Ah ! délicieuse brûlure ! – Ah ! ah ! tant de lumière absorbée puisse-t-elle donner un aliment neuf à ma fièvre, plus de richesse à ma ferveur, plus de chaleur à mon baiser !
VIII
Défaisant nos souliers qui s’emplissaient de sable, nous pûmes gravir, en un énorme effort, la dune que nous avions atteinte, et qui nous fermait l’horizon.
Dune mouvante ; nous savions, pour y arriver, quel pays rauque, quels ravins sans eau, quelles ronces sans fleurs. Le sable, que le vent chassait vers nous, nous aveuglait. Quand nous dûmes gravir la dune, il cédait, se supprimait sous nos pas ; le pied entrait, il semblait que nous demeurassions immobiles, ou que la dune entière se reculât. Et, bien qu’elle ne fût pas haute, il nous fallut beaucoup de temps pour la gravir.
De l’autre côté de la dune le pays était plus vaste encore, sinon exactement pareil. Exténués, dans un pli d’ombre nous nous assîmes, et un peu abrités du vent. Tout en haut de la dune, le vent qui soulevait et repoussait le sable en modifiait incessamment la crête.
Autour de nous, sur nous, sur chaque chose, léger comme un silence, on entendait la chute imperceptible du sable. Nous en fûmes bientôt couverts… Nous repartîmes.
IX
La route d’ombre et de mi-jour serpente entre les jardins clos.
Murs d’argile ! je vous louerai, car la profusion des jardins vous déborde ; murs bas ! la branche de l’abricotier n’en a cure ; elle passe outre ; elle s’élance ; elle flotte sur mon sentier. Murs de terre ! au-dessus de vous les palmiers inclinés se balancent ; les palmes ombragent mon sentier. D’un jardin à l’autre, à travers mon sentier, sans crainte de vous, murs croulants ! les ramiers voletants se visitent. – Par une brèche un pampre glisse ; se redresse et sur le fût du palmier bondit ; il s’enroule, l’entoure, le presse ; gagne un abricotier, s’y établit ; s’y balance, s’y replie, s’y divise ; y étend sa ramure élargie. Oh ! dans quel mois brûlant, quel svelte enfant grimpé dans l’arbre, tendra-t-il vers ma main, pour ma soif, une lourde grappe cueillie ?
… Murs d’argile, sans me lasser, espérant qu’enfin vous cédiez, je vous longe.
Une séghia{1} suit le mur d’argile ; elle coule le long du sentier. Le mur emplit le sentier d’ombre. Dans le jardin j’entends sourire et bruire des propos charmants… ô beau jardin !
Soudain l’eau fuit ; perçant le mur, elle entre ; elle s’avance dans le jardin ; au passage un rayon la perce ; – le jardin est plein de soleil.
Murs de terre ! murs détestés ! mon désir incessant vous assiège ; je finirai bien par entrer.
X
Enfoncée dans le mur de terre se dissimule une petite porte de bois.
Nous arriverons devant cette petite porte basse dont un enfant aura la clef ; on se baissera ; on se fera petit pour entrer. Oh ! dirons-nous, – oh ! c’est ici un lieu tranquille. Oh ! nous ne savions pas qu’on pût si bien se reposer, trouver un lieu si calme sur la terre… Apportez-nous des flûtes et du lait – nous nous étendrons sur des nattes ; du vin de palme et des dattes ; nous resterons ici jusqu’au soir. – Un vent léger fuit dans les palmes ; l’ombre hésite ; le soleil rit ; sous les abricotiers géants bleuissent les fossés d’eau jaunâtre ; les figuiers rampent ; mais ce qui nous charme surtout c’est la grâce des lauriers-roses.
Ne bougeons plus ; laissons le temps se refermer comme une onde, comme une onde où l’on jette un caillou ; le trouble que nous avons fait en entrant s’écarte comme la ride de l’onde : laissons se refermer sur ce monde la surface égale du temps.
XI
Nous nous étions levés ce matin-là de très bonne heure, pour, avant la chaleur, avoir pu nous avancer très loin. – Oh ! comme l’oasis interminablement se prolonge ! Jusques à quand marcher, pris entre les murs des jardins ? – Je sais que vers l’extrémité de l’oasis tous ces murs cessent, que le sentier hésite entre les libres troncs des palmiers. – Les palmiers peu à peu s’espacent ; on dirait qu’ils s’attardent, ou qu’ils se sont découragés. – Plus désolément leur fût moins entouré se balance… Quelques rares encore. Entre eux le pays s’ouvre. – L’oasis est finie. Plus rien ne sépare de notre œil l’horizon dégarni. –
Arrêtons-nous ! Le grand désert ici déferle.
– Arrêtons-nous. –
Vois ! sur la rousse mer immobile flotter, semblables à des îles, les immobiles oasis.
Derrière nous, le pan de roc ardent où les souffles du nord s’arrêtent ; parfois un nuage passe, flocon blanc ; il hésite, se défait, s’échevèle, se laisse absorber par l’azur.
Plus loin, au-dessus du mur chaud, derrière nous, la montagne où l’azur ruisselle.
Devant nous, rien ; – le vide nuancé du désert.
XII
Mopsus à Ménaïque.
Si Damon pleure encore Daphnis, si Gallus Lycoris – qu’ils viennent ; je guiderai leurs pas vers l’oubli. – Ici nul aliment à leur peine ; un grand calme sur leur pensée. – Ici, plus voluptueuse et plus inutile est la vie, et moins difficile la mort.
Feuilles de route
MARS-AVRIL 1896
À l’automne d’il y a trois ans, notre arrivée à Tunis fut merveilleuse. C’était encore, bien que déjà très abîmée par les grands boulevards qui la traversent, une ville classique et belle, uniforme harmonieusement, dont les maisons blanchies semblaient s’illuminer au soir, intimement, comme des lampes d’albâtre.
Dès qu’on quittait le port français, on ne voyait plus un seul arbre ; on cherchait l’ombre dans les souks, ces grands marchés voûtés ou couverts d’étoffes et de planches ; il n’y pénétrait plus qu’une lumière réfléchie les emplissant d’une atmosphère spéciale ; ces souks paraissaient, souterraine, une seconde ville dans la ville, – et vastes à peu près comme un tiers de Tunis. – Du haut de la terrasse où P. L. allait peindre, on ne voyait jusqu’à la mer qu’un escalier de blanches terrasses coupées de cours comme des fosses où s’étirait l’ennui des femmes.
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