Une photographie d’époque le montre une badine à la main, la moustache en crocs, manifestement à l’aise dans son uniforme. Sa mission consiste à expulser avec énergie les clochards qui cherchent à s’introduire dans les trains.
Jack London vivait cette existence à la même époque, mais de l’autre côté de la barrière et il l’a décrite dans ses « Vagabonds du rail ».
Ce métier de Cerbère nourrit très mal Burroughs qui forme de nouveaux projets d’évasion. Mais (cruelle ironie !) il ne dispose pas d’assez d’argent pour un billet de train. Le ménage vend alors les meubles et s’embarque pour Chicago. Burroughs y retrouve la pauvreté familière. Pendant deux ans, il s’essaye à la vente avant de se retrouver chef de service chez Sears and Robuck. C’est alors la naissance du premier enfant, Joan.
Encore deux ans et, en 1908, avec un associé, Burroughs se lance dans me téméraire entreprise de vente et d’enseignement commercial par correspondance. Celle-ci se solde par un fiasco aux conséquences douloureuses. Père depuis peu d’un second enfant, Burroughs doit mettre en gage les bijoux de sa femme et sa montre.
Le voici au service d’une drogue antialcoolique. Son emploi consiste à relever les annonces dans la presse et dans les revues, « pulps » aux couvertures et au contenu fracassants. Burroughs est très vite fasciné par ces histoires et par l’emprise qu’elles exercent sur le public. Il se propose alors d’en rédiger lui-même. Mais il lui faut pour cela disposer d’un peu plus de temps. Il quitte la drogue antialcoolique, et les bureaux d’un fabricant de taille-crayons, beaucoup plus calmes, lui assurent la tranquillité nécessaire pour confier au papier, à l’automne 1911, les premières images d’un rêve partagé depuis plus de trente ans par des millions de lecteurs.
DEJAH TORIS, MARTIAN PRINCESS est l’ouverture d’une fresque épique curieusement située sur Mars, et décrivant les amours et les combats d’un Terrien dont la présence sur la planète rouge est purement fortuite. Se plaçant délibérément dans le surréel et se privant de la béquille d’une explication scientifique à la Jules Verne, Burroughs imagine que son héros John Carter, ex-officier sudiste – ou plutôt sa psyché – s’est réincarné sur la planète Mars le 3 Mars 1866, abandonnant sa dépouille charnelle sur le sol d’une caverne de l’Arizona hantée par les esprits, où il s’était réfugié pour échapper à des Apaches. Sur l’astre déchiré par les ambitions de races étrangement dissemblables, il alterne chevauchées et coups d’épées, terminant sa conquête par celle d’une belle princesse. Il s’apprêtait à vivre heureux auprès d’elle et de leurs nombreux enfants, quand l’explosion de l’usine réglant l’atmosphère martienne le renvoie dans la grotte de l’Arizona où il revêt à nouveau son vêtement de chair. Le naufragé de l’espace s’enferme ensuite dans la solitude d’une ferme des rives de l’Hudson où la mort mettant fin à ses dernières années passées dans le souvenir de son évasion terrestre, il est transporté dans un tombeau qui, selon sa volonté formelle, ouvre et ferme à clé de l’intérieur.
Ayant rédigé la moitié de cette étrange histoire, Burroughs l’envoie à Thomas Newell Metcalf alors rédacteur en chef du magazine mensuel « All Story ». Il attend sa réponse sans trop d’illusions ni d’impatience. Son geste n’obéit à aucune illumination mystique qui lui aurait dévoilé sa véritable personnalité. Il exprime simplement une nouvelle tentative pour récupérer quelque argent, s’ajoutant à une longue liste d’essais ni moins ni plus importants que le dernier. Il s’en est expliqué avec franchise en 1927 : « On m’a souvent demandé comment j’en suis venu à écrire. La meilleure réponse est que j’avais besoin d’argent. (…) Quand j’ai commencé ma première histoire, j’ignorais tout de la technique du roman et aujourd’hui encore, après trente-cinq ans passés à écrire, je continue à tout en ignorer, alors que mon dernier livre TARZAN AND THE LOST EMPIRE porte à environ quarante le nombre de mes œuvres. Je n’avais jamais rencontré un rédacteur en chef ni un auteur (le capitaine King excepté), ni un éditeur. Je n’avais aucune idée de la façon de soumettre une histoire ou de ce que je pouvais espérer en paiement. Si j’avais su tout cela, je n’aurais jamais osé faire lire mon demi-roman. »
Une lettre de Thomas N. Metcalf l’informe que si la seconde partie de l’histoire égalait la première, il serait ravi de publier le tout dans « All Story ». Ce qu’il devait faire en février 1912 en lui donnant le titre UNDER THE MOONS OF MARS, et en corrigeant le pseudonyme un peu canularesque de Burroughs : Normal Bean en Norman Bean. Ébloui par un chèque de quatre cents dollars, l’apprenti romancier ne demande qu’à récidiver. Metcalf qui lui reconnaît un sens aigu de l’épique, lui suggère d’aborder le genre dans son expression la plus pure, c’est-à-dire l’histoire de chevalerie.
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