« – Dieu merci ! s’écrie-t-il. Vous ferez l’affaire. Venez !
Venez ! »
« – Pour quoi faire ?
« – Venez, mon vieux ! Il ne nous reste plus que trois minutes
pour que ce soit légal.
- 26 -
« Me voilà à moitié entraîné vers l’autel et, avant que je sache
où j’en suis, je m’entends bredouiller des réponses qui me sont
chuchotées à l’oreille ; en fait, j’apporte ma garantie au sujet de
choses dont je suis très ignorant et je sers de témoin pour un
mariage entre Irène Adler, demoiselle, et Godfrey Norton,
célibataire. La cérémonie se déroule en quelques instants ; après
quoi je me fais congratuler d’un côté par le conjoint, de l’autre par
la conjointe tandis que le prêtre, en face, rayonne en me
regardant. Je crois que c’est la situation la plus absurde dans
laquelle je me sois jamais trouvé ; lorsque je me la suis rappelée
tout à l’heure, je n’ai pu m’empêcher de rire à gorge déployée.
Sans doute y avait-il un quelconque vice de forme dans la licence
de mariage, le prêtre devait absolument refuser de consacrer
l’union sans un témoin, et mon apparition a probablement
épargné au fiancé de courir les rues en quête d’un homme valable.
La fiancée m’a fait cadeau d’un souverain, que j’entends porter à
ma chaîne de montre en souvenir de cet heureux événement.
- 27 -
– L’affaire a pris une tournure tout à fait imprévue, dis je.
Mais ensuite ?
– Hé bien ! J’ai trouvé mes plans plutôt compromis. Tout
donnait l’impression que le couple allait s’envoler
immédiatement ; des mesures aussi énergiques que promptes
s’imposaient donc. Cependant, à la porte de l’église, ils partirent
chacun de leur côté : lui vers son quartier, elle pour sa villa.
« – Je sortirai à cinq heures comme d’habitude pour aller
dans le parc, lui dit-elle en le quittant.
« Je n’entendis rien de plus. Ils se séparèrent, et moi, je m’en
vais prendre des dispositions personnelles.
– Lesquelles ?
- 28 -
– D’abord quelques tranches de bœuf froid et un verre de
bière répondit-il en sonnant. J’étais trop occupé pour songer à me
nourrir, et ce soir, je serai encore plus occupé, selon toute
vraisemblance. A propos, docteur, j’aurais besoin de vos services.
– Vous m’en voyez réjoui.
– Cela ne vous gênerait pas de violer la loi ?
– Pas le moins du monde.
– Ni de risquer d’être arrêté ?
– Non, si la cause est bonne.
– Oh ! la cause est excellente !
– Alors je suis votre homme.
– J’étais sûr que je pourrais compter sur vous.
– Mais qu’est-ce que vous voulez au juste ?
– Quand Mme Turner aura apporté le plateau, je vous
expliquerai. Maintenant, ajouta-t-il en se jetant sur la simple
collation que sa propriétaire lui avait fait monter, je vais être
obligé de parler la bouche pleine car je ne dispose pas de
beaucoup de temps. Il est près de cinq heures. Dans deux heures
nous devons nous trouver sur les lieux de l’action. Mlle Irène, ou
plutôt Madame, revient de sa promenade à sept heures. Il faut
que nous soyons à Briony Lodge pour la rencontrer.
– Et après, quoi ?
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– Laissez le reste à mon initiative.
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