Nous dormons. Une aile nous brise, évasion, nous avons des roues plus vieilles que les plumes envolées, perdues, pour explorer les cimetières de la lenteur, la seule luxure.

* * *

La bouteille que nous entourons des linges de nos blessures ne résiste à aucune envie. Prenons les cœurs, les cerveaux, les muscles de la rage, prenons les fleurs invisibles des blêmes jeunes filles et des enfants noués, prenons la main de la mémoire, fermons les yeux du souvenir, une théorie d’arbres délivrés par les voleurs nous frappe et nous divise, tous les morceaux sont bons. Qui les rassemblera : la terreur, la souffrance ou le dégoût ?

* * *

Dormons, mes frères. Le chapitre inexplicable est devenu incompréhensible. Des géants passent en exhalant des plaintes terribles, des plaintes de géant, des plaintes comme l’aube veut en pousser, l’aube qui ne peut plus se plaindre, depuis le temps, mes frères, depuis le temps.

SANS RANCUNE

Larmes des yeux, les malheurs des malheureux,

Malheurs sans intérêt et larmes sans couleurs.

Il ne demande rien, il n’est pas insensible,

Il est triste en prison et triste s’il est libre.

 

Il fait un triste temps, il fait une nuit noire

À ne pas mettre un aveugle dehors.

Les forts

Sont assis, les faibles tiennent le pouvoir

Et le roi est debout près de la reine assise.

 

Sourires et soupirs, des injures pourrissent

Dans la bouche des muets et dans les yeux des lâches.

 

Ne prenez rien : ceci brûle, cela flambe !

Vos mains sont faites pour vos poches et vos fronts.

* * *

Une ombre…

Toute l’infortune du monde

Et mon amour dessus

Comme une bête nue.

CELLE QUI N’A PAS LA PAROLE

Les feuilles de couleur dans les arbres nocturnes

Et la liane verte et bleue qui joint le ciel aux arbres,

Le vent à la grande figure

Les épargne.

Avalanche, à travers sa tête transparente

La lumière, nuée d’insectes, vibre et meurt.

 

Miracle dévêtu, émiettement, rupture

Pour un seul être.

 

La plus belle inconnue

Agonise éternellement.

 

Étoiles de son cœur aux yeux de tout le monde.

NUDITÉ DE LA VÉRITÉ

Je le sais bien.

 

Le désespoir n’a pas d’ailes,

L’amour non plus,

Pas de visage,

Ne parlent pas,

Je ne bouge pas,

Je ne les regarde pas,

Je ne leur parle pas

Mais je suis bien aussi vivant que mon amour et que mon désespoir.

PERSPECTIVE

Un millier de sauvages

S’apprêtent à combattre.

Ils ont des armes,

Ils ont leur cœur, grand cœur,

Et s’alignent avec lenteur

Devant un millier d’arbres verts

Qui, sans en avoir l’air,

Tiennent encore à leur feuillage.

TA FOI

Suis-je autre chose que ta force ?

Ta force dans tes bras,

Ta tête dans tes bras,

Ta force dans le ciel décomposé,

Ta tête lamentable,

Ta tête que je porte.

Tu ne joueras plus avec moi,

Héroïne perdue,

Ma force bouge dans tes bras.

MASCHA RIAIT AUX ANGES

L’heure qui tremble au fond du temps tout embrouillé

 

Un bel oiseau léger plus vif qu’une poussière

Traîne sur un miroir un cadavre sans tête

Des boules de soleil adoucissent ses ailes

Et le vent de son vol affole la lumière

 

Le meilleur a été découvert loin d’ici.

LES PETITS JUSTES

I

Sur la maison du rire

Un oiseau rit dans ses ailes.

Le monde est si léger

Qu’il n’est plus à sa place

Et si gai

Qu’il ne lui manque rien.

II

Pourquoi suis-je si belle ?

Parce que mon maître me lave.

