Attente de Dieu
Simone Weil (1909-1943)
Philosophe française
Attente de Dieu
[Lettres écrites du 19 janvier au 26 mai 1942.]
Paris: Éditions Fayard, 1966, 256 pp.
Présentation du livre
(Quatrième de couverture)
Ce livre nous apprend le vrai sens de l'illumination qui a fait passer Simone Weil d'un agnosticisme anticlérical à une recherche religieuse qui n'a plus cessé jusqu'à sa mort.
Il apporte aussi la réponse à des questions qu'un public de plus en plus étendu, et de tous les pays, n'a cessé de se poser en lisant les différentes publications posthumes qui se sont succédées (le façon désordonnée durant ces quinze dernières années.
Le titre Attente de Dieu désigne bien l'attitude spirituelle fondamentale de Simone Weil. À condition de l'entendre, non dans un sens passif et définitif, mais comme l'ardente "vigilance du serviteur tendu vers le retour du maître" comme le stade provisoire d'une recherche qui préfère au plaisir de la chasse l'écoute de la vérité en une intime communion. L'expérience intérieure s'exprime donc dans ces pages avec le double accent de l'intensité et de l'inachevé. C'est un dialogue avec soi-même, avec les autres, avec Dieu, jusqu'aux niveaux les plus profonds et les plus émouvants de l'existence, dans lequel le lecteur se sent constamment interpellé et entraîné.
Née à Paris le 3 février 1909, Simone Weil a été élevée dans un complet agnosticisme. Elle éprouve un sens aigu de la misère humaine, qui engendre en elle le plus vif sentiment de compassion envers les pauvres, les travailleurs, les déshérités. Elle est anti-religieuse, militante syndicaliste, éprise de la révolution prolétarienne, mais indépendante de tout parti. Jeune agrégée de philosophie, elle partage son salaire avec des chômeurs. En 1934, elle abandonne sa chaire de professeur et se fait ouvrière. En 1936, elle s'engage dans la guerre d'Espagne. En 1938, une illumination transforme sa vie : "Le Christ est descendu et m'a prise.". En 1941, réfugiée dans le midi, elle fait la connaissance des Dominicains de Marseille et de Gustave Thibon ; elle diffuse Témoignage chrétien. En 1942, elle s'embarque pour New-York avec ses parents ; elle n'a de cesse de servir, à Londres, où elle arrive fin novembre 1942. Mais la souffrance morale, intellectuelle, physique l'achemine rapidement à l'hôpital, puis au sanatorium d'Ashford, où elle meurt le 24 août 1943.
De toute son œuvre, ces pages spontanées et brûlantes sont des plus propres à communiquer ce qu'elle appelait ses "intuitions pré-chrétiennes" et à faire comprendre ses hésitations personnelles devant le baptême sacramentel.
Préface
Par J.-M. Perrin
Ces textes, rassemblés sous le titre, Attente de Dieu, sont parmi les plus beaux que Simone Weil m'ait laissés ; ils ont tous été composés entre janvier et juin 1942 ils se rattachent tous, de plus ou moins loin, au dialogue que, depuis le mois de juin précédent, nous poursuivions ensemble à l'écoute de la Vérité, elle, attirée par le Christ, moi, prêtre depuis treize ans.
En 1949 j'avais consenti à publier ces textes et surtout la correspondance - qui en est la partie la plus belle - afin de faire connaître les pages les plus éclairantes de son expérience intérieure et de sa personnalité ; mais la raison de cette publication était surtout, comme Simone en avait exprimé explicitement le désir lors de nos diverses rencontres, de donner à d'autres la possibilité d'entrer dans ce dialogue. Nous en avions parlé souvent, j'en suis témoin, et c'est dans cet esprit qu'elle me donna ces textes et ceux d'Intuitions pré-chrétiennes. Dans sa lettre d'adieu, elle m'écrivait, me parlant de ses pensées : « Je ne vois que vous dont je puisse implorer l'attention en leur faveur. Votre charité, dont vous m'avez comblée, je voudrais qu'elle se détourne de moi et se dirige vers ce que je porte en moi, et qui vaut, j'aime à le croire, beaucoup mieux que moi. »
J'ai choisi le titre Attente de Dieu, parce qu'il était cher à Simone ; elle y voyait la vigilance du serviteur tendu vers le retour du maître. Ce titre exprime aussi le caractère inachevé qui, à cause même des nouvelles découvertes spirituelles qu'elle fit alors, tourmentait Simone.
Ce rappel, si bref soit-il, est d'autant plus nécessaire que nous ne sommes pas, ici, en face de textes destinés à être publiés et conçus pour vivre en quelque sorte indépendamment de leur auteur. Ces textes, au contraire, les lettres surtout, font, si l'on peut ainsi dire, partie d'elle-même et on ne peut les comprendre sans les situer dans sa recherche, dans son évolution, et même dans le dialogue où elle s'était engagée.
Simone Weil est née à Paris, le 3 février 1909. Elle ne reçut aucune éducation religieuse : « J'ai été élevée par mes parents et par mon frère dans un agnosticisme complet », m'écrivait-elle (Let. IV). Un des traits dominants de son enfance fut un amour compatissant pour les malheureux ; elle avait cinq ans environ lorsque la guerre de 1914 et le marrainage d'un soldat lui firent découvrir la misère. Elle ne voulut plus prendre un seul morceau de sucre afin de tout envoyer à ceux qui souffraient au front. Pour comprendre le caractère extraordinaire de cette compassion - qui sera un des traits dominants de sa vie - il faut se souvenir de l'aisance matérielle, de la largeur d'esprit et de l'affection dont ses parents ne cessèrent de l'entourer.
La précocité de son intelligence lui valut tous les succès scolaires. C'est au lycée Duruy qu'elle fit son année de philosophie afin d'y recevoir l'enseignement de Le Senne ; à Henri-IV elle prépara le concours d'entrée à Normale et reçut profondément l'influence d'Alain. Elle avait dix-neuf ans quand elle fut reçue au concours de Normale et vingt-deux quand elle passa son agrégation : 1928-1931.
Pendant les années d'école, elle se montra vivement « antitala » ; elle était même assez antireligieuse pour se brouiller quelques mois avec une camarade qui se convertissait au catholicisme. Elle abordait la vie d'enseignante et son action humaine dans un complet agnosticisme, ne voulant se poser le problème de Dieu et ne pouvant résoudre l'énigme de la destinée. À cette époque, elle entra en contact avec le mouvement syndicaliste et la Révolution prolétarienne. Désormais elle ne cessera de collaborer à ces mouvements, sans toutefois s'inscrire à aucun parti. jamais elle ne me parla des personnalités importantes qu'elle eut l'occasion de rencontrer ou d'aider, ni du rôle qu'elle eut à jouer ; elle savait ma pensée : si un prêtre se sent lié à tout le progrès humain, il doit se tenir aussi loin que possible de toute question politique.
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