Un scandale en Bohême - Les aventures de Sherlock Holmes
Un scandale en Bohême - Les aventures de Sherlock Holmes
Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits »
Arthur Conan Doyle
1859-1930
UN SCANDALE EN BOHÊME
Les aventures de Sherlock Holmes
(juillet 1891)
Table des matières
I................................................................................................. 3
II ............................................................................................. 22
III.............................................................................................41
Toutes les aventures de Sherlock Holmes ..............................47
À propos de cette édition électronique .................................. 50
I
Pour Sherlock Holmes, elle est toujours la femme. Il la juge
tellement supérieure à tout son sexe, qu’il ne l’appelle presque
jamais par son nom ; elle est et elle restera la femme.
Aurait-il donc éprouvé à l’égard d’Irène Adler un sentiment
voisin de l’amour ? Absolument pas ! Son esprit lucide, froid,
admirablement équilibré répugnait à toute émotion en général et
à celle de l’amour en particulier. Je tiens Sherlock Holmes pour la
machine à observer et à raisonner la plus parfaite qui ait existé
sur la planète ; amoureux, il n’aurait plus été le même. Lorsqu’il
parlait des choses du cœur, c’était toujours pour les assaisonner
d’une pointe de raillerie ou d’un petit rire ironique. Certes, en
tant qu’observateur, il les appréciait : n’est-ce pas par le cœur que
s’éclairent les mobiles et les actes des créatures humaines ? Mais
en tant que logicien professionnel, il les répudiait : dans un
tempérament aussi délicat, aussi subtil que le sien, l’irruption
d’une passion aurait introduit un élément de désordre dont aurait
pu pâtir la rectitude de ses déductions. Il s’épargnait donc les
émotions fortes, et il mettait autant de soin à s’en tenir à l’écart
qu’à éviter, par exemple de fêler l’une de ses loupes ou de semer
des grains de poussière dans un instrument de précision. Telle
était sa nature. Et pourtant une femme l’impressionna : la femme,
Irène Adler, qui laissa néanmoins un souvenir douteux et discuté.
Ces derniers temps, je n’avais pas beaucoup vu Holmes. Mon
mariage avait séparé le cours de nos vies. Toute mon attention se
trouvait absorbée par mon bonheur personnel, si complet, ainsi
que par les mille petits soucis qui fondent sur l’homme qui se crée
un vrai foyer. De son côté, Holmes s’était isolé dans notre meublé
de Baker Street ; son goût pour la bohème s’accommodait mal de
toute forme de société ; enseveli sous de vieux livres, il alternait la
cocaïne et l’ambition : il ne sortait de la torpeur de la drogue que
pour se livrer à la fougueuse énergie de son tempérament. Il était
toujours très attiré par la criminologie, aussi occupait-il ses dons
exceptionnels à dépister quelque malfaiteur et à élucider des
énigmes que la police officielle désespérait de débrouiller. Divers
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échos de son activité m’étaient parvenus par intervalles :
notamment son voyage à Odessa où il avait été appelé pour le
meurtre des Trepoff, la solution qu’il apporta au drame ténébreux
qui se déroula entre les frères Atkinson de Trincomalee, enfin la
mission qu’il réussit fort discrètement pour la famille royale de
Hollande. En dehors de ces manifestations de vitalité, dont j’avais
simplement connaissance par la presse quotidienne, j’ignorais
presque tout de mon ancien camarade et ami.
Un soir – c’était le 20 mars 1888 – j’avais visité un malade et
je rentrais chez moi (car je m’étais remis à la médecine civile)
lorsque mon chemin me fit passer par Baker Street. Devant cette
porte dont je n’avais pas perdu le souvenir et qui sera toujours
associée dans mon esprit au prélude de mon mariage comme aux
sombres circonstances de l’Étude en Rouge, je fus empoigné par
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le désir de revoir Holmes et de savoir à quoi il employait ses
facultés extraordinaires. Ses fenêtres étaient éclairées ; levant les
yeux, je distingue même sa haute silhouette mince qui par deux
fois se profila derrière le rideau. Il arpentait la pièce d’un pas
rapide, impatient ; sa tête était inclinée sur sa poitrine, ses mains
croisées derrière son dos. Je connaissais suffisamment son
humeur et ses habitudes pour deviner qu’il avait repris son
travail. Délivré des rêves de la drogue, il avait dû se lancer avec
ardeur sur une nouvelle affaire. Je sonnai, et je fus conduit à
l’appartement que j’avais jadis partagé avec lui. Il ne me prodigua
pas d’effusions. Les effusions n’étaient pas son fort. Mais il fut
content, je crois, de me voir. A peine me dit-il un mot.
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