Une heure durant j’ai feint de l’écouter, et j’ai dû l’approuver d’autant plus que je le comprenais plus vaguement.

 

Ce grand navire – on eût dit qu’en doublant le môle il cédait à la vague et qu’il allait sombrer. Oui la dernière vague, lorsqu’il vira le coucha presque, mais puis, une suprême fois le soulevant, l’entra glorieusement dans le port.

Et, vers le soir, la mer, du côté de l’Agha, s’est faite de ce vert étrange, oriental, que j’admirais à Malte ou à Tunis.

– La lune, écartant d’une poussée de rayons les nuages, chemine en libre champ d’azur. La mer s’apaise, ou me trompé-je ? – tant sur elle impose de calme l’huile argentée de cette nocturne lueur.

 

Mercredi.

Je n’irai point chercher du côté de la mer ; mon regard fuit l’horreur de ces nuages qu’un coup de vent chassera vers le nord. Déjà, plein d’Apollon, le ciel exulte au-dessus de la ville haute. Ô rire des maisons ! profondeurs de l’azur ! Là-haut, dès que le soir viendra, je monterai – oui, jusqu’au pied de ce mur rose, le plus riant de tous, le plus haut, et que rien ne sépare du ciel que ce rameau nageant d’eucalyptus, au loin, que le vent balance. Mais, pareille à l’objet de nos désirs, de près paraîtras-tu si belle ? branche heureuse, et dont la lumière aujourd’hui, mieux que l’ondée d’hier, lave les feuilles.

 

Non ; c’est chose inutile. On peut revoir vingt fois le même lieu – jamais plus avec nouveauté. On regarde plus ; on voit moins. On comprend mieux peut-être… mais l’étonnement ravissant n’y est plus.

 

Jeudi.

Il va pleuvoir encore. Le ciel est lourd, l’air est pâteux. Par ce temps-là je ne puis guère écrire. C’est curieux ce que le moindre nuage au ciel répand d’ombre sur mes pensées…

 

Marché par désœuvrement, par tristesse, suivant le quai, jusqu’au quartier de Saint-Eugène. Un ciel noir ; de la pluie sur la mer et que le vent pousse vers nous. Dieux ! qu’a-t-on fait d’Alger la blanche ? De cet écroulement léger, neigeux… un dépotoir ! Tant de neige, ici, fond en boue. Sur des déchets puants, des masures que hante un peuple guenilleux. Une flache croupie où des enfants sans joie, pieds nus, pataugent. Puis déjà, car ces hideurs-là ne sont que hideurs provisoires, la hideur plus néfaste encore des chantiers, des chais, des dépôts.

Mais ce paysage aujourd’hui exalte et soutient ma tristesse. Le soir tombe. Suivant les quais toujours, je m’écoute lire Virgile ; je regarde et j’écoute la vague dont le vent chasse vers moi l’embrun.

 

Jeudi soir.

De cette porte qui lui fait face, du môle de l’Amirauté, j’imagine la vieille Alger comme la montrent encore quelques estampes, laissant tremper ses pieds nus dans la mer. Ces quais monumentaux, ces bâtisses derrière quoi s’ensevelit la Mosquée de la Pêcherie, ces entrepôts hideux, ces chais, ces vaisseaux noirs, mon regard les supprime et ne met que du vert et du blanc à la place : – L’étroite bande de terrain, qui relie cet îlot du môle à la ville, laissait par-dessus soi revoir la mer ; où cessait le rocher la terre était très verdoyante. Quelques maisons au bord de l’eau, mais rares. Pour gagner la mer, un ravin. Au bord de ce ravin penchées, des maisons blanches laissent tomber vers la mer un sentier… Je l’imagine au soir et, comme il mène à la fontaine, je vois des femmes le suivant. La fontaine est près de la mer où des felouques vont et viennent…

Hélas ! hélas ! la blanchissante Alger n’est plus.

 

Que cherchent ces enfants dans ce compost, comme des poules ? Ce n’est perle ni grain de mil. Les guenilles qui mal les couvrent ont couvert tant de fois tant d’autres, que ces débris, ces restes, ces déchets, dont tant d’autres se sont servis, pourront bien leur servir encore.

 

Il y avait là-haut, dans une rue point très secrète, mais dans tel pli secret de la rue, un tout petit café… Je le vois. – Au fond de ce café, en contrebas, commençait une seconde pièce, étroite semblait-il, et prenant jour sur le café, de la place où j’étais, on ne la voyait pas tout entière ; elle continuait en retrait. Parfois un Arabe y descendait, qui venait tout droit de la rue et que je ne voyais plus reparaître. Je suppose qu’au fond du réduit un escalier secret menait vers d’autres profondeurs…

Chaque jour j’attendais, espérant en voir davantage. Je retournais là tous les jours. J’y retournai le soir ; j’y retournai la nuit.