Au coeur de la Terre-Pellucidar


club du livre d’anticipation
24, RUE DE MOGADOR – PARIS IXe


introduction
PAR FRANCIS LACASSIN
DERRIÈRE Ulysse, Homère. Derrière Robinson Crusoé, Daniel de Foe. Derrière Rocambole, Ponson du Terrail. Derrière Fantômas, Souvestre et Allain. Le contraire, jamais.
Les littératures qui sacrifient la psychologie à l’étrange, et confondent l’imaginaire et le merveilleux, ont pour privilège d’engendrer des mythes dont la présence parvient à occulter celle de leurs créateurs. En ce domaine, il s’agit moins d’auteurs que d’inventeurs. Un auteur conserve la disposition exclusive de son personnage. Une invention échappe à l’inventeur et son usage répandu, familier, banal fait oublier les mérites qui l’ont rendue possible.
C’est pourquoi la célébrité du créateur est souvent inversement proportionnelle à celle connue par le mythe. Qu’il meure et les éditeurs ingrats oublieront, comme pour Robinson Crusoé, de signer parfois son chef-d’œuvre. Que passent deux siècles et derrière la Belle au Bois Dormant, les exégètes découvriront successivement Charles Perrault, le fils de Perrault, la nourrice du fils de Perrault. Que trente siècles s’écoulent et derrière l’Odyssée ils ne trouveront personne.
Derrière Tarzan donc, Burroughs. Mais Tarzan ne représente qu’un peu plus du tiers de l’œuvre d’Edgar Rice Burroughs : vingt-six volumes sur soixante-huit. Parmi les quarante-deux autres figurent : quatre romans « sentimentaux » ; quatre d’aventures diverses ; un récit historique, quatre westerns et vingt-neuf ouvrages de science-fiction. Onze de ces derniers relatent l’épopée martienne ; sept ont pour théâtre le monde intérieur : Pellucidar ; quatre forment le cycle de Vénus ; un concerne les rapports Lune-Terre ; six traitent de sujets divers.
Huit seulement de ces vingt-neuf ouvrages de science-fiction ont été traduits en français, contre seize Tarzan sur vingt-six. Alors oublions l’homme-singe, les romans emplis de ses exploits, les dix ou douze mille bandes dessinées qui les prolongent, les trente-six films qui souvent l’ont défiguré, les millions de maillots, articles de sport, jouets, cigarettes, boîtes d’allumettes, chewing-gums, crèmes glacées, couteaux, flèches qu’il a contribué à faire vendre. Oublions le mythe au profit de l’auteur qu’il a rejeté dans l’ombre en compagnie de quelques prestigieux rivaux : John Carter le conquérant de Mars, Julian, héros de la résistance aux Lunaires, Carson Napier, égaré sur Vénus ou David Innes, empereur de Pellucidar.
Avant qu’elle ne s’évanouisse telle une photographie pâlie et mal fixée, avant que les exégètes du futur n’en contestent la réalité, regardons l’existence d’Edgar Rice Burroughs, l’un des auteurs les plus lus et les plus méconnus du monde.
À sa naissance, survenue à Chicago le 1er septembre 1875, sa mère Mary Evaline Zeiger et son père George Tyler Burroughs lui donnèrent pour second prénom le nom de son ancêtre Deacon Edmund Rice (1594-1663) colonisateur du Massachusetts, affirmant ainsi la pure appartenance américaine de la famille, et, en quelque sorte son patriotisme. George T. Burroughs, durant la guerre de Sécession, avait servi avec le grade de major dans les troupes de l’Union, avant de venir exercer à Chicago la profession de distillateur. (Le produit de son activité n’était pas destiné à rafraîchir les gorges sèches, mais à alimenter les batteries électriques.)
De cette enfance, ne demeure que le sec résumé des étapes scolaires. La famille Burroughs, encore aisée à cette époque, aurait pu assurer à Edgar une éducation comparable à celle de ses deux aînés. Mais deux épidémies successives (de typhoïde et de grippe) amenèrent le transfert du jeune Edgar de la select Brown School à la Maplehurst School, seul établissement sain du West Side en ces temps miasmiques, puis à la Harvard School.

Finalement, il se retrouva dans l’air pur de l’Idaho. Délivré des servitudes scolaires, il vécut la vie de la ferme, où ses frères élevaient du bétail, participant au rassemblement des bêtes, portant des éperons mexicains vaguement argentés, munis d’énormes molettes qui éraflaient les parquets et annonçaient de loin son arrivée. Une de ses occupations favorites consistait à faire le service du courrier entre le ranch et le chemin de fer à American Falls. Tantôt à cheval, tantôt avec un chariot attelé en cas de chargement à ramener, il accomplissait soixante miles aller et retour dans la journée, goûtant l’ivresse de la solitude et des grands espaces. Ce genre de mission n’était pas sans danger.
« L’Ouest de cette époque – précise-t-il – était encore un tout petit peu sauvage, et je rencontrais des assassins, des voleurs, et autres mauvais garçons. Je suppose qu’ils devaient constituer quelque autre épidémie, car je me retrouvai bientôt à Andover, à la Phillips Academy. Quoique élu président de ma classe, je ne sympathisai guère avec celui qui faisait la loi dans la maison. Il me renvoya au début du second semestre. »
Alors intervint son père. L’ancien officier de la guerre de Sécession, jugeant qu’un seul exutoire s’offrait au tempérament de son fils, décida qu’il suivrait la carrière des armes. Burroughs se retrouva ainsi à l’Académie militaire du Michigan, alors commandée par le Capitaine Charles King, auteur réputé d’histoires militaires dont Burroughs devait dire : « C’est l’homme qui a été l’inspirateur de toute ma vie par ses extraordinaires qualités de cavalier, de soldat et d’ami. Mais l’inspiration que je lui dois n’a rien à voir avec mes livres.
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