III

Avec tes yeux je change comme avec les lunes

Et je suis tour à tour et de plomb et de plume,

Une eau mystérieuse et noire qui t’enserre

Ou bien dans tes cheveux ta légère victoire.

IV

Une couleur madame, une couleur monsieur,

Une aux seins, une aux cheveux,

La bouche des passions

Et si vous voyez rouge

La plus belle est à vos genoux.

V

À faire rire la certaine,

Était-elle en pierre ?

Elle s’effondra.

VI

Le monstre de la fuite hume même les plumes

De cet oiseau roussi par le feu du fusil.

Sa plainte vibre tout le long d’un mur de larmes

Et les ciseaux des yeux coupent la mélodie

Qui bourgeonnait déjà dans le cœur du chasseur.

VII

La nature s’est prise aux filets de ta vie.

L’arbre, ton ombre, montre sa chair nue : le ciel.

Il a la voix du sable et les gestes du vent.

Et tout ce que tu dis bouge derrière toi.

VIII

Elle se refuse toujours à comprendre, à entendre,

Elle rit pour cacher sa terreur d’elle-même.

Elle a toujours marché sous les arches des nuits

Et partout où elle a passé

Elle a laissé

L’empreinte des choses brisées.

IX

Sur ce ciel délabré, sur ces vitres d’eau douce,

Quel visage viendra, coquillage sonore,

Annoncer que la nuit de l’amour touche au jour,

Bouche ouverte liée à la bouche fermée.

X

Inconnue, elle était ma forme préférée,

Celle qui m’enlevait le souci d’être un homme,

Et je la vois et je la perds et je subis

Ma douleur, comme un peu de soleil dans l’eau froide.

XI

Les hommes qui changent et se ressemblent

Ont, au cours de leurs jours, toujours fermé les yeux

Pour dissiper la brume de dérision

Etc.

Nouveaux poèmes

à G.

NE PLUS PARTAGER

Au soir de la folie, nu et clair,

L’espace entre les choses a la forme de mes paroles,

La forme des paroles d’un inconnu,

D’un vagabond qui dénoue la ceinture de sa gorge

Et qui prend les échos au lasso.

 

Entre des arbres et des barrières,

Entre des murs et des mâchoires,

Entre ce grand oiseau tremblant

Et la colline qui l’accable,

L’espace a la forme de mes regards.

 

Mes yeux sont inutiles,

Le règne de la poussière est fini,

La chevelure de la route a mis son manteau rigide,

Elle ne fuit plus, je ne bouge plus,

Tous les ponts sont coupés, le ciel n’y passera plus

Je peux bien n’y plus voir.

Le monde se détache de mon univers

Et, tout au sommet des batailles,

Quand la saison du sang se fane dans mon cerveau,

Je distingue le jour de cette clarté d’homme

Qui est la mienne,

Je distingue le vertige de la liberté,

La mort de l’ivresse,

Le sommeil du rêve,

 

Ô reflets sur moi-même ! ô mes reflets sanglants !

ABSENCES

I

La plate volupté et le pauvre mystère

Que de n’être pas vu.

 

Je vous connais, couleur des arbres et des villes,

Entre nous est la transparence de coutume

Entre les regards éclatants.

Elle roule sur pierres

Comme l’eau se dandine.

D’un côté de mon cœur des vierges s’obscurcissent,

De l’autre la main douce est au flanc des collines.

La courbe de peu d’eau provoque cette chute,

Ce mélange de miroirs.

Lumières de précision, je ne cligne pas des yeux,

Je ne bouge pas,

Je parle

Et quand je dors

Ma gorge est une bague à l’enseigne de tulle.

II

Je sors au bras des ombres,

Je suis au bas des ombres,

Seul.

 

La pitié est plus haut et peut bien y rester,

La vertu se fait l’aumône de ses seins

Et la grâce s’est prise dans les filets de ses paupières.

Elle est plus belle que les figures des gradins,

Elle est plus dure,

Elle est en bas avec les pierres et les ombres.

