Des ballots de marchandises sombres montaient jusqu’aux solives. L’odeur des draps et des teintures, une odeur âpre de chimie, semblait décuplée par l’humidité du plancher. Au fond, deux commis et une demoiselle rangeaient des pièces de flanelle blanche.
― Peut-être ce petit monsieur-là prendrait-il volontiers quelque chose ? dit madame Baudu en souriant à Pépé.
― Non, merci, répondit Denise. Nous avons bu une tasse de lait dans un café, devant la gare.
Et, comme Geneviève regardait le léger paquet qu’elle avait posé par terre, elle ajouta :
― J’ai laissé notre malle là-bas.
Elle rougissait, elle comprenait qu’on ne tombait pas de la sorte chez le monde. Déjà, dans le wagon, dès que le train avait quitté Valognes, elle s’était sentie pleine de regret ; et voilà pourquoi, à l’arrivée, elle avait laissé la malle et fait déjeuner les enfants.
― Voyons, dit tout d’un coup Baudu, causons peu et causons bien... Je t’ai écrit, c’est vrai, mais il y a un an ; et, vois-tu, ma pauvre fille, les affaires n’ont guère marché, depuis un an...
Il s’arrêta, étranglé par une émotion qu’il ne voulait pas montrer. Madame Baudu et Geneviève, l’air résigné, avaient baissé les yeux.
― Oh ! continua-t-il, c’est une crise qui passera, je suis bien tranquille... Seulement, j’ai diminué mon personnel, il n’y a plus ici que trois personnes, et le moment n’est guère venu d’en engager une quatrième. Enfin, je ne puis te prendre comme je te l’offrais, ma pauvre fille.
Denise l’écoutait, saisie, toute pâle. Il insista, en ajoutant :
― Ça ne vaudrait rien, ni pour toi, ni pour nous.
― C’est bien, mon oncle, finit-elle par dire péniblement. Je tâcherai de m’en tirer tout de même.
Les Baudu n’étaient pas de mauvaises gens. Mais ils se plaignaient de n’avoir jamais eu de chance. Au temps où leur commerce marchait, ils avaient dû élever cinq garçons, dont trois étaient morts à vingt ans ; le quatrième avait mal tourné, le cinquième venait de partir pour le Mexique, comme capitaine. Il ne leur restait que Geneviève. Cette famille avait coûté gros, et Baudu s’était achevé, en achetant à Rambouillet, le pays du père de sa femme, une grande baraque de maison. Aussi toute une aigreur grandissait-elle, dans sa loyauté maniaque de vieux commerçant.
― On prévient, reprit-il en se fâchant peu à peu de sa propre dureté. Tu pouvais m’écrire, je t’aurais répondu de rester là-bas... Quand j’ai appris la mort de ton père, parbleu ! je t’ai dit ce qu’on dit d’habitude. Mais tu tombes là, sans crier gare... C’est très embarrassant.
Il haussait la voix, il se soulageait. Sa femme et sa fille restaient les regards à terre, en personnes soumises qui ne se permettaient jamais d’intervenir. Cependant, tandis que Jean blêmissait, Denise avait serré contre sa poitrine Pépé terrifié. Elle laissa tomber deux grosses larmes.
― C’est bien, mon oncle, répéta-t-elle. Nous allons nous en aller.
Du coup, il se contint. Un silence embarrassé régna. Puis, il reprit d’un ton bourru :
― Je ne vous mets pas à la porte... Puisque vous êtes entrés maintenant, vous coucherez toujours en haut, ce soir. Nous verrons après.
Alors, madame Baudu et Geneviève comprirent, sur un regard, qu’elles pouvaient arranger les choses. Tout fut réglé. Il n’y avait point à s’occuper de Jean.
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