À l’ouest, une falaise rocheuse s’avançait dans la mer et se prolongeait par une chaîne de récifs. C’était là que se dressait la silhouette de La Virginie avec ses mâts arrachés et ses cordages flottant dans le vent.
Robinson se leva et fit quelques pas. Il n’était pas blessé, mais son épaule contusionnée continuait à lui faire mal. Comme le soleil commençait à brûler, il se fit une sorte de bonnet en roulant de grandes feuilles qui croissaient au bord du rivage. Puis il ramassa une branche pour s’en faire une canne et s’enfonça dans la forêt.
Les troncs des arbres abattus formaient avec les taillis et les lianes qui pendaient des hautes branches un enchevêtrement difficile à percer, et souvent Robinson devait ramper à quatre pattes pour pouvoir avancer. Il n’y avait pas un bruit, et aucun animal ne se montrait. Aussi Robinson fut-il bien étonné en apercevant à une centaine de pas la silhouette d’un bouc sauvage au poil très long qui se dressait immobile, et qui paraissait l’observer. Lâchant sa canne trop légère, Robinson ramassa une grosse souche qui pourrait lui servir de massue. Quand il arriva à proximité du bouc, l’animal baissa la tête et grogna sourdement. Robinson crut qu’il allait foncer sur lui. Il leva sa massue et l’abattit de toutes ses forces entre les cornes du bouc. La bête tomba sur les genoux, puis bascula sur le flanc.
Après plusieurs heures de marche laborieuse, Robinson arriva au pied d’un massif de rochers entassés en désordre. Il découvrit l’entrée d’une grotte, ombragée par un cèdre géant ; mais il n’y fit que quelques pas, parce qu’elle était trop profonde pour pouvoir être explorée ce jour-là. Il préféra escalader les rochers, afin d’embrasser une vaste étendue du regard. C’est ainsi, debout sur le sommet du plus haut rocher, qu’il constata que la mer cernait de tous côtés la terre où il se trouvait et qu’aucune trace d’habitation n’était visible : il était donc sur une île déserte. Il s’expliqua ainsi l’immobilité du bouc qu’il avait assommé. Les animaux sauvages qui n’ont jamais vu l’homme ne fuient pas à son approche. Au contraire, ils l’observent avec curiosité.
Robinson était accablé de tristesse et de fatigue. En errant au pied du grand rocher, il découvrit une espèce d’ananas sauvage qu’il découpa avec son couteau de poche et qu’il mangea. Puis il se glissa sous une pierre et s’endormit.
3. Réveillé par les premiers rayons du soleil levant,

Réveillé par les premiers rayons du soleil levant, Robinson commença à redescendre vers le rivage d’où il était parti la veille. Il sautait de rocher en rocher et de tronc en tronc, de talus en talus et de souche en souche, et il y trouvait un certain plaisir parce qu’il se sentait frais et dispos après une bonne nuit de sommeil. En somme sa situation était loin d’être désespérée. Certes, cette île était apparemment déserte. Mais cela ne valait-il pas mieux que si elle avait été peuplée de cannibales ? En outre elle paraissait assez accueillante avec sa belle plage au nord, des prairies très humides et sans doute marécageuses à l’est, sa grande forêt à l’ouest, et, en son centre, ce massif rocheux que perçait une grotte mystérieuse et qui offrait un point de vue magnifique sur tout l’horizon. Il en était là de ses réflexions quand il aperçut au milieu de la piste, qu’il avait suivie la veille, le cadavre du bouc assommé. Déjà une demi-douzaine de vautours au cou déplumé et au bec crochu se disputaient la charogne. Robinson les dispersa en faisant tournoyer son bâton au-dessus de sa tête, et les gros oiseaux s’envolèrent lourdement l’un après l’autre en courant sur leurs pattes torses pour décoller. Puis il chargea sur ses épaules ce qui restait du bouc, et poursuivit plus lentement sa marche vers la plage. Là, il découpa avec son couteau un quartier de viande et le fit rôtir suspendu à trois bâtons noués en trépied au-dessus d’un feu de bois.
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