Je l’ai rejointe.

 

C’est ici que la clarté livre sa dernière bataille.

Si je m’endors, c’est pour ne plus rêver.

Quelles seront alors les armes de mon triomphe ?

Dans mes yeux grands ouverts le soleil fait les joints,

O jardin de mes yeux !

Tous les fruits sont ici pour figurer des fleurs,

Des fleurs dans la nuit.

Une fenêtre de feuillage

S’ouvre soudain dans son visage.

Où poserai-je mes lèvres, nature sans rivage ?

 

Une femme est plus belle que le monde où je vis

Et je ferme les yeux.

Je sors au bras des ombres,

Je suis au bas des ombres

Et des ombres m’attendent.

FIN DES CIRCONSTANCES

Un bouquet tout défait brûle les coqs des vagues

Et le plumage entier de la perdition

Rayonne dans la nuit et dans la mer du ciel.

Plus d’horizon, plus de ceinture,

Les naufragés, pour la première fois, font des gestes qui ne les soutiennent pas. Tout se diffuse, rien ne s’imagine plus.

BAIGNEUSE DU CLAIR AU SOMBRE

L’après-midi du même jour.

Légère, tu bouges et, légers, le sable et la mer bougent.

Nous admirons l’ordre des choses, l’ordre des terres, l’ordre des clartés, l’ordre des heures.

Mais cette ombre qui disparaît et cet élément douloureux, disparaît.

Le soir, la noblesse est partie de ce ciel.

Ici, tout se blottit dans un feu qui s’éteint.

Le soir.

La mer n’a plus de lumière et, comme aux temps anciens, tu pourrais dormir dans la mer.

PABLO PICASSO

Les armes du sommeil ont creusé dans la nuit

Les sillons merveilleux qui séparent nos têtes.

À travers le diamant, toute médaille est fausse,

Sous le ciel éclatant, la terre est invisible.

 

Le visage du cœur a perdu ses couleurs

Et le soleil nous cherche et la neige est aveugle.

Si nous l’abandonnons, l’horizon a des ailes

Et nos regards au loin dissipent les erreurs.

PREMIÈRE DU MONDE

À Pablo Picasso.

 

Captive de la plaine, agonisante folle,

La lumière sur toi se cache, vois le ciel :

Il a fermé les yeux pour s’en prendre à ton rêve,

Il a fermé ta robe pour briser tes chaînes.

 

Devant les roues toutes nouées

Un éventail rit aux éclats.

Dans les traîtres filets de l’herbe

Les routes perdent leur reflet.

 

Ne peux-tu donc prendre les vagues

Dont les barques sont les amandes

Dans ta paume chaude et câline

Ou dans les boucles de ta tête ?

 

Ne peux-tu prendre les étoiles ?

Écartelée, tu leur ressembles,

Dans leur nid de feu tu demeures

Et ton éclat s’en multiplie.

 

De l’aube bâillonnée un seul cri veut jaillir,

Un soleil tournoyant ruisselle sous l’écorce.

Il ira se fixer sur tes paupières closes.

Ô douce, quand tu dors, la nuit se mêle au jour.

SOUS LA MENACE ROUGE

Sous la menace rouge d’une épée, défaisant sa chevelure qui guide des baisers, qui montre à quel endroit le baiser se repose, elle rit.

L’ennui, sur son épaule, s’est endormi. L’ennui ne s’ennuie qu’avec elle qui rit, la téméraire, et d’un rire insensé, d’un rire de fin du jour semant sous tous les ponts des soleils rouges, des lunes bleues, fleurs fanées d’un bouquet désenchanté.

Elle est comme une grande voiture de blé et ses mains germent et nous tirent la langue. Les routes qu’elle traîne derrière elle sont ses animaux domestiques et ses pas majestueux leur ferment les yeux.

CACHÉE

Le jardinage est la passion, belle bête de jardinier.

Sous les branches, sa tête semblait couverte de pattes légères d’oiseaux.

