Ils sont destinés, j’espère, à assister un jour à la fondation d’édifices plus majestueux. Je commençai à occuper ma maison le quatre juillet, dès qu’elle fut pourvue de planches et de toit, car les planches étant soigneusement taillées en biseau et posées en recouvrement, elle se trouvait impénétrable à la pluie ; mais avant d’y mettre les planches, je posai à l’une des extrémités les bases d’une cheminée, en montant de l’étang sur la colline deux charretées de pierre dans mes bras. Je construisis la cheminée après mon sarclage en automne, avant que le feu devînt nécessaire pour se chauffer, et fis, en attendant, ma cuisine dehors par terre, de bonne heure le matin ; manière de procéder que je crois encore à certains égards plus commode et plus agréable que la manière usuelle. Faisait-il de l’orage avant que mon pain fût cuit, que j’assujettissais quelques planches au-dessus du feu, m’asseyais dessous pour surveiller ma miche, et passais de la sorte quelques heures charmantes. En ce temps où mes mains étaient fort occupées je ne lus guère, mais les moindres bouts de papier traînant par terre, ma poignée ou ma nappe, me procuraient tout autant de plaisir, en fait remplissaient le même but que l’Iliade.
Il vaudrait la peine de construire avec plus encore de mûre réflexion que je ne fis, en se demandant, par exemple, où une porte, une fenêtre, une cave, un galetas, trouvent leur base dans la nature de l’homme, et peut-être n’élevant jamais d’édifice, qu’on ne lui ait trouvé une meilleure raison d’être que nos besoins temporels mêmes. Il y a chez l’homme qui construit sa propre maison un peu de cet esprit d’à-propos que l’on trouve chez l’oiseau qui construit son propre nid. Si les hommes construisaient de leurs propres mains leurs demeures, et se procuraient la nourriture pour eux-mêmes comme pour leur famille, simplement et honnêtement, qui sait si la faculté poétique ne se développerait pas universellement, tout comme les oiseaux universellement chantent lorsqu’ils s’y trouvent invités ? Mais, hélas ! nous agissons à la ressemblance de l’étourneau et du coucou, qui pondent leurs œufs dans des nids que d’autres oiseaux ont bâtis, et qui n’encouragent nul voyageur avec leur caquet inharmonieux. Abandonnerons-nous donc toujours le plaisir de la construction au charpentier ? À quoi se réduit l’architecture dans l’expérience de la masse des hommes ? Je n’ai jamais, au cours de mes promenades, rencontré un seul homme livré à l’occupation si simple et si naturelle qui consiste à construire sa maison. Nous dépendons de la communauté. Ce n’est pas le tailleur seul qui est la neuvième partie d’un homme(24) ; c’est aussi le prédicateur, le marchand, le fermier. Où doit aboutir cette division du travail ? et quel objet finalement sert-elle ? Sans doute autrui peut-il aussi penser pour moi ; mais il n’est pas à souhaiter pour cela qu’il le fasse à l’exclusion de mon action de penser pour moi-même.
C’est vrai, il est en ce pays ce qu’on nomme des architectes, et j’ai entendu parler de l’un d’eux au moins comme possédé de l’idée qu’il y a un fond de vérité, une nécessité, de là une beauté dans l’acte qui consiste à faire des ornements d’architecture, à croire que c’est une révélation pour lui. Fort bien peut-être à son point de vue, mais guère mieux que le commun dilettantisme. En réformateur sentimental de l’architecture, c’est par la corniche qu’il commença, non par les fondations. Ce fut seulement l’embarras de savoir comment mettre un fond de vérité dans les ornements qui valut à toute dragée de renfermer en fait une amande ou un grain de carvi, – bien qu’à mon sens ce soit sans le sucre que les amandes sont le plus saines – et non pas comment l’hôte, l’habitant, pourrait honnêtement bâtir à l’intérieur et à l’extérieur, en laissant les ornements s’arranger à leur guise. Quel homme doué de raison supposa jamais que les ornements étaient quelque chose d’extérieur et de tout bonnement dans la peau, – que si la tortue possédait une carapace tigrée, ou le coquillage ses teintes de nacre, c’était suivant tel contrat qui valut aux habitants de Broadway leur église de la Trinité ? Mais un homme n’a pas plus à faire avec le style d’architecture de sa maison qu’une tortue avec celui de sa carapace : ni ne doit le soldat être assez vain pour essayer de peindre la couleur précise de sa valeur sur sa bannière. C’est à l’ennemi à la découvrir. Il se peut qu’il pâlisse au moment de l’épreuve. Il me semblait voir cet homme se pencher par-dessus la corniche pour murmurer timidement son semblant de vérité aux rudes occupants qui la connaissaient, en réalité, mieux que lui. Ce que je vois de beauté architecturale aujourd’hui, est venu, je le sais, progressivement du dedans au-dehors, des nécessités et du caractère de l’habitant, qui est le seul constructeur, – de certaine sincérité inconsciente, de certaine noblesse, sans jamais une pensée pour l’apparence ; et quelque beauté additionnelle de ce genre qui soit destinée à se