Rarement inactif plus de trois semaines, Burroughs n’a rien signalé, donc rien conçu du 22 décembre 1940 au 11 avril 1941. C’est l’aveu de l’échec de son second mariage avec Florence Gilbert en 1941.

C’est aussi le prélude à une interruption encore plus longue. Le journal enregistre le 2 décembre 1941 la mise en chantier d’une nouvelle du cycle de Vénus qui sera à jamais interrompue le jour de l’attaque japonaise contre Pearl Harbor. Jusqu’en février 1943, le journal demeurera muet. Pour rompre par surprise avec une existence promise à la monotonie ou pour oublier son chagrin intime, Burroughs s’est précipité vers le théâtre d’opérations du Pacifique. À soixante-sept ans, doyen des correspondants de guerre, il publie dans deux journaux d’Hawaii une chronique intitulée Laugh it off. Il est également correspondant de l’agence « United Press » à laquelle il adresse régulièrement des dépêches destinées à une vingtaine de journaux, dépêches retraçant les opérations et qui n’ont malheureusement pas été réunies en volume.

Deux crises cardiaques vont le contraindre à prendre à Honolulu un repos qu’il consacrera à l’œuvre délaissée. Malgré l’éloignement de Burroughs, sa signature n’a guère cessé d’apparaître dans les magazines de janvier 1941 à février 1943, mais elle figurait au bas de romans et nouvelles rédigés bien avant novembre 1941. Le seul livre publié par « Edgar Rice Burroughs Inc. » en son absence, LAND OF TERROR en 1944, était lui-même achevé depuis 1939.

Du départ de Tarzana jusqu’à son repos médical prolongé, il a pu écrire au cours d’une semaine deux brèves nouvelles, à ce jour inédites. Le 19 mai 1944, selon le témoignage des carnets, il reprend la plume pour écrire un nouveau roman, le dernier : TARZAN AND THE FOREIGN LÉGION, achevé le 11 septembre. Un peu plus tard, du 2 au 26 octobre, il ajoute une nouvelle, SAVAGE PELLUCIDAR, au cycle des aventures de l’empereur David Innes. Ainsi, sans le savoir, clôt-il à Honolulu sa carrière de romancier, car dès son retour en Californie, la maladie le réduira au silence.

Il reconnaît à peine Tarzana en pleine expansion. Les cessions immobilières qu’il a consenties ont effacé le ranch où il joua jadis à l’éleveur. Mais les installations de « Edgar Rice Burroughs Inc. » subsistent encore sur Ventura Boulevard. Mais à la place du vieux noyer de la cour, poussent de jeunes mûriers. Le vieil homme cherche une autre maison pour abriter ses dernières années. Il en trouve une à Encino, dans le prolongement du Ventura Boulevard.

Entouré de ses trophées ramenés du Pacifique, il va mener une existence cloîtrée, bientôt confinée à un fauteuil roulant. Cédant à un vieux réflexe, il entame, leseptembre 1946, un ultime Tarzan ; mais persécuté par la maladie et conservant avec difficulté l’usage de la main droite, il ne poursuivra pas au-delà de la page 83. Une dernière fois, il apparaît en public pour rendre visite, en compagnie de son petit-fils Michael Pierce à Lex Barker sur le plateau où celui-ci tourne « Tarzan and the slave girl ». À cette occasion, il conclut avec Sol Lesser un accord par lequel il lui cède le droit de produire quinze nouveaux films inspirés par Tarzan.

Quelques semaines plus tard, au matin du 19 mars 1950, on le trouve mort, assis dans son lit, alors qu’après son petit-déjeuner il lisait la page des « comics » du journal quotidien.

 

Edgar Rice Burroughs fut un homme effacé aux goûts simples que n’altéra jamais le succès. Ce solitaire ne se sentait à l’aise qu’avec ses proches. Fuyant les mondanités, le contact avec les gens de lettres et se tenant à l’écart du vacarme de la célébrité, il ignora le voisinage de Hollywood, son agitation et sa faune. « Les studios me fatiguent », disait-il. Il ne faisait aucun effort pour entretenir autour de sa personne de pieuses légendes et ceux qui les fabriquent ont dû être plus d’une fois déconcertés par sa simplicité.

Au contraire de certains romanciers d’aventures, entre autres Hemingway dont les livres prolongèrent l’existence, chez Edgar Rice Burroughs une infranchissable ligne de démarcation séparait la vie rêvée de la vie vécue. Ce solitaire était doublé d’un ermite. Il ne connut jamais l’Afrique où se situent une trentaine de ses fictions, ne fut jamais attiré par l’Europe et – excepté son évasion inattendue dans le Pacifique – ne quitta jamais l’Amérique. Son unique récit de voyage – genre cher à tant d’écrivains – concerne une équipée en groupe en automobile accomplie en 1916 ; sans doute destiné à une diffusion familiale, il n’a jamais été publié. Autant fut banale sa vie vécue, autant fut effervescente sa vie rêvée. S’élançant dans le cosmos comme le fit jadis l’âme de John Carter, l’ermite de Tarzana parcourait le ciel pour y poursuivre, l’épée à la main, de longues chevauchées mystiques dont Mars, Vénus, ou la Lune étaient de simples étapes.

Burroughs lui-même devait considérer avec ironie le paradoxe séparant sa personnalité de celle de ses héros. On a retrouvé dans ses papiers une autobiographie qu’il avait esquissée sur un ton parodique et intitulée avec ironie « E.R. Burroughs, Fiction Writer ».