g228. Dictionnaire des idées reçues. Manuscrit non autographe avec corrections de Flaubert. 26 feuillets.

Principes d’édition

Conformément aux principes de la collection, on propose un texte qui masque l’essentiel des marques d’inachèvement du roman. En particulier, pour les parties qui n’ont pas connu de rédaction définitive (chapitre X, plan des chapitres XI et XII, fragments du second volume), les ratures ne sont pas mentionnées et les ajouts sont insérés à l’endroit où le sens les appelle avec la plus grande probabilité. Tout ce qui n’est pas barré de manière définitive et claire (au crayon ou à l’encre) est conservé. Lorsqu’un ajout se trouve en concurrence avec un premier jet non raturé, ce dernier est préféré.

L’orthographe de Flaubert, souvent hésitante et fluctuante, a été modernisée et uniformisée. Les majuscules ont requis un traitement particulier : dans le manuscrit, elles sont employées plus fréquemment que la moyenne et de manière très personnelle. Par exemple, tous les « a » en tête de phrase sont des lettres minuscules, tandis que tous les mots commençant par un « c » à l’intérieur d’une phrase ont tendance à recevoir une majuscule. On a supprimé ces majuscules erratiques lorsqu’une « intention » de l’auteur ne se lisait pas clairement dans leur emploi, et rétabli celles demandées par l’usage.

La ponctuation de Flaubert est elle aussi singulière. Tout en veillant à respecter les particularismes qui ont une influence sur la diction et le rythme des phrases, on a corrigé et homogénéisé les traits qui pouvaient gêner le lecteur non spécialiste.

Flaubert utilise concurremment dans son manuscrit trois modes de désignation pour les titres d’œuvres. Le premier se caractérise, si l’on peut dire, par l’absence de marque : le titre porte seulement une majuscule (c’est presque toujours le cas pour les romans avec un personnage éponyme). L’écrivain a aussi recours aux guillemets, accompagnés de majuscules. Enfin, il lui arrive, plus rarement, de souligner le titre des œuvres. On a unifié cette pratique hétérogène, ce qui n’était pas toujours le cas jusqu’ici. Tous les titres identifiables apparaissent donc en italique avec les majuscules requises.

Principes d’annotation

Trois types de notes coexistent : des notes de langue qui élucident les mots rares, les tournures vieillies et les régionalismes ;des notes d’éclaircissement contextuel réduites à la compréhension des allusions en situation ; et des notes d’établissement de texte, lorsque la leçon retenue diffère du texte déchiffrable dans le manuscrit dit définitif du roman (g224). Pour comprendre les motivations et souligner les problèmes posés par ce choix éditorial original, on se reportera au chapitre du dossier « Éditer un texte inachevé ».

Pour des raisons évidentes de place, on n’a mentionné aucun des parallélismes qui s’imposent pourtant entre les éléments du premier volume et ceux du second, entre Bouvard et les autres œuvres de Flaubert, ou entre le roman et la biographie de son auteur. De même, on s’est interdit toute annotation reposant sur la connaissance des recherches documentaires effectuées par l’écrivain.

Les principes de la collection imposaient la présence d’une annotation. Loin de seulement souscrire à cette exigence, on pense que, dans le cas particulier de Bouvard, l’élucidation de références, souvent uniformément obscures pour le lecteur d’aujourd’hui, est susceptible de renouveler la lecture du roman. Elle brise la monotonie et l’ennui qui s’installent inéluctablement lorsque s’égrènent des notations dont on ne saisit pas les différences ou le système des variations. L’Éducation sentimentale ne peut être comprise dans sa complexité constitutive sans une connaissance minimale, de la part du lecteur, des événements politiques des années 1847 à 1851. Dans Bouvard, le problème est multiplié par huit ou neuf puisque la politique n’est que l’un des centres d’intérêt successifs des personnages, au même titre que l’histoire de la médecine ou les méthodes pédagogiques.

Certes, toutes les références élucidées ne faisaient pas partie de la culture d’un lettré de la fin du XIX e siècle. La preuve en est que Flaubert lui-même s’est longuement documenté sur tous les sujets, même la littérature, pour accroître ses connaissances. Il y a donc un effet d’étrangeté concertée et de spécialisation outrée, indissociable de l’œuvre. De plus, Bouvard n’était pas destiné à être compris du « public ». Flaubert affirmait écrire « à l’intention de quelques raffinés » (lettre du 16 décembre 1879). Cependant, le décalage est tel entre la culture de l’honnête homme du XIX e siècle et celle de l’honnête homme du XXI e siècle que les notes permettent de recréer un contraste (au sens photographique du terme) entre les références classiques et sérieuses du XIX e siècle, souvent effacées de nos mémoires, et les « curiosités » dues aux recherches folles et conjuguées de Bouvard, Pécuchet et Flaubert.

BOUVARD ET PÉCUCHET

I

Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon1se trouvait absolument désert.

Plus bas le canal Saint-Martin, fermé par les deux écluses étalait en ligne droite son eau couleur d’encre. Il y avait au milieu, un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs de barriques.

Au-delà du canal, entre les maisons que séparent des chantiers, le grand ciel pur se découpait en plaques d’outremer, et sous la réverbération du soleil, les façades blanches, les toits d’ardoises, les quais de granit éblouissaient. Une rumeur confuse montait du loin dans l’atmosphère tiède ; et tout semblait engourdi par le désœuvrement du dimanche et la tristesse des jours d’été.

Deux hommes parurent.

L’un venait de la Bastille, l’autre du Jardin des Plantes. Le plus grand, vêtu de toile, marchait le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et sa cravate à la main.