À un fils qui voit dans les arbres.

L’AS DE TRÈFLE

Elle joue comme nul ne joue et je suis seul à la regarder. Ce sont ses yeux qui la ramènent dans mes songes. Presque immobile, à l’aventure. Et cet autre qu’elle prend par les ailes de ses oreilles a gardé la forme de ses auréoles. Dans l’accolade ses mains, une hirondelle aux cheveux plats se débat sans espoir. Elle est aveugle.

À LA FLAMME DES FOUETS I

Ces beaux murs blancs d’apothéose

Me sont d’une grande utilité.

Tout au sérieux, celui qui ne paie pas les dégâts

Jongle avec ton trousseau, reine des lavandes.

 

Est-il libre ? Sa gorge montre d’un doigt impérieux

Des corridors où glissent les sifflets de ses chevilles.

Son teint, de l’aube au soir, démode ses tatouages

Et l’asile de ses yeux a des portes sans nuages.

 

Ô régicide ! ton corset appartient aux mignons

Et aux mignonnes de toutes sortes.

Ta chair simple s’y développe,

Tu t’y pourlèches dans la pourpre, ô nouveau médiateur !

 

Par les fentes de ton sourire s’envole un animal hurleur

Qui ne jouit que dans les hauteurs.

À LA FLAMME DES FOUETS II

Métal qui nuit, métal de jour, étoile au nid,

Pointe à frayeur, fruit en guenilles, amour rapace,

Porte-couteau, souillure vaine, lampe inondée,

Souhaits d’amour, fruits de dégoût, glaces prostituées.

 

Bien sûr, bonjour à mon visage !

La lumière y sonne plus clair un grand désir qu’un paysage.

Bien sûr, bonjour à vos harpons,

A vos cris, à vos bonds, à votre ventre qui se cache !

 

J’ai perdu, j’ai gagné, voyez sur quoi je suis monté.

BOIRE

Les bouches ont suivi le chemin sinueux

Du verre ardent, du verre d’astre

Et dans le puits d’une étincelle

Ont mangé le cœur du silence.

Plus un mélange n’est absurde

C’est ici que l’on voit le créateur de mots

Celui qui se détruit dans les fils qu’il engendre

Et qui nomme l’oubli de tous les noms du monde.

Quand le fond du verre est désert,

Quand le fond du verre est fané

Les bouches frappent sur le verre

Comme sur un mort.

ANDRÉ MASSON

La cruauté se noue et la douceur agile se dénoue.

L’amant des ailes prend des visages bien clos, les flammes de la terre s’évadent par les seins et le jasmin des mains s’ouvre sur une étoile.

Le ciel tout engourdi, le ciel qui se dévoue n’est sur nous.

L’oubli, mieux que le soir, l’efface.

Privée de sang et de reflets, la cadence des tempes et colonnes subsiste.

Les lignes de la main, autant de branches dans le vent tourbillonnant.

Rampe des mois d’hiver, jour pâle d’insomnie, mais aussi, dans les chambres les secrètes de l’ombre, la guirlande d’un corps autour de sa splendeur.

PAUL KLEE

Sur la pente fatale, le voyageur profite

De la faveur du jour, verglas et sans cailloux,

Et les yeux bleus d’amour, découvre sa saison

Qui porte à tous les doigts de grands astres en bague.

 

Sur la plage la mer a laissé ses oreilles

Et le sable creusé la place d’un beau crime.

Le supplice est plus dur aux bourreaux qu’aux victimes

Les couteaux sont des signes et les balles des larmes.

LES GERTRUDE HOFFMANN GIRLS

Gertrude, Dorothy, Mary, Claire, Alberta,

Charlotte, Dorothy, Ruth, Catherine, Emma,

Louise, Margaret, Ferrai, Harriet, Sara,

Florence toute nue, Margaret, Toots, Thelma,

 

Belles-de-nuit, belles-de-feu, belles-de-pluie,

Le cœur tremblant, les mains cachées, les yeux au vent

Vous me montrez les mouvements de la lumière,

Vous échangez un regard clair pour un printemps,

 

Le tour de votre taille pour un tour de fleur,

L’audace et le danger pour votre chair sans ombre,

Vous échangez l’amour pour des frissons d’épées

Et le rire inconscient pour des promesses d’aube.

