Bouvard et Pécuchet Read Online
Présentation de l’éditeur : |
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Deux copistes retraités entreprennent une série d’expériences visant à embrasser l’ensemble des connaissances humaines. Ultime roman de Flaubert, spirale encyclopédique et farcesque restée inachevée, Bouvard et Pécuchet est avant tout une histoire universelle de la bêtise. « Ça, ce sera le livre des vengeances ! » aurait un jour affirmé l’auteur, selon son ami Maxime Du Camp. Définition qui pourrait tout aussi bien s’appliquer au singulier Dictionnaire des idées reçues, fragment du second volume projeté pour Bouvard et Pécuchet, et où s’exprime, de manière plus drôle et fulgurante que jamais, la rage de Flaubert contre les préjugés et les lieux communs de son temps. |
Du même auteur
dans la même collection
BOUVARD ET PÉCUCHET (édition avec dossier)
L’ÉDUCATION SENTIMENTALE (édition avec dossier)
MADAME BOVARY
MÉMOIRES D’UN FOU, NOVEMBRE ET AUTRES TEXTES DE JEUNESSE
SALAMMBÔ (édition avec dossier)
LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
TROIS CONTES
BOUVARD ET PÉCUCHET
INTERVIEW
« Éric Chevillard,
pourquoi aimez-vous BOUVARD ET PÉCUCHET ? »
Parce que la littérature d'aujourd'hui se nourrit de celle d'hier, la GF a interrogé des écrivains contemporains sur leur « classique » préféré. À travers l'évocation intime de leurs souvenirs et de leur expérience de lecture, ils nous font partager leur amour des lettres, et nous laissent entrevoir ce que la littérature leur a apporté. Ce qu'elle peut apporter à chacun de nous, au quotidien.
Né en 1964, Éric Chevillard est écrivain. Il est l'auteur de plusieurs romans parus aux Éditions de Minuit, parmi lesquels Mourir m'enrhume, Le Caoutchouc décidément, Le Vaillant Petit Tailleur, Oreille Rouge, Démolir Nisard, Sans l'orang-outan, Choir et Dino Egger. Son blog, L'Autofictif, fait l'objet de parutions régulières aux Éditions de L'Arbre Vengeur.
Il a accepté de nous parler de Bouvard et Pécuchet, et nous l'en remercions.
Quand avez-vous lu ce livre pour la première fois ? Racontez-nous les circonstances de cette lecture.
On ne saurait me soupçonner des assassinats, crimes et délits commis durant les journées des 3, 4 et 5 mars 1982, j'ai un alibi, et c'est du solide : je lisais pour la première fois Bouvard et Pécuchet, comme en atteste la page de garde où j'ai noté ces dates. Je le fais encore aujourd'hui sur tous les livres que je lis, dans un souci maniaque que je ne m'explique pas bien mais qui m'aurait sans doute valu l'estime des deux héros de Flaubert. J'avais dix-sept ans, je lisais beaucoup, dans l'inconscience totale de mon époque et même du siècle, presque exclusivement les classiques français du XIXe, Balzac, Zola, Hugo, Stendhal et Flaubert, donc, dont je connaissais Madame Bovary et L'Éducation sentimentale. J'ai entrepris la lecture de Bouvard et Pécuchet en m'imaginant qu'il allait s'agir une fois encore du récit réaliste d'un destin dans le siècle comme ceux auxquels j'étais accoutumé, une étude de mœurs épicée de péripéties sentimentales sur un arrière-plan historique, l'habituel moteur de la littérature française qui a propulsé de somptueuses machines romanesques mais dont le ronronnement dans la production contemporaine me paraît quelque peu anachronique... Enfin, c'est vous dire si j'ai été surpris en avançant dans ma lecture.
Votre « coup de foudre » a-t-il eu lieu dès le début du livre ou après ?
