Et ils la questionnaient : au moins c’était bien fini, l’enfant n’avait plus rien eu ? La mère souriait.
― Vous l’aimez plus que moi, vous finirez par m’effrayer, dit-elle. Non, elle n’a plus rien ressenti, quelques douleurs dans les membres seulement, avec des pesanteurs de tête... Mais nous allons combattre tout ça énergiquement.
― Madame est servie, vint annoncer la bonne.
La salle à manger était meublée en acajou, une table, un buffet et huit chaises. Rosalie alla tirer les rideaux de reps rouge. Une suspension très-simple, une lampe de porcelaine blanche dans un cercle de cuivre, éclairait le couvert, les assiettes symétriques et le potage qui fumait. Chaque mardi, le dîner ramenait les mêmes conversations. Mais, ce jour-là, on causa naturellement du docteur Deberle. L’abbé Jouve en fit un grand éloge, bien que le docteur ne fût guère dévot. Il le citait comme un homme d’un caractère droit, d’un cœur charitable, très-bon père et très-bon mari, donnant enfin les meilleurs exemples. Quant à madame Deberle, elle était excellente, malgré les allures un peu vives, qu’elle devait à sa singulière éducation parisienne. En un mot, un ménage charmant. Hélène parut heureuse ; elle avait jugé le ménage ainsi, et ce que lui disait l’abbé l’engageait à continuer des relations, qui l’effrayaient un peu d’abord.
― Vous vous enfermez trop, déclara le prêtre.
― Sans doute, appuya monsieur Rambaud.
Hélène les regardait avec son calme sourire, comme pour leur dire qu’ils lui suffisaient et qu’elle redoutait toute amitié nouvelle. Mais dix heures sonnèrent, l’abbé et son frère prirent leurs chapeaux. Jeanne venait de s’endormir sur un fauteuil, dans la chambre. Ils se penchèrent un instant, hochèrent la tête d’un air satisfait en voyant la paix de son sommeil. Puis, ils partirent sur la pointe des pieds ; et, dans l’antichambre, baissant la voix :
― A mardi.
― J’oubliais, murmura l’abbé qui remonta deux marches. La mère Fétu est malade. Vous devriez aller la voir.
― J’irai demain, répondit Hélène.
L’abbé l’envoyait volontiers chez ses pauvres. Ils avaient ensemble toutes sortes de conversations à voix basse, des affaires à eux, sur lesquelles ils s’entendaient à demi-mot, et dont ils ne parlaient jamais devant le monde. Le lendemain, Hélène sortit seule ; elle évitait d’emmener Jeanne, depuis que l’enfant était restée deux jours frissonnante, au retour d’une visite de charité chez un vieillard paralytique. Dehors, elle suivit la rue Vineuse, prit la rue Raynouard et s’engagea dans le passage des Eaux, un étrange escalier étranglé entre les murs des jardins voisins, une ruelle escarpée qui descend sur le quai, des hauteurs de Passy. Au bas de cette pente, dans une maison délabrée, la mère Fétu habitait une mansarde, éclairée par une lucarne ronde, et qu’un misérable lit, une table boiteuse et une chaise dépaillée emplissaient.
― Ah ! ma bonne dame, ma bonne dame..., se mit-elle à geindre, lorsqu’elle vit entrer Hélène.
La mère Fétu était couchée. Toute ronde malgré sa misère, comme enflée et la face bouffie, elle ramenait de ses mains gourdes le lambeau de drap qui la couvrait. Elle avait de petits yeux fins, une voix pleurarde, une humilité bruyante qu’elle traduisait par un flot de paroles.
― Ah ! ma bonne dame, je vous remercie !... Oh ! là, là ! que je souffre ! C’est comme si des chiens me mangeaient le côté... Oh ! bien sûr, j’ai une bête dans le ventre. Tenez, c’est là, vous voyez. La peau n’est pas entamée, le mal est dedans... Oh ! là, là ! ça ne cesse pas depuis deux jours. S’il est possible, bon Dieu ! de tant souffrir...
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