 

Vos danses sont le gouffre effrayant de mes songes

Et je tombe et ma chute éternise ma vie,

L’espace sous vos pieds est de plus en plus vaste,

Merveilles, vous dansez sur les sources du ciel.

PARIS PENDANT LA GUERRE

Les bêtes qui descendent des faubourgs en feu,

Les oiseaux qui secouent leurs plumes meurtrières,

Les terribles ciels jaunes, les nuages tout nus

Ont, en toute saison, fêté cette statue.

 

Elle est belle, statue vivante de l’amour.

Ô neige de midi, soleil sur tous les ventres,

Ô flammes du sommeil sur un visage d’ange

Et sur toutes les nuits et sur tous les visages.

 

Silence. Le silence éclatant de ses rêves

Caresse l’horizon. Ses rêves sont les nôtres

Et les mains de désir qu’elle impose à son glaive

Enivrent d’ouragans le monde délivré.

L’ICÔNE AÉRÉE

L’icône aérée qui se conjugue isolément peut faire une place décisive à la plus fausse des couronnes ovales, crâne de Dieu, polluée par la terreur. L’os gâté par l’eau, ironie à flots irrités qui domine de ses yeux froids comme l’aiguille sur la machine des bonnes mères la tranche du globe que nous n’avons pas choisie.

Doux constructeurs las des églises, doux constructeurs aux tempes de briques roses, aux yeux grillés l’espoir, la tâche que vous deviez faire est pour toujours inachevée. Maisons plus fragiles que les paupières d’un mourant, allaient-ils s’y employer à qui perd gagne ? Boîtes de perles avec, aux vitres, des visages multicolores qui ne se doutent jamais de la pluie ou du beau temps, du soleil d’ivoire ou de la lune tour à tour de soufre et d’acajou, grands animaux immobiles dans les veines du temps, l’aube de midi, l’aube de minuit, l’aube qui n’a jamais rien commencé ni rien fini, cette cloche qui partout et sans cesse sonne le milieu, le cœur de toute chose, ne vous gênera pas. Grandes couvertures de plomb sur des chevelures lisses et odorantes, grand amour transparent sur des corps printaniers, délicats esclaves des prisonniers, vos gestes sont les échelles de votre force, vos larmes ont terni l’insouciance de vos maîtres impuissants et désormais vous pouvez rire effrontément, rire, bouquet d’épées, rire, vent de poussière, rire comme arcs-en-ciel tombés de leur balance, comme un poisson géant qui tourne sur lui-même. La liberté a quitté votre corps.

LE DIAMANT

Le diamant qu’il ne t’a pas donné c’est parce qu’il l’a eu à la fin de sa vie, il n’en connaissait plus la musique, il ne pouvait plus le lancer en l’air, il avait perdu l’illusion du soleil, il ne voyait plus la pierre de ta nudité, chaton de cette bague tournée vers toi.

De l’arabesque qui fermait les lieux d’ivresse, la ronce douce, squelette de ton pouce et tous ces signes précurseurs de l’incendie animal qui dévorera en un de retour de flamme ta grâce de la Sainte-Claire.

Dans les lieux d’ivresse, la bourrasque de palmes et de vin noir fait rage. Les figures dentelées du jugement d’hier conservent aux journées leurs heures entrouvertes. Es-tu sûre, héroïne aux sens de phare, d’avoir vaincu la miséricorde et l’ombre, ces deux sœurs lavandières, prenons-les à la gorge, elles ne sont pas jolies pour ce que nous voulons en faire, le monde se détachera bien assez vite de leur crinière peignant l’encens sur le bord des fontaines.

