Robes d’eurythmie déchirées, polluées la force insouciante des athlètes et la plus blanche des laines blanches, on alla même jusqu’à priver les morts de leurs gâteaux de miel. Piètre compensation, désormais, leur fut accordé l’honneur des voiles noirs, de ces longs voiles qui traînent jusqu’à terre, quand du haut d’une armoire à glace, la mère de la dernière païenne vient annoncer des malheurs.
Pan, le grand Pan est mort.
Pan qui osa défier Phoebus. Lentement se sont éteintes les étoiles d’éleusis. Les profils parfaits se sont tordus. Le malheur et les hiboux surveillent l’univers. Mortes les Pythies aux cheveux de vipères, les belles inspirées à la bouche de feu, au regard d’eau. Une sorcière domestique, aujourd’hui, n’invoque les secrètes puissances que pour menacer les amoureux et, à leur poursuite, lancer la police de Seine-et– Oise. Si réussi ait pu être le bal des Tuileries, une boucle de lumière impériale vaut-elle que soient frustrés de seul bonheur possible deux jeunes gens qui n’avaient pas trente-six moyens de vivre l’un près de l’autre, sans le tourment d’une quotidienne servitude ?
La grand-mère, après le copieux exposé de la théorie des actes-champignons, décidément parjure au grave et modeste idéal, vient à nouveau d’affirmer sa foi toute fraîche, dans le génie, l’intuition. Elle parle d’un jeune magistrat entrevu l’après-midi chez les amis de la Villa des Soupirs et, cette découverte qui s’appelle Petitdemange, comment déjà n’en point remercier le ciel ? Petitdemange par-ci, Petitdemange par-là. Elle est sûre qu’il va retrouver les cambrioleurs, donner des conseils, des adresses, une philosophie, en résumé tout ce qu’il faut à la vie matérielle et spirituelle d’une famille. Petitdemange, à la fois un nom de clown, de catastrophe ou de cannibale, pense l’enfant qui, toute la nuit, rêvera de cet inconnu avec qui l’on va faire alliance, contre un jardinier sentimental et sa jolie buveuse de pétrole. Le rire de Petitdemange, qu’elle ne peut mettre encore sur aucun visage, de mille menaces, poignarde son sommeil. Mais comment protéger ceux que leur passion arracha au secours des murs et des lois ? Paravent de papier fragile, la tendresse d’enfant endormie, d’une chiquenaude, Petitdemange crève cette défense transparente. Les routes sont aux amoureux du monde entier. Le vent nourrit leur poitrine, éclaire leurs regards. Mais quel trou, à l’horizon, leur permettra de s’échapper, de monter aux étoiles ?
D’un rideau, s’élèvent en plein ciel les fleurs imprudentes dont on les parsema. Très haut, se balancent des calices de pourpre. Parmi les nuages, danse une Montgolfière à crinoline. Une auto de plus en plus rouge fait une tache vertigineuse de folie sur le goudron en rubans, en filets qui empêche le paysage de s’envoler. Or, au matin, le vent dont croyaient vivre les plus altières créatures, a éparpillé leurs forces. Et elles tombent à terre, sur la terre dure, sur la terre froide, marionnettes d’un cirque lugubre. On les range dans une longue boîte montée sur deux roues, et un petit cheval d’ivoire, par saccades, les traîne aux travers d’un pays de désolation. Bientôt, c’est le seuil d’une forêt de pierres. Le sol y perd à jamais ce que les plantes en échange de l’invisible nourriture lui abandonnent de douceur végétale. Cailloux, silex, ferrailles, mais le sabot d’un cheval d’ivoire ne craint pas les avenues de cruautés, ni son front les flammes de ce soleil qui va s’écraser en lettres du plus inexorable vert pomme, sur le rose à grincer des dents de la boîte aux marionnettes : Poupées amoureuses, annoncent les planches de ce cercueil indivis.
Poupées amoureuses, afin de les mieux narguer, au carrefour le plus désolé, sont assises en rond, les méchancetés du monde entier que secoue un rire jumeau de celui de Petitdemange. Halte là cheval d’ivoire ! Il est l’heure d’ouvrir la boîte. Tu vois, un vrai jeu d’enfant. De soi-même a glissé le couvercle à charnière. Chairs fripées, yeux clignotants, tous les couples fameux se lèvent, pour de piètres résurrections. Revanche inespérée, seuls ont conservé un espoir possible, Cynthia plus fraîche qu’une glace au citron, en dépit de sa longue traîne d’or déchirée, le père de si bel air dans son habit aux basques pourtant plus tristes qu’ailes d’oiseaux mouillés, une petite femme de chambre buveuse de pétrole et son amoureux, le jardinier.
CHAPITRE IV
ENCORE UNE IDYLLE
Le matin suivant, comme il n’y a plus de femme de chambre pour porter à domicile les petits déjeuners, très tôt, la famille se trouve réunie autour de la table de la salle à manger.
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