L’obscurité était profonde dans le boulet. Mais ses
parois cylindro-coniques avaient supérieurement résisté. Pas une
déchirure, pas une flexion, pas une déformation. L’admirable
projectile ne s’était même pas altéré sous l’intense déflagration
des poudres, ni liquéfié, comme on paraissait le craindre, en une
pluie d’aluminium.
A l’intérieur, peu de désordre, en somme. Quelques objets
avaient été lancés violemment vers la voûte ; mais les plus
importants ne semblaient pas avoir souffert du choc. Leurs saisines
étaient intactes.
Sur le disque mobile, rabaissé jusqu’au culot, après le bris des
cloisons et l’échappement de l’eau, trois corps gisaient sans
mouvement. Barbicane, Nicholl, Michel Ardan respiraient-ils
encore ? Ce projectile n’était-il plus qu’un cercueil de
métal, emportant trois cadavres dans l’espace ? …
Quelques minutes après le départ du boulet, un de ces corps fit
un mouvement ; ses bras s’agitèrent, sa tête se redressa, et
il parvint à se mettre sur les genoux. C’était Michel Ardan. Il se
palpa, poussa un a « hem » sonore, puis il dit ;
« Michel Ardan, complet. Voyons les autres ! »
Le courageux Français voulut se lever ; mais il ne put se
tenir debout. Sa tête vacillait, son sang violemment injecté,
l’aveuglait, il était comme un homme ivre.
« Brr ! fit-il. Cela me produit le même effet que deux
bouteilles de Corton. Seulement, c’est peut-être moins agréable à
avaler ! »
Puis, passant plusieurs fois sa main sur son front et se
frottant les tempes, il cria d’une voix ferme :
« Nicholl ! Barbicane ! »
Il attendit anxieusement. Nulle réponse. Pas même un soupir qui
indiquât que le cœur de ses compagnons battait encore. Il réitéra
son appel. Même silence.
« Diable ! dit-il. Ils ont l’air d’être tombés d’un
cinquième étage sur la tête ! Bah ! ajouta-t-il avec
cette imperturbable confiance que rien ne pouvait enrayer, si un
Français a pu se mettre sur les genoux, deux Américains ne seront
pas gênés de se remettre sur les pieds. Mais, avant tout éclairons
la situation ».
Ardan sentait la vie lui revenir à flots. Son sang se calmait et
reprenait sa circulation accoutumée. De nouveaux efforts le
remirent en équilibre. Il parvint à se lever, tira de sa poche une
allumette et l’enflamma sous le frottement du phosphore. Puis,
l’approchant du bec, il l’alluma. Le récipient n’avait aucunement
souffert. Le gaz ne s’était pas échappé. D’ailleurs, son odeur
l’eût trahi, et en ce cas, Michel Ardan n’aurait pas impunément
promené une allumette enflammée dans ce milieu rempli d’hydrogène.
Le gaz, combiné avec l’air, eût produit un mélange détonant et
l’explosion aurait achevé ce que la secousse avait commencé
peut-être.
Dès que le bec fut allumé, Ardan se pencha sur les corps de ses
compagnons. Ces corps étaient renversés l’un sur l’autre, comme des
masses inertes. Nicholl dessus, Barbicane dessous.
Ardan redressa le capitaine, l’accota contre un divan, et le
frictionna vigoureusement. Ce massage, intelligemment pratiqué,
ranima Nicholl, qui ouvrit les yeux, recouvra instantanément son
sang-froid, saisit la main d’Ardan. Puis, regardant autour de lui
:
« Et Barbicane ? demanda-t-il.
– Chacun son tour, répondit tranquillement Michel Ardan.
1 comment