L’HIVER SUR LA PRAIRIE

L’hiver sur la prairie apporte des souris.

J’ai rencontré la jeunesse.

Toute nue aux plis de satin bleu,

Elle riait du présent, mon bel esclave.

Les regards dans les rênes du coursier,

Délivrant le bercement des palmes de mon sang,

Je découvre soudain le raisin des façades couchées sur

Le soleil, Fourrure du drapeau des détroits insensibles.

La consolation graine perdue,

Le remords pluie fondue,

La douleur bouche en cœur

Et mes larges mains luttent.

La tête antique du modèle

Rougit devant ma modestie.

Je l’ignore, je la bouscule.

Ô ! lettres aux timbres incendiaires

Qu’un bel espion n’envoya pas !

Il glissa une hache de pierre

Dans la chemise de ses filles,

De ses filles tristes et paresseuses.

À terre, à terre tout ce qui nage !

À terre, à terre tout ce qui vole !

J’ai besoin des poissons pour porter ma couronne

Autour de mon front,

J’ai besoin des oiseaux pour parler à la foule.

GRANDES CONSPIRATRICES

Grandes conspiratrices, routes sans destinée, croisant l’x de mes pas hésitants, nattes gonflées de pierres ou de neige, puits légers dans l’espace, rayons de la roue des voyages, routes de brises et d’orages, routes viriles dans les champs humides, routes féminines dans les villes, ficelles d’une toupie folle, l’homme, à vous fréquenter, perd son chemin et cette vertu qui le condamne aux buts. Il dénoue sa présence, il abdique son image et rêve que les étoiles vont se guider sur lui.

LEURS YEUX TOUJOURS PURS

Jours de lenteur, jours de pluie,

Jours de miroirs brisés et d’aiguilles perdues,

Jours de paupières closes à l’horizon des mers,

D’heures toutes semblables, jours de captivité,

 

Mon esprit qui brillait encore sur les feuilles

Et les fleurs, mon esprit est nu comme l’amour,

L’aurore qu’il oublie lui fait baisser la tête

Et contempler son corps obéissant et vain.

 

Pourtant, j’ai vu les plus beaux yeux du monde,

Dieux d’argent qui tenaient des saphirs dans leurs mains,

De véritables dieux, des oiseaux dans la terre

Et dans l’eau, je les ai vus.

 

Leurs ailes sont les miennes, rien n’existe

Que leur vol qui secoue ma misère,

Leur vol d’étoile et de lumière *

Leur vol de terre, leur vol de pierre

Sur les flots de leurs ailes,

 

* Ma pensée soutenue par la vie et la mort.

MAX ERNST

Dévoré par les plumes et soumis à la mer,

Il a laissé passer son ombre dans le vol

Des oiseaux de la liberté.

Il a laissé

La rampe à ceux qui tombent sous la pluie,

Il a laissé leur toit à tous ceux qui se vérifient.

 

Son corps était en ordre,

Le corps des autres est venu disperser

Cette ordonnance qu’il tenait

De la première empreinte de son sang sur terre.

 

Ses yeux sont dans un mur

Et son visage est leur lourde parure.

Un mensonge de plus du jour,

Une nuit de plus, il n’y a plus d’aveugles.

UNE

Je suis tombé de ma fureur, la fatigue me défigure, mais je vous aperçois encore, femmes bruyantes, étoiles muettes, je vous apercevrai toujours, folie.

Et toi, le sang des astres coule en toi, leur lumière te soutient. Sur les fleurs, tu te dresses avec les fleurs, sur les pierres avec les pierres.

Blanche éteinte des souvenirs, étalée, étoilée, rayonnante de tes larmes qui fuient. Je suis perdu.

LE PLUS JEUNE

Au plafond de la libellule

Un enfant fou s’est pendu,

Fixement regarde l’herbe,

Confiant lève les yeux :

Le brouillard léger se lèche comme un chat

Qui se dépouille de ses rêves.

