Au soir, tout le blanc était mauve et le ciel était couleur de rose thé ; au matin, le blanc devenait rose sur un ciel légèrement violet. – Mais après les pluies de l’hiver, les murs végètent ; des mousses vertes les couvrent et le bord des terrasses semble celui d’une corbeille de fleurs.

J’ai regretté la blanche, sérieuse, classique Tunis de l’automne, qui me faisait penser, le soir, errant dans ses rues régulières, à l’Hélène du second Faust, ou à Psyché, « la lampe d’agate à la main », errant dans une allée de sépultures.

On plante des arbres dans les rues larges et sur les places. Tunis en sera plus charmante, mais rien ne la pouvait autant défigurer. Il y a deux ans, la rue Marr, la place des Moutons étaient encore telles qu’on ne s’y savait où transporté, et que l’Orient le plus extrême, l’Afrique la plus secrète n’eussent pas eu, je crois, goût d’étrange plus stupéfiant. Une forme de vie différente et que tout réalise au-dehors, très pleine, antique, classique, établie ; pas de compromis encore entre les civilisations de l’Orient et la nôtre qui paraît laide surtout quand elle veut réparer. – Des plaques de tôle ou des feuilles de zinc remplacent peu à peu les claies de roseau, toitures des souks, et des réverbères répartissent par sursauts la lumière, sur les murs où naguère l’égale clarté des nuits s’épandait, – sur cette grande place des Moutons, sans trottoirs, silencieuse, merveilleuse, où, il y a deux ans, dans la tiédeur des nuits de pleine lune, auprès des troupeaux de chameaux, des Arabes venaient dormir.

– On a fait des trottoirs dans les souks. De l’une des plus belles allées, la base des colonnettes qui soutiennent la voûte est enfouie. Des colonnettes torses, vert et rouge, au chapiteau massif ouvragé. La voûte est blanc de chaux, mais à peine éclairée. Même par les plus splendides journées, ces souks sont toujours demi-sombres.

L’entrée des souks est merveilleuse ; je ne parle point du portique de la mosquée, mais de cette autre entrée, étroite, retirée – abritée par un jujubier qui se penche et fait un préambule d’ombre à la petite allée ténébreuse, tournant court et qu’aussitôt l’on perd de vue. Mais le jujubier, couvert de feuilles à l’automne, n’en a pas encore au printemps. – C’est le souk des selliers qui commence ; l’allée tourne, puis interminablement continue.

Au souk des parfums, Sadouk-Anoun est toujours assis en savetier dans sa boutique, petite comme une niche, au plancher à hauteur d’appui, encombrée de fioles ; mais les parfums qu’il vend sont aujourd’hui falsifiés. J’ai donné à P. V., en rentrant à Paris, les deux derniers flacons authentiques, que j’ai vu Sadouk-Anoun lui-même remplir avec une pipette, d’essence de pomme et, goutte à goutte, d’ambre précieux. Il ne les entoure plus aujourd’hui, demi-pleins d’une marchandise plus commune, si minutieusement de cire vierge et de fil blanc, et ne me les fait plus payer si cher. Il y a trois ans, sa minutie nous amusait ; elle semblait donner du prix aux choses. À chaque enveloppe surajoutée, le parfum devenait plus rare. Enfin, nous l’arrêtâmes ; notre bourse n’y eût pas suffi.

– J’ai vainement aussi cherché ce café sombre, où ne venaient que les grands nègres du Soudan. Certains avaient l’orteil coupé en signe de servitude. Ils portaient, la plupart, piquée sous leur turban, une petite touffe de fleurs blanches, de jasmins odorants ; cette touffe revient contre la joue comme une boucle de cheveux romantique et donne à leur visage l’expression d’une langueur voluptueuse. Ils aiment le parfum des fleurs tellement que parfois, ne les respirant ainsi pas assez fortement à leur gré, ils en entrent des pétales froissés dans leurs narines. – Dans ce café, l’un d’eux chantait, un autre contait des histoires ; et des colombes voletaient et se posaient sur leurs épaules.

 

Tunis, 7 mars.

Des petits enfants voient cela, rient, se répètent les obscènes mimiques de Caracous{2}. – Difficile gymnastique de l’esprit : qu’il se réforme jusqu’à retrouver cela naturel… Le public d’enfants, rien que d’enfants, la plupart tout petits, qu’en pense-t-il ?

Les Français ne vont pas là ; ils ne savent pas y aller ; ce sont de petites boutiques sans aspect ; on s’y faufile par une porte basse. Les Français vont régulièrement à des paradeurs à côté, qui font grand train et n’attirent que des touristes ; les Arabes savent à quoi s’en tenir et que c’est vraiment peu de chose, ce cheval de carton, qui danse, ce chameau de bois et d’étoffe, qui danse aussi, très drôlement certes, mais d’une manière toute foraine. Il y a là, auprès, une boutique de Caracous traditionnelle, classique, simple, on ne peut plus simple, d’une convention scénique admirable, – où Caracous se cache au milieu de la scène, entre deux gendarmes qui le cherchent, simplement parce qu’il baisse la tête et ne peut plus les voir ; – et les enfants acceptent, comprennent et rient.

 

Caracous. – Petite salle longue, boutique-échoppe dans la journée, que le soir on défonce ; une petite scène, au rideau de transparente toile, s’établit au fond pour les ombres. Perpendiculaires à la scène, deux bancs le long des murs. Là sont les places de faveur. Le milieu de la salle s’emplit d’enfants très jeunes qui s’assoient à terre et se bousculent. On mange quantité de graines de melon séchées dans du sel, friandise si provocante que ma poche chaque soir s’en vide, qu’au matin pour deux sous j’ai remplie.