D’un mouvement de mauvaise humeur elle se débarrassa de son ombrelle et de ses gants. Edgar vit bien que ses nerfs étaient excités et avaient besoin de se détendre, mais il cherchait un éclat et il resta dans la chambre pour l’énerver davantage.

Elle allait et venait, s’asseyait ensuite ; ses doigts tambourinaient sur la table. A la fin, elle bondit : « Comme tu es mal peigné ! Que tu es sale ! C’est un scandale de te montrer ainsi devant les gens. N’en es-tu pas honteux, à ton âge ? » Sans répondre, l’enfant alla se peigner. Ce silence glacial et obstiné, accompagné d’un frémissement ironique des lèvres, la rendit furieuse. Elle eût aimé le rouer de coups. « Va-t’en dans ta chambre ! » lui cria-t-elle. Elle ne pouvait plus supporter sa présence. Edgar sourit et sortit.

 

Comme tous deux tremblaient à présent devant lui ! Comme ils avaient peur, le baron et elle, d’être avec lui, de sentir sur eux ses yeux d’une dureté implacable ! Plus ils se sentaient mal à l’aise, plus son regard brillait de satisfaction, plus sa joie devenait provocante. Edgar tourmentait ses adversaires sans défense avec la cruauté presque animale des enfants. Le baron pouvait encore retenir sa colère, parce qu’il ne désespérait pas de jouer un nouveau tour à l’enfant et qu’il ne pensait qu’à son but. Mais la mère perdait de plus en plus la maîtrise d’elle-même. Pour elle, c’était un soulagement que de pouvoir lui faire des reproches. « Ne joue pas avec ta fourchette », lui disait-elle à table avec rudesse. « Tu es un mal élevé, tu ne mérites pas de t’asseoir à côté des grandes personnes. » Edgar ne faisait toujours que sourire de ces remarques ; il souriait, la tête un peu penchée de côté. Il savait que ces cris étaient du désespoir et il était fier de voir les deux complices se trahir de la sorte. Son regard était très calme, comme celui d’un médecin. Autrefois, peut-être, il aurait fait le méchant, pour les mettre en colère, mais on apprend beaucoup et vite, quand on a de la haine. Maintenant il se contentait de se taire ; il se taisait, se taisait toujours, jusqu’au moment où sa mère commença à crier sous l’oppression de ce silence.

Elle ne pouvait plus supporter cette situation. Lorsque, après le repas, ils se levèrent et qu’Edgar voulut les suivre avec sa façon toute naturelle de s’attacher à leurs pas, il y eut soudain chez elle une explosion. Elle oublia toute retenue et dit ce qu’elle pensait. Torturée par la présence insinuante du gamin, elle se cabra comme un cheval que tourmentent les mouches. « Qu’ as-tu toujours à courir derrière moi comme un enfant de trois ans ? Je ne veux pas que tu sois constamment dans mes jupes. Les enfants ne sont pas à leur place dans la société des grandes personnes. Sache bien ça. Amuse-toi donc seul un moment. Lis quelque chose ou fais ce que tu voudras, mais laisse-moi la paix. Tu m’énerves, avec ta façon de rôder autour de moi et avec ta sale mauvaise humeur. »

Enfin, il le lui avait arraché, l’aveu !

Edgar sourit, tandis que le baron et elle paraissaient embarrassés. Elle se retourna et voulut aller plus loin, furieuse contre elle-même d’avoir avoué à l’enfant son déplaisir. Mais Edgar se contenta de dire froidement : « Papa ne veut pas que je me promène tout seul.