Il découvrit dans le lever et le coucher du soleil des spectacles inconnus au monde. Il sut tressaillir en entendant au-dessus de sa tête le doux sifflement des ailes d’un oiseau, – rare passager ! – en voyant les nuages se confondre, – voyageurs changeants et colorés ! Il étudia pendant la nuit les effets de la lune sur l’océan des sables où le simoun produisait des vagues, des ondulations et de rapides changements. Il vécut avec le jour de l’Orient, il en admira les pompes merveilleuses ; et souvent, après avoir joui du terrible spectacle d’un ouragan dans cette plaine où les sables soulevés produisaient des brouillards rouges et secs, des nuées mortelles, il voyait venir la nuit avec délices, car alors tombait la bienfaisante fraîcheur des étoiles. Il écouta des musiques imaginaires dans les cieux. Puis la solitude lui apprit à déployer les trésors de la rêverie. Il passait des heures entières à se rappeler des riens, à comparer sa vie passée à sa vie présente. Enfin il se passionna pour sa panthère ; car il lui fallait bien une affection. Soit que sa volonté, puissamment projetée, eût modifié le caractère de sa compagne, soit qu’elle trouvât une nourriture abondante, grâce aux combats qui se livraient alors dans ces déserts, elle respecta la vie du Français, qui finit par ne plus s’en défier en la voyant si bien apprivoisée. Il employait la plus grande partie du temps à dormir ; mais il était obligé de veiller, comme une araignée au sein de sa toile, pour ne pas laisser échapper le moment de sa délivrance, si quelqu’un passait dans la sphère décrite par l’horizon. Il avait sacrifié sa chemise pour en faire un drapeau, arboré sur le haut d’un palmier dépouillé de feuillage. Conseillé par la nécessité, il sut trouver le moyen de le garder déployé en le tendant avec des baguettes, car le vent aurait pu ne pas l’agiter au moment où le voyageur attendu regarderait dans le désert...
C’était pendant les longues heures où l’abandonnait l’espérance qu’il s’amusait avec la panthère. Il avait fini par connaître les différentes inflexions de sa voix, l’expression de ses regards, il avait étudié les caprices de toutes les taches qui nuançaient l’or de sa robe. Mignonne ne grondait même plus quand il lui prenait la touffe par laquelle sa redoutable queue était terminée, pour en compter les anneaux noirs et blancs, ornement gracieux, qui brillait de loin au soleil comme des pierreries. Il avait plaisir à contempler les lignes moelleuses et fines des contours, la blancheur du ventre, la grâce de la tête. Mais c’était surtout quand elle folâtrait qu’il la contemplait complaisamment, et l’agilité, la jeunesse de ses mouvements, le surprenaient toujours ; il admirait sa souplesse quand elle se mettait à bondir, à ramper, à se glisser, à se fourrer, à s’accrocher, se rouler, se blottir, s’élancer partout. Quelque rapide que fût son élan, quelque glissant que fût un bloc de granit, elle s’y arrêtait tout court, au mot de « Mignonne... »
Un jour, par un soleil éclatant, un immense oiseau plana dans les airs. Le Provençal quitta sa panthère pour examiner ce nouvel hôte ; mais après un moment d’attente, la sultane délaissée gronda sourdement. ― Je crois, Dieu m’emporte, qu’elle est jalouse, s’écria-t-il en voyant ses yeux redevenus rigides. L’âme de Virginie aura passé dans ce corps-là, c’est sûr !... L’aigle disparut dans les airs pendant que le soldat admirait la croupe rebondie de la panthère. Mais il y avait tant de grâce et de jeunesse dans ses contours ! C’était joli comme une femme. La blonde fourrure de la robe se mariait par des teintes fines aux tons du blanc mat qui distinguait les cuisses. La lumière profusément jetée par le soleil faisait briller cet or vivant, ces taches brunes, de manière à leur donner d’indéfinissables attraits. Le Provençal et la panthère se regardèrent l’un et l’autre d’un air intelligent, la coquette tressaillit quand elle sentit les ongles de son ami lui gratter le crâne, ses yeux brillèrent comme deux éclairs, puis elle les ferma fortement.
― Elle a une âme... dit-il en étudiant la tranquillité de cette reine des sables, dorée comme eux, blanche comme eux, solitaire et brûlante comme eux...
― Eh ! bien, me dit-elle, j’ai lu votre plaidoyer en faveur des bêtes ; mais comment deux personnes si bien faites pour se comprendre ont-elles fini ?...
― Ah ! voilà !... Elles ont fini comme finissent toutes les grandes passions, par un mal-entendu ! On croit de part et d’autre à quelque trahison, l’on ne s’explique point par fierté, l’on se brouille par entêtement.
― Et quelquefois dans les plus beaux moments, dit-elle ; un regard, une exclamation suffisent. Eh ! bien, alors, achevez l’histoire ?
― C’est horriblement difficile, mais vous comprendrez ce que m’avait déjà confié le vieux grognard quand, en finissant sa bouteille de vin de Champagne, il s’est écrié : ― Je ne sais pas quel mal je lui ai fait, mais elle se retourna comme si elle eût été enragée ; et, de ses dents aiguës, elle m’entama la cuisse, faiblement sans doute. Moi, croyant qu’elle voulait me dévorer, je lui plongeai mon poignard dans le cou. Elle roula en jetant un cri qui me glaça le cœur, je la vis se débattant en me regardant sans colère. J’aurais voulu pour tout au monde, pour ma croix, que je n’avais pas encore, la rendre à la vie.
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