Le 1er août, début de la rédaction de Bouvard et Pécuchet.

1875

Février, Constitution de la IIIe République. Le 12 juillet, loi relative à la liberté de l’enseignement supérieur.

Zola, La Faute de l’abbé Mouret.

Ruine de Flaubert consécutive à la faillite du mari de sa nièce, Ernest Commanville. Interruption de Bouvard et Pécuchet au milieu du troisième chapitre. Septembre, séjour à Concarneau chez le naturaliste Georges Pouchet. Rédaction de La Légende de saint Julien l’Hospitalier.

1876

Le 8 juin, mort de George Sand. Mallarmé, L’Après-midi d’un faune.

Rédaction d’Un cœur simple. Novembre, début d’Hérodias.

1877

Le 16 mai, crise gouvernementale.

Zola, L’Assommoir.

Avril, publication de Trois Contes. Juin, reprise de Bouvard et Pécuchet.

1879

Le 30 janvier, démission de Mac-Mahon.

Huysmans, Les Sœurs Vatard.

Problèmes financiers et fracture du péroné.

1880

Lois Jules Ferry sur l’enseignement.

Zola, Maupassant, Céard, Huysmans, Hennique et Alexis, Les Soirées de Médan. Zola, Le Roman expérimental, Nana.

Le 8 mai, Flaubert meurt d’une hémorragie cérébrale et laisse Bouvard et Pécuchet inachevé. Le 15 décembre, début de la publication de Bouvard et Pécuchet en feuilleton dans la Nouvelle Revue.

1881

Mars, publication de Bouvard et Pécuchet en volume.

Présentation

Même (ou surtout ?) lorsqu’il est lu et relu, Bouvard fait encore et toujours rire. On a beau connaître l’issue de chaque épisode – l’explosion dévastatrice de l’alambic ou l’insigne ingratitude dont les orphelins font preuve envers leurs patients éducateurs –, la mécanique implacable construite par Flaubert fonctionne sans jamais s’enrayer. Il semble même que moins l’on attache d’importance au déroulement de l’intrigue, plus l’on se rend attentif à la vie autonome dont semble soudain doté chaque objet et à l’épaisseur inaccoutumée qu’acquiert alors chaque épisode. Rares sont pourtant les romans du XIX e siècle à être aussi peu romanesques que celui-ci, on le lui a suffisamment reproché ! S’il procure autant de plaisir à la relecture, c’est bien parce qu’il ne s’agit pas, ici, de savoir si la marquise sortit à cinq heures (version Valéry) ou si elle épousera le baron (version Flaubert dans une lettre du 16 décembre 1879 : « Ceux qui lisent un livre pour savoir si la baronne épousera le vicomte seront dupés »). Le plaisir toujours neuf vient de ce qu’on rejoue chaque fois sur la scène de l’imaginaire la comédie du savoir. Dans chacun des épisodes, pourtant si irréalistes dans leur enchaînement même, on revit de l’intérieur un désir qui est celui de chacun d’entre nous : comprendre et maîtriser le monde par le savoir. On éprouve alors la jouissance ambiguë de le voir constamment échapper à Bouvard et Pécuchet dans la fiction comme il nous échappe dans la réalité. Plaisir de reconnaissance donc ; mais aussi parfois illusion momentanée de savoir pourquoi ils échouent et d’être en mesure de faire mieux qu’eux ; d’autres fois encore, émerveillementconsentant et partagé avec les personnages devant les mystères du monde.

La lente genèse du roman

L’ancienneté du projet de Bouvard et Pécuchet est indéniable. Il a peut-être été inspiré à sa source par la nouvelle de Barthélemy Maurice, Les Deux Greffiers, qui a paru pour la première fois en avril 1841 dans La Gazette des tribunaux. C’est l’histoire de deux greffiers d’audience qui, ayant décidé de se retirer à la campagne à l’heure de la retraite, essaient successivement plusieurs passe-temps (chasse, pêche, horticulture…), s’en ennuient et finissent par revenir à leur activité première, copier : « Ainsi ces deux vieillards s’amusèrent à écrire quatre à cinq heures par jour sous la dictée l’un de l’autre ; ainsi leur dernier plaisir, leur vrai, leur seul plaisir, fut de reprendre fictivement cette aride besogne qui pendant trente-huit ans avait fait l’occupation et, peut-être à leur insu, le bonheur de leur vie. » Les similitudes sont évidentes et nombreuses entre ce scénario et celui de Bouvard. Néanmoins, avant même que la lecture des Deux Greffiers ait pu l’influencer, en 1837, le jeune Flaubert avait publié dans une petite revue littéraire de Rouen, Le Colibri, une physiologie intitulée « Une leçon d’histoire naturelle – genre commis », qui soulignait déjà son intérêt pour l’« espèce » particulière des employés1. Maxime Du Camp, dans ses Souvenirs littéraires, assure de son côté que Flaubert songeait déjà à Bouvard en 18432. Bien que les affirmations de l’ami parfois trop bavard soient souvent sujettes à caution, elles concordent ici avec d’autres éléments sur lesquels on reviendra. En tout cas, aucune preuve manuscrite ne vient attester le fait que l’écrivain a conçu le projet de Bouvard avant 1862.

En revanche, le Dictionnaire des idées reçues occupe Flaubert de manière beaucoup plus évidente et depuis fort longtemps3. L’écrivain le mentionne pour la première fois dans une lettre du 4 septembre 1850 qu’il envoie d’Orient à son ami Louis Bouilhet :

Tu fais bien de songer au Dictionnaire des idées reçues. Ce livre complètement fait et précédé d’une bonne préface où l’on indiquerait comme quoi l’ouvrage a été fait dans le but de rattacher le public à la tradition, à l’ordre, à la convention générale, et arrangée de telle manière que le lecteur ne sache pas si on se fout de lui, oui ou non, ce serait peut-être une œuvre étrange, et capable de réussir, car elle serait toute d’actualité.

Déconcerter systématiquement le lecteur, telle est l’entreprise qui est d’emblée soulignée avec force et que l’on retrouvera au centre du futur Bouvard. L’idée du Dictionnaire ne quitte plus Flaubert. Le 16 décembre 1852, il revient sur le sujet, cette fois-ci en s’adressant à sa maîtresse Louise Colet. On décèle clairement dans ses paroles les accents qui seront ceux du début de la conception de Bouvard dans les années 1872-1874 :

J’ai quelquefois des prurits atroces d’engueuler les humains et je le ferai à quelque jour, dans dix ans d’ici, dans quelque long roman à cadre large ; en attendant, une vieille idée m’est revenue, à savoir celle de mon Dictionnaire des idées reçues (sais-tu ce que c’est ?). La préface surtout m’excite fort, et de la manière dont je la conçois (ce serait tout un livre), aucune loi ne pourrait me mordre quoique j’y attaquerais tout. Ce serait la glorification historique de tout ce qu’on approuve.