu’à son cheval.
– Crié un coup, deux coups, poursuivit-il. Pensez ! La voix devait porter loin. Alors j’ai dévalé le raidillon. J’aurais dû couper la route au capellan.
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