Enfin, je voudrais des chaises. Si j’avais seulement un fauteuil ! Mon matelas est bien mauvais. J’ai honte quand vous venez... Toute la maison est à vous, et je me jetterais dans le feu, s’il le fallait. Le bon Dieu le sait, je le lui dis assez souvent... O mon Dieu ! faites que le bon monsieur et la bonne dame soient satisfaits dans tous leurs désirs. Au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, ainsi soit-il !
Hélène l’écoutait, et elle éprouvait une singulière gêne. Le visage bouffi de la mère Fétu l’inquiétait. Jamais non plus elle n’avait ressenti un pareil malaise dans l’étroite pièce. Elle en voyait la pauvreté sordide, elle souffrait du manque d’air, de toutes les déchéances de la misère enfermées là. Elle se hâta de s’éloigner, blessée par les bénédictions dont la mère Fétu la poursuivait.
Une autre tristesse l’attendait dans le passage des Eaux. Au milieu de ce passage, à droite en descendant, se trouve dans le mur une sorte d’excavation, quelque puits abandonné, fermé par une grille. Depuis deux jours, en passant, elle entendait, au fond de ce trou, les miaulements d’un chat. Comme elle montait, les miaulements recommencèrent, mais si lamentables, qu’ils exhalaient une agonie. La pensée que la pauvre bête, jetée dans l’ancien puits, y mourait longuement de faim, brisa tout d’un coup le cœur d’Hélène. Elle pressa le pas, avec la pensée qu’elle n’oserait de longtemps se risquer le long de l’escalier, de peur d’y entendre ce miaulement de mort.
Justement, on était au mardi. Le soir, à sept heures, comme Hélène achevait une petite brassière, les deux coups de sonnette habituels retentirent, et Rosalie ouvrit la porte, en disant :
― C’est monsieur l’abbé qui arrive le premier, aujourd’hui... Ah ! voici monsieur Rambaud.
Le dîner fut très-gai, Jeanne allait mieux encore, et les deux frères, qui la gâtaient, obtinrent qu’elle mangerait un peu de salade, qu’elle adorait, malgré la défense formelle du docteur Bodin. Puis, lorsqu’on passa dans la chambre, l’enfant, encouragée, se pendit au cou de sa mère en murmurant :
― Je t’en prie, petite mère, mène-moi demain avec toi chez la vieille femme.
Mais le prêtre et monsieur Rambaud furent les premiers à la gronder. On ne pouvait pas la mener chez les malheureux, puisqu’elle ne savait pas s’y conduire. La dernière fois, elle avait eu deux évanouissements, et durant trois jours, même pendant son sommeil, ses yeux gonflés ruisselaient.
― Non, non, répéta-t-elle, je ne pleurerai pas, je le promets.
Alors, sa mère l’embrassa, en disant :
― C’est inutile, ma chérie, la vieille femme se porte bien... Je ne sortirai plus, je resterai toute la journée avec toi.
IV
La semaine suivante, lorsque madame Deberle rendit à madame Grandjean sa visite, elle se montra d’une amabilité pleine de caresses. Et, sur le seuil, comme elle se retirait :
― Vous savez ce que vous m’avez promis... Le premier jour de beau temps, vous descendez au jardin et vous amenez Jeanne. C’est une ordonnance du docteur.
Hélène souriait.
― Oui, oui, la chose est entendue. Comptez sur nous.
Trois jours plus tard, par une claire après-midi de février, elle descendit en effet avec sa fille. La concierge leur ouvrit la porte de communication. Au fond du jardin, dans une sorte de serre transformée en pavillon japonais, elles trouvèrent madame Deberle, ayant auprès d’elle sa sœur Pauline, toutes deux les mains abandonnées, avec des ouvrages de broderie sur une petite table, qu’elles avaient posés là et oubliés.
― Ah ! que c’est donc aimable à vous ! dit Juliette. Tenez, mettez-vous ici... Pauline, pousse cette table...
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