Aucune importance

 

 

 

 

PETER CHEYNEY

 

Slim Callaghan

 

Aucune

importance

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRESSES DE LA CITÉ

Presses de la Cité, 1990 pour la présente édition

ISBN 2-258-03179-6 N° Editeur : 5786 Dépôt légal : décembre 1989

AUCUNE IMPORTANCE

 

 

1 Nuit d’anniversaire

 

I

 

Callaghan était seul, au Perroquet Vert, dans le bar du rez-de-chaussée. Sans entrain, le barman fourbissait sa verrerie, tout en se demandant quand son client s’en irait.

Callaghan, visage mince, forte mâchoire, cheveux noirs et indisciplinés, portait un smoking bien coupé et une chemise de soie blanche à col souple. Il avait de larges épaules, la taille fine et les hanches étroites. Il tira de sa poche son étui à cigarettes. Un bel étui très plat, en or jaune et blanc. Il l’ouvrit, choisit une « Player’s », l’alluma et, penché en avant, considéra un instant l’inscription gravée en lettres d’argent à l’intérieur de l’étui : « Audrey Vendayne à Slim Callaghan. »

Il pensa à l’affaire Vendayne et à Audrey. Bientôt, il rejeta sa chaise contre le mur et se mit à siffloter doucement un air qu’il aimait : Ça n’a pas duré toujours, mais c’était rudement bon.

Le coude appuyé sur son comptoir, la joue sur la main, le barman bâillait. Callaghan glissa l’étui dans sa poche, coiffa un souple feutre noir et se dirigea lentement vers la sortie.

Le barman dit d’un ton lugubre :

— Nous sommes encore en plein dans une de leurs sacrées alertes, il pleut et ce n’est pas la peine d’espérer choisir un taxi dans la file : il n’y en a pas !

Callaghan le regarda :

— C’est moche, bien sûr. Mais pourquoi se laisser abattre ?

— Pourquoi ? A cause de leur saleté de guerre...

Il se retourna vers ses rayons, empoigna une bouteille de cognac et se servit un petit verre qu’il avala.

— Ma bourgeoise s’est engagée dans l’armée. Chaque fois que je la vois, c’est pour l’entendre rouspéter contre son sergent. Elle ne peut pas l’encaisser parce que ce sergent est une blonde... En plus de ça, j’ai découvert, la semaine dernière, que ce sergent est une fille avec qui j’ai eu des histoires, il y a un an... Vous direz ce que vous voudrez, c’est une fichue situation !

Callaghan approuva :

— Une fichue situation, en effet !... Il faut s’attendre au pire... A ta place, je sais ce que je ferais...

— Et quoi donc ?

— Je me couperais la gorge... Essaie !... Tu te sentiras tellement mieux après.

Il poussa la porte et sortit.

 

II

 

L’inspecteur-chef Gringall, le col de son pardessus relevé, les mains enfouies dans les poches, son chapeau melon légèrement incliné en avant, marchait sous la pluie dans Bond Street. Il tourna dans Bruton Street et, arrivé devant chez Ferdie, descendit les quelques marches qui menaient au club, frappa à la porte et attendit. Au bout d’un instant, on ouvrait et la silhouette courtaude d’un petit homme en habit se découpait dans la lumière indécise du vestibule.

— Allô, Ferdie ! dit Gringall. Comment va ?

Ferdie grimaça un sourire.

— Très bien, merci, monsieur Gringall. Nous avons un nouveau numéro, ce soir. C’est une chanteuse et je crois qu’elle vous plaira. Elle passe dans cinq minutes.

— Je vais toujours me mettre à l’abri.

Il suivit Ferdie le long du passage, abandonna son pardessus et son chapeau au vestiaire et monta l’escalier conduisant à la salle du club. Gringall commanda un sandwich et une bouteille de stout.

Bientôt, les lumières s’éteignirent, des tentures s’écartèrent dans le fond de la salle et les feux d’un projecteur saisirent une femme qui avait commencé de chanter en coulisse.

Gringall regardait la chanteuse avec sympathie. De taille moyenne, elle était mince, mais avec, aux bons endroits, les rondeurs convenables. Son visage, très intelligent, était d’une remarquable beauté, avec des yeux d’un bleu extraordinaire. Elle chantait très doucement, avec un sentiment très sûr, et la salle écoutait dans un silence absolu.

Vers la fin du tour de chant, Gringall éteignit sa cigarette, se leva sans bruit et se dirigea vers la cabine téléphonique qui se trouvait dans le couloir.

 

III

 

Windemere Nikolls, assis dans le meilleur fauteuil de Callaghan et les pieds posés sur le bureau du « patron », alluma une « Lucky Strike » avec celle qu’il venait d’achever. Il était large d’épaules, avec un soupçon de ventre. Il avait l’œil clair et brillant et son visage rondelet révélait un tempérament heureux.

Il se leva, regarda par la porte entrouverte dans le bureau voisin.