produire, sera précédée d’une égale beauté inconsciente de vie. Les plus intéressantes demeures, en ce pays-ci, le peintre le sait bien, sont les plus dénuées de prétention, les humbles huttes et les cottages de troncs de bois des pauvres en général ; c’est la vie des habitants dont ce sont les coquilles, et non point simplement quelque particularité dans ces surfaces, qui les rend pittoresques ; et tout aussi intéressante sera la case suburbaine du citoyen, lorsque la vie de celui-ci sera aussi simple et aussi agréable à l’imagination, et qu’on sentira aussi peu d’effort visant à l’effet dans le style de sa demeure. Les ornements d’architecture, pour une large part, sont littéralement creux, et c’est sans dommage pour l’essentiel qu’un coup de vent de septembre les enlèverait, tels des plumes d’emprunt. Ceux-là peuvent s’en tirer sans architecture, qui n’ont ni olives ni vins au cellier. Que serait-ce si l’on faisait autant d’embarras à propos des ornements de style en littérature, et si les architectes de nos Bibles dépensaient autant de temps à leurs corniches que font les architectes de nos églises ? Ainsi des belles-lettres et des beaux-arts, et de leurs professeurs. Voilà qui touche fort un homme, vraiment, de savoir comment sont inclinés quelques bouts de bois au-dessus ou au-dessous de lui, et de quelles couleurs sa case est barbouillée ! Cela signifierait quelque chose si, dans un esprit de ferveur, il les eût inclinés, il l’eût barbouillée ; mais l’âme s’étant retirée de l’occupant, c’est tout de même que de construire son propre cercueil, – l’architecture de la tombe –, et « charpentier » n’est que synonyme de « fabricant de cercueils ». Tel homme dit, en son désespoir ou son indifférence pour la vie : « Ramassez une poignée de la terre qui est à vos pieds, et peignez-moi votre maison de cette couleur-là. » Est-ce à sa dernière et étroite maison qu’il pense ? Jouez-le à pile ou face. Qu’abondant doit être son loisir ! Pourquoi ramasser une poignée de boue ? Peignez plutôt votre maison de la couleur de votre teint ; qu’elle pâlisse ou rougisse pour vous. Une entreprise pour améliorer le style de l’architecture des chaumières ! Quand vous aurez là tout prêts mes ornements je les porterai.
Avant l’hiver je bâtis une cheminée, et couvris de bardeaux les côtés de ma maison, déjà imperméables à la pluie, de bardeaux imparfaits et pleins de sève, tirés de la première tranche de la bille, et dont je dus redresser les bords au rabot.
Je possède ainsi une maison recouverte étroitement de bardeaux et de plâtre, de dix pieds de large sur quinze de long, aux jambages de huit pieds, pourvue d’un grenier et d’un appentis, d’une grande fenêtre de chaque côté, de deux trappes, d’une porte à l’extrémité et d’une cheminée de brique en face. Le coût exact de ma maison, au prix ordinaire de matériaux comme ceux dont je me servis, mais sans compter le travail tout entier fait par moi, fut le suivant : et j’en donne le détail parce qu’il est peu de gens capables de dire exactement ce que coûtent leurs maisons, et moins encore, si seulement, il en est, le coût séparé des matériaux divers dont elle se compose :
Planches |
$ 8 03 ½(25) |
(Planches de la cabane pour la plupart.) |
Bardeaux de rebut pour le toit et les côtés |
4 00 |
|
Lattes |
1 25 |
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Deux fenêtres d’occasion avec verre |
2 43 |
|
Un mille de vieilles briques |
4 00 |
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Deux barils de chaux |
2 40 |
(C’était cher.) |
Crin |
0 31 |
(Plus qu’il ne fallait.) |
Fer du manteau de cheminée |
0 15 |
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Clous |
3 90 |
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Gonds et vis |
0 14 |
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Loquet |
0 10 |
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Craie |
0 01 |
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Transport |
1 40 |
(J’en portai sur le dos une bonne partie.) |
En tout |
$ 28 12 ½ |
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C’est tout pour les matériaux, excepté le bois de charpente, les pierres et le sable, que je revendiquai suivant le droit du squatter(26). J’ai aussi un petit bûcher attenant, fait principalement de ce qui resta après la construction de la maison.
Je me propose de me construire une maison qui surpassera en luxe et magnificence n’importe laquelle de la grand’rue de Concord, le jour où il me plaira, et qui ne me coûtera pas plus que ma maison actuelle.
Je reconnus de la sorte que l’homme d’études qui souhaite un abri, peut s’en procurer un pour la durée de la vie à un prix ne dépassant pas celui du loyer annuel qu’il paie à présent. Si j’ai l’air de me vanter plus qu’il ne sied, j’en trouve l’excuse dans ce fait que c’est pour l’humanité plutôt que pour moi-même que je crâne ; et ni mes faiblesses ni mes inconséquences n’affectent la véracité de mon dire.
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