N'y voyez pas d'offense mais permettez-moi tout de même de remarquer d'abord que cette expression de « coup de foudre », comme aussi celle de « coup de cœur », appliquées aux livres, mériteraient de figurer dans un nouveau Dictionnaire des idées reçues. Et pourtant, elle se trouve être en l'occurrence particulièrement pertinente. Bouvard et Pécuchet s'ouvre en effet sur un réel coup de foudre – Flaubert lui-même emploie ces mots –, celui des deux personnages qui se rencontrent sur un banc du boulevard Bourdon. Je dois reconnaître que je me suis attaché à eux dès cet instant, en tiers, si je puis dire, d'abord parce que cette scène est remarquablement décrite et racontée par Flaubert, mais aussi sans doute parce que mes lectures précédentes m'avaient habitué à cette naïve identification du lecteur au personnage toujours plus ou moins héroïque, même dans la vilenie ou la déveine. J'ai donc pris le pas de Bouvard et Pécuchet sans les juger, en épousant plus loin leurs projets, et ma lecture légèrement erronée peut-être dece roman s'en est suivie – possible erreur dans laquelle cependant je persiste aujourd'hui, je m'en expliquerai plus loin.
Relisez-vous ce livre parfois ? À quelle occasion ?
Je l'ai relu trois fois entièrement (nouveaux alibis en janvier 1987, juin 1999 et août 2010) ; souvent, je le feuillette. Il est surtout l'un de ces très rares livres qui m'habitent en permanence ou, plus exactement peut-être, que j'habite, dont le principe reste actif pour moi même en-dehors de la lecture proprement dite.
Est-ce que cette œuvre a marqué vos livres ou votre vie ?
Certainement. Les fortes lectures sont des expériences de conscience à l'égal de toutes les initiations. La question de l'influence des œuvres aimées est complexe, car nous écrivons aussi contre la littérature, contre la bibliothèque, en obéissant à une double logique d'opposition et d'affirmation. Cependant, on trouvera des souvenirs de Bouvard et Pécuchet dans Le Caoutchouc décidément, un de mes premiers livres, ainsi que dans le dernier en date, Dino Egger, du nom d'un personnage rêvé par le narrateur et qui serait le génie qui a manqué au monde et grâce auquel, si donc il avait vécu, notre aventure aurait cessé d'être cette succession d'épreuves et de désastres. Sans doute ce narrateur épris d'absolu et de vérité est-il un lointain neveu de Bouvard et Pécuchet.
Quelles sont vos scènes préférées ?
Les scènes les plus réussies sont celles où l'on voit les deux bonshommes en action. Quand ils montent et démontent leur mannequin anatomique, quand ils déclament des vers, quand ils se livrent dans la campagne à des exercices de gymnastique ou, dans leur chambre, coiffés de capuchons pointus, à des passes de magnétiseurs. Et puis, la scène inaugurale est merveilleuse, une des plus belles rencontres amoureuses de la littérature, qui surpasse même à mes yeux celle de Frédéric et de Madame Arnouxdans L'Éducation sentimentale, laquelle s'ouvre pourtant sur cette phrase justement fameuse : « Ce fut comme une apparition. »
Y a-t-il, selon vous, des passages « ratés » ?
Certains passages très liés au contexte historique, ayant trait notamment à la politique, ont un peu vieilli, bien sûr. Ils conservent néanmoins leur mordant. Il en va ainsi du Conte du tonneau, de Swift, dont la plupart des allusions à Luther ou Calvin nous sont devenues assez obscures, mais dont l'ironie peut être isolée comme une substance pure et servir d'autres causes. Toutefois, le grand raté de ce roman, c'est la mort de Flaubert, le 8 mai 1880, alors qu'il n'a pas tout à fait achevé son œuvre. Je trouve pour ma part scandaleux que la mort s'autorise à emporter un écrivain avant qu'il n'ait mis le dernier mot à son livre en cours. C'est un double crime, qui ne devrait pas rester impuni.
Cette œuvre reste-t-elle pour vous, par certains aspects, obscure ou mystérieuse ?
Le principal mystère de ce livre tient à la prétendue imbécillité de Bouvard et Pécuchet. Dans ses lettres, Flaubert semble n'en pas douter et nous pouvons le suivre jusqu'à un certain point. Mais – en cela, donc, ma lecture trahit peut-être ses intentions, comme je le suggérais au début de cet entretien –, il me semble qu'ils ne sont pas si bêtes. Grotesques, oui, ne serait-ce que par leur aspect qui évoque par anticipation un tandem de cinéma burlesque (dont le roman a d'ailleurs le rythme trépidant et comme accéléré) : le grand gros et le petit sec.
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