J’apprends que Cynthia ne se contentait point d’être une débauchée, une femme sans pudeur. Elle était, par surcroît, toxicomane. Sans doute a-t-elle été assez habilement vicieuse pour s’attacher qui vous savez par ces charmantes habitudes. Nous qui ne buvons que de l’eau, nous n’étions pas en mesure de lutter avec une créature qui offrait le luxe néfaste de ses paradis artificiels. Diable, diable, que pouvait-elle bien prendre ? De la cocaïne, de l’opium, de la morphine, de l’éther ? Voyez l’exemple : Lucie, cette domestique d’abord irréprochable, s’est mise à boire du pétrole ! Elle est devenue pétrolomane. Soit dit en passant, je signalerai cette curieuse perversion à quelque séance de l’Académie de Médecine. Malheureusement je n’aurai point d’autres cas à citer et ma communication ne sera guère étoffée. Il ne faudra rien déduire qu’avec la plus grande prudence. Voyons un peu. J’ai soigné des toxicomanes de tous les genres. Caractéristique commune : les uns et les autres se signalent par leur amoralité, ce qui n’empêche nullement les déviations spécifiques. Pour les pétrolomanes, je les croirais volontiers voleurs, comme les cocaïnomanes, menteurs, les morphinomanes peu soignés, les opiomanes sédentaires…

— Les pétrolomanes voleurs. La jolie découverte que voilà. Au moins on ne peut vous accuser de vous compromettre par une trop grande audace dans l’hypothèse, siffle la grand-mère. La cuisinière elle-même ferait ce diagnostic. Une buveuse de pétrole fiche le camp avec d’inestimables souvenirs de famille. Vous concluez : Les pétrolomanes sont voleurs. Bravo. J’admire votre esprit de déduction. Il fait merveille. Le seul malheur est que nous ne sachions de quel côté nous tourner. Trêve de balivernes et avouez tout bonnement que vous, un psychiatre renommé, un démonteur d’âmes, vous ne voyez pas plus clair à toute cette aventure que le premier pandore venu. Plus de trente années durant, j’ai eu, en vous, une foi aveugle. Je vous croyais un grand psychologue. Eh bien, cette affaire aura eu au moins le triste avantage de me dessiller les yeux. Je mesure ma naïveté, ma sottise. Votre science, c’est un mot, ça ne sert à rien.

— Quoi, quoi, ma bonne. Se peut-il ?

— Il se peut et j’ai bien dit. Voyez plutôt. Vous avez bien mené votre barque et la nôtre.