Il m’a donné le désir d’être un bon soldat. »
Pour Burroughs, l’Académie est comme un havre dans sa vie instable. Il s’y réfugie durant cinq ans. Il prépare l’examen d’entrée à West Point, mais se classe dans les derniers. À la rentrée, il retourne à l’Académie où il devient à la fois instructeur de tir et professeur de géologie, matière dont il ignore tout. Peu à peu, le désenchantement le gagne. Il souffre de son nouvel isolement et, après un an, il abandonne. Il se résigne à la condition d’homme de troupe, s’engage dans l’armée américaine et se retrouve à Fort Grant, dans l’Arizona. Là, toutes les conditions de l’Aventure paraissent rassemblées : Apaches turbulents, bandits, attaques et pillages. Hélas, le cavalier Burroughs passe son temps à des corvées. C’est des seuls récits des « old timers » de la région qu’il tirera plus tard la matière de ses quatre westerns. Mais il est atteint d’une insuffisance cardiaque. On envisage sa réforme, mais son père le fait libérer en arguant du fait qu’il n’avait pas la majorité requise pour s’engager.
Le voici, en 1896, libéré du service, ayant toute la vie devant lui et ne sachant comment l’employer. Ses parents traversent une période de gêne, il devra se débrouiller seul. Le soupçon qu’il pourrait aborder une carrière littéraire ne l’effleure même pas et, au contraire de bien des jeunes gens de son âge, l’obsession des repas réguliers lui importe plus que la poursuite d’une gloire chimérique dont le sépare un purgatoire de dix-huit années.
Il semble que chez l’écrivain d’imagination – ce fut le cas de Wells, Jack London, et dans une certaine mesure de Conan Doyle – le talent, sinon la célébrité, ne s’acquiert qu’au prix de longues épreuves sordides, au terme d’une existence usée à résoudre des problèmes de ressemelage de chaussures, de faux-cols convenables et d’accrocs à dissimuler. Il semble que, vaincu et humilié dans sa vie quotidienne, le romancier naissant mobilise son énergie, sa puissance, sa séduction, pour triompher dans cette vie rêvée que refléteront ses livres. Plus la première est terne et plus la seconde est somptueuse et grisante.
Au futur auteur de Tarzan, ces épreuves, ces humiliations, ces défaites d’où l’imagination ressort trempée n’allaient pas manquer.
Mais le 11 janvier 1900, il épouse Emma Centennia Hulbert, fille du colonel Alvin Hulbert, propriétaire d’une importante chaîne d’hôtels de Chicago. Sa jeune femme a vingt-quatre ans. Elle est née au premier jour de l’année du centenaire des États-Unis, ce qui explique son second prénom. On reste entre vieux Américains. Les deux familles invitent régulièrement à leur table le jeune ménage. Burroughs est alors trésorier à l’American Battery. L’existence est moyenne, terne et le jeune chef de famille en rejette brusquement le fardeau en 1903, cédant à l’appel de l’Ouest.
Son frère aîné, George, lui a fait miroiter un emploi dans une entreprise de dragage d’or qu’il a installée dans l’Idaho. Même s’il se borne à tamiser le sable d’une rivière ou à en gratter le lit, le métier de prospecteur s’auréole du prestige de l’Aventure. Dès leur arrivée, les jeunes époux plantent sur une colline la tente du foyer conjugal, en attendant qu’Edgar construise me cabane avec le bois qui ne manque pas alentour.
Mais tous ceux qui ont cédé à l’appel de l’Ouest ont toujours éprouvé le besoin d’aller chercher l’Ouest toujours plus loin. Pour les Burroughs, la prochaine étape est l’Oregon, et l’objectif une nouvelle exploitation d’or que le second des frères, Henry, a établie sur la Snake River. Ils y parviennent au crépuscule, dans un chariot débordant d’ustensiles, avec un chien colley et quarante dollars. Plutôt que de rester enfermé dans la chambre d’hôtel froide et triste, il préfère aller prendre un verre au saloon et là, dans la chaleur et l’éclat des lumières, il tente sa chance au jeu. À un certain moment de la soirée, les quarante dollars sont devenus des centaines. Mais vers minuit, lorsqu’il regagne la chambre, il ne lui reste que le chien colley. Et comme la prospection s’avère chaque jour moins fructueuse, il s’interroge sur l’étape suivante.
Son frère Henry, pour le dédommager, l’a recommandé pour un emploi de policier des chemins de fer à Salt Lake City.
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