Le froid mordait à même ses muscles, mais la police a dû attendre le petit matin et ses traîtrises aigres avant d’avoir raison de son courage. Enfin on s’est saisi de lui. On l’a enfermé pour des mois et des mois, dans la prison où, petit à petit, meurent de silence et d’immobilité tous ceux qui voulurent ressusciter le vent.
Afin d’oublier ses tristesses, sa sœur trop sensible a fouillé dans les armoires de Cynthia. Elle a trouvé de quoi reprendre confiance et puis le jardinier aimait à l’embrasser dans le cou. Hélas, le malheur fit qu’ils n’eussent pas un liard, et pourtant des amoureux ne peuvent vivre entre quatre murs. Alors comme le père et Cynthia, ils ont décidé de partir. Pour ne pas crever de faim en route, ils ont emporté les fourchettes, les cuillers, toute une argenterie dont personne ne se servait jamais et, parce qu’ils avaient du goût, qu’ils étaient sentimentaux, à cette quincaille ils ont ajouté le bracelet en cheveux de l’Impératrice Eugénie. Mais la fugitive, pourvu qu’elle n’ait pas froid dans l’auto qui fait se lever en frissons légers, légers, l’espoir sur les routes d’une épaisse nuit.
Le jardinier (il a de la force pour deux, a déclaré la grand-mère ce matin même en le voyant bêcher) doit la serrer bien fort pour lui tenir chaud. Et si elle ferme les yeux, elle voit des millions d’étoiles.
Amour, amour, fuite à toute vitesse, le père et Cynthia partis comme des voleurs, les voleurs partis comme le père et Cynthia. Deux couples ont dû crier de joie, au premier tournant, lorsque sont devenus à jamais invisibles l’ennui de cette bâtisse, l’orgueil des peupliers. Deux couples, c’est-à-dire huit yeux un peu fous. Les hommes acceptent de se sentir les esclaves de minces créatures leurs compagnes. Cléopâtre, dit-on, aimait à enrouler des serpents autour de ses poignets. Voilà qui vaut des bracelets en cheveux de l’Impératrice. Si pour cette Africaine le jeu a mal tourné c’est qu’elle l’a bien voulu. Cynthia, la petite femme de chambre n’ont pas un goût aussi théâtral et point ne leur est besoin, non plus, de batailles en haute mer pour connaître de miraculeuses tempêtes. Que le vent se taise, elles se ressusciteront par les drogues de leurs boîtes étranges, de leurs flacons secrets. Dire que cette grosse bête de cuisinière ne se rappelle même pas ce qu’il faut respirer, boire, fumer pour deviner le soleil dont les flammes dorent ces amantes. Espoirs chancelants, rêves qui ne savent encore à quoi s’accrocher, il va falloir inventer des mots dignes de baptiser les extases, aux foudres lyriques, dont l’enfant veut que, plus tard, soit traversée sa vie. Sans doute n’aura-t-elle jamais le courage de boire du pétrole, mais son ennui, elle saura bien, pour le griser, retrouver les philtres qui faisaient si profondément insondables les yeux d’une Cynthia. Bonheur, apothéose. Alors elle sera vengée des jours, des semaines, des mois, des années d’attente. Les échos du monde entier prolongeront les tonnerres de ses inoubliables minutes. Jamais plus de ces dîners autour d’une table sans joie. Déjà ce soir, la simple fuite d’une bonne amoureuse allume des astres inespérés à même l’habituelle monotonie. Que la patience est difficile. Tout à l’heure, après le discours de la grand-mère, l’interrogatoire de la cuisinière et les constatations d’usage, quand les gendarmes sont partis, l’enfant s’est sentie presque jalouse de ces gros hommes moustachus, pour qui toute grande s’ouvrait la nuit. Maintenant, regard dédaigneux sur une tranche de veau froid, plus que jamais elle regrette qu’on ait, sous prétexte d’hygiène, banni de cette maison la moutarde. Petite revanche, le grand-père, heureux d’avoir trouvé de nouvelles raisons de flétrir Cynthia, n’attendra point les légumes pour donner les noms que la cuisinière avait sottement perdus :
— Du joli, du propre, tempête l’homme de science. Et quand je songe que ces scandaleuses pratiques avaient pour théâtre ma maison.
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