Lentement, avec un naturel affecté, l’enfant s’approcha, sans détourner d’eux son regard ironique. « Ah ! tu es là, Edy ; nous t’avons cherché dans l’hôtel », dit enfin sa mère. « Avec quelle effronterie elle ment ! » pensa l’enfant. Mais ses lèvres ne remuèrent pas. Elles tenaient enfermé derrière les dents le secret de sa haine.
Ils étaient là tous les trois, indécis, s’épiant mutuellement. « Allons, marchons », dit d’une voix résignée la femme mécontente, tout en effeuillant une de ses belles roses. Un léger frémissement agitait ses narines, ce qui chez elle était l’indice de la colère. Comme si ces paroles ne s’adressaient pas à lui, Edgar regardait en l’air, sans bouger de place. Quand ils se mirent en route, il se joignit à eux. Le baron essaya de le dissuader de les suivre. « Aujourd’hui il y a un match de tennis, as-tu déjà vu ce spectacle ? » Edgar le regarda avec mépris. Il ne lui répondit pas, se contentant d’arrondir ses lèvres comme pour siffler. C’était là sa façon de faire connaître son sentiment. Sa haine, aiguisée, montrait les dents.
Sa présence indésirable pesait comme un cauchemar sur les deux complices. Ils marchaient en serrant secrètement les poings comme des prisonniers devant leur gardien. L’enfant, à vrai dire, ne disait rien, ne faisait rien et cependant il devenait pour eux de plus en plus insupportable, avec ses regards épieurs, ses yeux humides de larmes contenues, sa mauvaise humeur repoussant toute tentative de rapprochement. « Marche devant », dit soudain, d’un ton furieux, sa mère qui était agacée par cette façon d’être continuellement surveillée. « Ne sois pas sans cesse dans mes jambes, cela m’énerve ! » Edgar obéissait, mais après avoir fait quelques pas il se retournait et les attendait, lorsqu’ils étaient restés en arrière, les enveloppant d’un regard méphistophélique, comme le barbet noir de Faust, et tissant autour d’eux un réseau de haine dans lequel ils se sentaient emprisonnés.
Son silence agressif rongeait comme un acide leur bonheur ; son regard inquisiteur arrêtait les mots sur leurs lèvres. Le baron n’osait plus continuer sa cour ; il sentait avec colère cette femme lui échapper encore une
fois et la passion qu’il avait eu tant de peine à allumer se refroidir par crainte de cet enfant importun et antipathique. Toujours ils essayaient de renouer la conversation, mais toujours elle était rompue. Finalement ils ne firent plus que marcher en silence, tous les trois, en se bornant à écouter le murmure des arbres et le bruit ennuyeux de leurs propres pas.
La haine les avait gagnés tous trois. L’enfant trahi sentait avec volupté leur fureur impuissante se crisper contre sa petite personne méprisée. Son regard ironique effleurait de temps en temps la figure exaspérée du baron. Il voyait celui-ci grommeler des mots qu’il s’efforçait de ne pas lui jeter à la figure ; il remarquait aussi, avec une joie diabolique, la colère croissante de sa mère et que tous deux ne cherchaient qu’un prétexte pour le prendre à partie, l’écarter, le rendre inoffensif. Mais il ne leur en donnait aucun ; son hostilité était si bien calculée qu’il ne leur offrait aucune prise.
— Rentrons, dit soudain la mère.
Elle sentait qu’elle ne pouvait plus se retenir, qu’il lui fallait faire quelque chose, ne fût-ce que crier, sous l’effet de cette torture. « Quel dommage ! dit Edgar tranquillement, il fait si beau ! »
Tous deux devinèrent que l’enfant les raillait. Mais ils n’osèrent rien dire, car ce tyran avait, en deux jours, merveilleusement appris à se dominer. Aucun trait du visage ne trahissait sa mordante ironie. Sans se dire un mot, ils parcoururent le long chemin du retour. Lorsque l’enfant et sa mère furent seuls, celle-ci était encore toute vibrante d’irritation.
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