J’ai confiance. Nous aurons
bientôt d’excellentes nouvelles à vous communiquer… Et à vous
aussi, bonne nuit, Watson ! ajouta-t-il, lorsque les roues du
landau royal s’ébranlèrent pour descendre la rue. Si vous avez la
gentillesse de passer ici demain après-midi à trois heures, je serai
heureux de bavarder un peu avec vous. »
- 21 -
II
A trois heures précises j’étais à Baker Street, mais Holmes
n’était pas encore de retour. La logeuse m’indiqua qu’il était sorti
un peu après huit heures du matin. Je m’assis au coin du feu, avec
l’intention de l’attendre aussi longtemps qu’il le faudrait. Déjà
cette histoire me passionnait : elle ne se présentait pas sous
l’aspect lugubre des deux crimes que j’ai déjà relatés : toutefois sa
nature même ainsi que la situation élevée de son héros lui
conféraient un intérêt spécial. Par ailleurs, la manière qu’avait
mon ami de maîtriser une situation et le spectacle de sa logique
incisive, aiguë, me procuraient un vif plaisir : j’aimais étudier son
système de travail et suivre de près les méthodes (subtiles autant
que hardies) grâce aux quelles il désembrouillait les écheveaux les
plus inextricables. J’étais si accoutumé à ses succès que
l’hypothèse d’un échec ne m’effleurait même pas.
- 22 -
Il était près de quatre heures quand la porte s’ouvrit pour
laisser pénétrer une sorte de valet d’écurie qui semblait pris de
boisson : rougeaud, hirsute, il étalait de gros favoris, et ses
vêtements étaient minables. L’étonnant talent de mon ami pour
se déguiser m’était connu, mais je dus le regarder à trois reprises
avant d’être sûr que c’était bien lui. Il m’adressa un signe de tête
et disparut dans sa chambre, d’où il ressortit cinq minutes plus
tard, habillé comme à son ordinaire d’un respectable costume de
tweed. Il plongea les mains dans ses poches, allongea les jambes
devant le feu, et partit d’un joyeux rire qui dura plusieurs
minutes.
« Hé bien ! ça alors ! s’écria-t-il. »
Il suffoquait ; il se reprit à rire, et il rit de si bon cœur qu’il
dut s’étendre, à court de souffle, sur son canapé.
« Que se passe-t-il ?
– C’est trop drôle ! Je parie que vous ne devinerez jamais
comment j’ai employé ma matinée ni ce que j’ai fini par faire.
– Je ne sais pas… Je suppose que vous avez surveillé les
habitudes et peut- être la maison de Mlle Irène Adler.
– C’est vrai ! Mais la suite n’a pas été banale. Je vais tout vous
raconter. Ce matin, j’ai quitté la maison un peu après huit heures,
déguisé en valet d’écurie cherchant de l’embauche. Car entre les
hommes de chevaux il existe une merveilleuse sympathie,
presque une franc-maçonnerie : si vous êtes l’un des leurs, vous
saurez en un tournemain tout ce que vous désirez savoir. J’ai
trouvé de bonne heure Briony Lodge. Cette villa est un bijou :
situé juste sur la route avec un jardin derrière ; deux étages ; une
énorme serrure à la porte ; un grand salon à droite, bien meublé,
avec de longues fenêtres descendant presque jusqu’au plancher et
pourvues de ces absurdes fermetures anglaises qu’un enfant
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pourrait ouvrir. Derrière, rien de remarquable, sinon une fenêtre
du couloir qui peut être atteinte du toit de la remise. J’ai fait le
tour de la maison, je l’ai examinée sous tous les angles, sans
pouvoir noter autre chose d’intéressant. J’ai ensuite descendu la
rue en flânant et j’ai découvert, comme je m’y attendais, une
écurie dans un chemin qui longe l’un des murs du jardin. J’ai
donné un coup de main aux valets qui bouchonnaient les
chevaux : en échange, j’ai reçu une pièce de monnaie, un verre de
whisky, un peu de gros tabac pour bourrer deux pipes, et tous les
renseignements dont j’avais besoin sur Mlle Adler, sans compter
ceux que j’ai obtenus sur une demi-douzaine de gens du voisinage
et dont je me moque éperdument mais il fallait bien que j’écoute
aussi leurs biographies, n’est-ce pas ?
– Quoi, au sujet d’Irène Adler ? demandai-je
– Oh ! elle a fait tourner toutes les têtes des hommes de là-
bas ! C’est la plus exquise des créatures de cette terre : elle vit
paisiblement, chante à des concerts, sort en voiture chaque jour à
cinq heures, pour rentrer dîner à sept heures précises, rarement à
d’autres heures, sauf lorsqu’elle chante. Ne reçoit qu’un visiteur
masculin, mais le reçoit souvent. Un beau brun, bien fait,
élégant ; il ne vient jamais moins d’une fois par jour, et plutôt
deux. C’est un M.
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