Dans ma tradition, un homme non circoncis ne peut hériter de la richesse de son père, ni se marier, ni officier dans les rituels tribaux. Un Xhosa non circoncis est une contradiction dans les termes car il n’est pas du tout considéré comme un homme mais comme un enfant. Pour les Xhosas, la circoncision représente l’incorporation formelle des hommes dans la société. Ce n’est pas seulement un acte chirurgical, mais un rituel long et élaboré de préparation à l’âge adulte. En tant que Xhosa, je compte mon âge d’homme à partir de ma circoncision.
La cérémonie traditionnelle de l’école de circoncision fut principalement organisée pour Justice. Les autres – vingt-six en tout – étaient là surtout pour lui tenir compagnie. Au début de la nouvelle année, nous sommes allés jusqu’à deux huttes de paille dans une vallée retirée au bord de la rivière Mbashe, connue sous le nom de Tyhalarha, le lieu traditionnel de circoncision des rois thembus. Il s’agissait de huttes de retraite où nous devions vivre isolés de la société. C’était une période sacrée ; j’étais heureux et comblé de prendre part à une coutume de mon peuple et prêt au passage de l’enfance à l’âge adulte.
Nous nous étions installés à Tyhalarha, au bord de la rivière, quelques jours avant la cérémonie de circoncision elle-même. J’ai passé ces derniers jours d’enfance avec les autres initiés et j’ai beaucoup aimé notre camaraderie. Les huttes se trouvaient près de chez Banabakhe Blayi, le garçon le plus riche et le plus populaire de l’école de circoncision. C’était un compagnon attachant, un champion de combat au bâton et un séducteur dont les nombreuses petites amies nous fournissaient des friandises. Il ne savait ni lire ni écrire mais c’était un des plus intelligents du groupe. Il nous racontait ses voyages à Johannesburg, un endroit où aucun de nous n’était jamais allé. Il nous faisait tellement vibrer avec des histoires sur les mines qu’il m’a presque persuadé que devenir mineur était plus alléchant que devenir monarque. Les mineurs avaient une mystique ; être mineur signifiait être fort et audacieux : l’idéal de l’homme adulte. Beaucoup plus tard, je me suis rendu compte que c’était les histoires exagérées par des garçons comme Banabakhe qui entraînaient tant de jeunes à se sauver pour aller travailler dans les mines de Johannesburg où ils perdaient souvent leur santé et leur vie. A cette époque, travailler dans les mines était un rite de passage presque équivalent à l’école de circoncision, un mythe qui aidait plus les propriétaires des mines que mon peuple.
Une des coutumes de la circoncision veut qu’on réalise un exploit audacieux avant la cérémonie. Autrefois, cela pouvait être un vol de bétail ou même une bataille, mais à notre époque les exploits étaient plus malfaisants que martiaux. Deux nuits avant notre arrivée à Tyhalarha, nous avons décidé de voler un porc. A Mqhekezweni, un homme de la tribu possédait un vieux cochon rouspéteur. Pour ne pas faire de bruit et ne pas donner l’alerte, nous nous sommes arrangés pour que le cochon fasse le travail à notre place. Nous avons pris des poignées de résidus de bière africaine artisanale, qui avaient une très forte odeur et que les cochons aimaient beaucoup et nous en avons semé pour attirer l’animal. Le cochon était tellement excité par l’odeur qu’il a réussi à se sauver de son kraal et il a suivi la trace lentement jusqu’à nous, en soufflant, en grognant, et en mangeant les résidus. Quand il est arrivé, nous l’avons attrapé, mis à mort, puis nous avons fait un grand feu et nous l’avons fait rôtir sous les étoiles. Aucun morceau de porc ne m’a jamais semblé aussi bon, ni avant ni depuis.
La nuit qui a précédé la circoncision, il y eut une cérémonie près de nos huttes avec des chants et des danses. Des femmes sont venues des villages voisins et nous avons dansé tandis qu’elles chantaient en battant des mains. Alors que la musique devenait plus rapide et plus forte, notre danse est devenue plus frénétique et, pendant un moment, nous avons oublié ce qui nous attendait.
A l’aube, alors que toutes les étoiles brillaient encore dans le ciel, nous avons entamé les préparatifs. On nous a escortés jusqu’à la rivière pour prendre un bain dans l’eau très froide, un rituel de purification avant la cérémonie. Elle avait lieu à midi, et on nous a donné l’ordre de nous mettre sur une file dans une clairière à quelque distance de la rivière où se trouvait la foule de nos parents, y compris le régent, ainsi que des chefs et des conseillers.
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