D’où il était, il avait d’Effie Thompson une jolie vue de profil.

Effie, un élégant manteau de fourrure au-dessus de son tailleur bleu, son minuscule chapeau drôlement perché sur un seul côté de sa tête, était assise devant son bureau, ses mains gantées croisées devant elle, dans une attitude patiente et résignée.

Nikolls demanda :

— Effie, est-ce qu’on vous a déjà dit que vous étiez fichtrement bien roulée ?

Elle fit oui, sans le regarder. Il s’étonna.

— Sans blague ?... Et qui est-ce qui vous a dit ça ?

Elle répondit d’un petit ton pincé :

— Eh bien, vous !... Un millier de fois, à peu près ! A part ça, est-ce qu’il vous arrive jamais de penser à autre chose qu’à la façon dont je suis faite ?

Il réfléchit et dit :

— Oui, quelquefois !... Mais pas souvent !

Il y eut un silence, puis Effie explosa :

— A la fin, j’en ai assez ! Il devait être là à cinq heures pour me dicter un rapport sur l’affaire Mailing !

Sa voix devint sarcastique :

— Il aura rencontré une femme...

— Ça ne m’étonnerait pas.

La sonnerie du téléphone ramena Nikolls dans le bureau de Callaghan. La communication prise, il revint près d’Effie.

— C’était Gringall. Je me demande ce qu’il peut bien lui vouloir.

Elle soupira.

— J’espère que personne ne va mettre quelque chose en route à cette heure-ci !... Moi, j’en ai plein le dos !... Quand je pense que j’avais rendez-vous pour aller au cinéma !

— Des rendez-vous, mon chou, vous en aurez d’autres !... Ça me rappelle une femme dont j’avais fait la connaissance quand j’étais à Chicago...

Elle l’interrompit :

— Je sais... Je sais... Celle qui n’avait pas les deux yeux de la même couleur...

Elle tourna brusquement la tête vers la porte. On marchait dans le hall. Ils tendirent l’oreille. Il y eut le bruit d’une lourde porte de fer qui claquait, puis celui de l’ascenseur qui montait.

— C’est sûrement lui, dit Nikolls. Il nous aura oubliés et il est allé directement se coucher... Croyez-vous que ce gars-là peut manquer de cœur, hein ?

Effie ricana.

— Je vais lui passer un coup de fil. Je me demande s’il se rend compte qu’il est presque minuit...

Nikolls sourit.

— Il ne se rend probablement compte de rien du tout. Mais, à votre place, je ne me servirais pas du téléphone. Il est quelquefois assez vif, à cette heure de la nuit. Pourquoi ne grimpez-vous pas à l’appartement ?

— Pour quoi faire ?

Il la considéra d’un air ironique.

— Allez, allez ! Ça va bien !... Vous mourez de curiosité et vous le savez aussi bien que moi ! Vous vous demandez s’il est complètement noir ou s’il en a seulement un petit coup dans l’aile !... C’est la première raison... Et puis, n’est-ce pas, avec un peu de chance, peut-être qu’il vous embrassera...

Elle se leva.

— Vous n’êtes qu’un sale Canadien ! Il y a des moments où je vous déteste !

— Je le crois et je vous comprends.

Il se remit en route vers son fauteuil, tandis qu’elle allait vers la porte. Il la rappela.

— Vous pourriez lui apprendre que Gringall vient de téléphoner pour lui demander d’aller le retrouver dans une boîte qui s’appelle « Chez Ferdie », dans Bruton Street.

— Entendu. Il n’y a rien d’autre ?

— Si. Gringall m’a précisé qu’il y a là-bas une femme dont le numéro est si éblouissant qu’un macchabée s’en dresserait sur son séant pour en redemander ! Il a ajouté que cette femme était tout à fait le genre de Slim !

L’appartement de Callaghan était situé dans les étages, au-dessus de ses bureaux.

Effie Thompson trouva son patron dans son studio. Allongé sur le dos dans un immense fauteuil, il s’amusait à faire des ronds de fumée.

Elle prit pour lui parler un ton glacé.

— Est-ce que je puis m’en aller ? Vous avez sans doute oublié que je suis là depuis cinq heures...

— C’est juste, j’ai oublié. C’est votre démission que vous me donnez ou quoi ?

Elle rougit. Un éclair de colère passa dans ses beaux yeux pers.

— Il n’est pas question de ça !

— C’est bien ce que je pensais.