L’enfant sait que le monde commence à peine

Tout est transparent,

C’est la lune qui est au centre de la terre,

C’est la verdure qui couvre le ciel

Et c’est dans les yeux de l’enfant,

Dans ses yeux sombres et profonds

Comme les nuits blanches

Que naît la lumière.

AU HASARD

Hasard une épopée, mais bien finie maintenant,

Tous les actes sont prisonniers

D’esclaves à barbe d’ancêtre

Les paroles coutumières

Ne valent que dans leur mémoire.

Au hasard tout ce qui brûle, tout ce qui ronge,

Tout ce qui use, tout ce qui mord, tout ce qui tue,

Mais ce qui brille tous les jours

C’est l’accord de l’homme et de l’or,

C’est un regard lié à la terre.

Au hasard une délivrance,

Au hasard l’étoile filante

Et l’éternel ciel de ma tête

S’ouvre plus large à son soleil,

À l’éternité du hasard.

L’ABSOLUE NÉCESSITÉ

L’absolue nécessité, l’absolu désir, découdre tous ces habits, le plomb de la verdure qui dort sous la feuillée avec un tapis rouge dans les cheveux d’ordre et de brûlures semant la pâleur, l’azurine de teinte de la poudre d’or du chercheur de noir au fond du rideau dur et renâclant l’humide désertion, poussant le verre ardent, hachure dépendant de l’éternité délirante du pauvre, la machine se disperse et retrouve la ronde armature des rousses au désir de sucre rouge.

Le fleuve se détend, passe avec adresse dans le soleil, regarde la nuit, la trouve belle et à son goût, passe son bras sous le sien et redouble de brutalité, la douceur étant la conjonction d’un œil fermé avec un œil ouvert ou du dédain avec l’enthousiasme, du refus avec la confiance et de la haine avec l’amour, voyez quand même la barrière de cristal que l’homme a fermée devant l’homme, il restera pris par les rubans de sa crinière de troupeaux, de foules, de processions, d’incendies, de semailles, de voyages, de réflexions, d’épopées, de chaînes, de vêtements jetés, de virginités arrachées, de batailles, de triomphes passés ou futurs, de liquides, de satisfactions, de rancunes, d’enfants abandonnés, de souvenirs, d’espoirs, de familles, de races, d’armées, de miroirs, d’enfants de chœur, de chemins de croix, de chemins de fer, de traces, d’appels, de cadavres, de larcins, de pétrifications, de parfums, de promesses, de pitié, de vengeances, de délivrances dis-je – de délivrances comme au son des clairons ordonnant au cerveau de ne plus se laisser distraire par les masques successifs et féminins d’un hasard d’occasion, aux prunelles des haies, la cavalcade sanglante et plus douce au cœur de l’homme averti de paix que la couronne des rêves insouciante des rêves du sommeil.

ENTRE PEU D’AUTRES

À Philippe Soupault.

 

Ses yeux ont tout un ciel de larmes.

Ni ses paupières, ni ses mains

Ne sont une nuit suffisante

Pour que sa douleur s’y cache.

 

Il ira demander

Au Conseil des Visages

S’il est encore capable

De chasser sa jeunesse

 

Et d’être dans la plaine

Le pilote du vent.

C’est une affaire d’expérience :

Il prend sa vie par le milieu.

 

Seuls, les plateaux de la balance…

REVENIR DANS UNE VILLE

Revenir dans une ville de velours et de porcelaine, les fenêtres seront des vases où les fleurs, qui auront quitté la terre, montreront la lumière telle qu’elle est.

Voir le silence, lui donner un baiser sur les lèvres et les toits de la ville seront de beaux oiseaux mélancoliques, aux ailes décharnées.

Ne plus aimer que la douceur et l’immobilité à l’œil de plâtre, au front de nacre, à l’œil absent, au front vivant, aux mains qui, sans se fermer, gardent tout sur leurs balances, les plus justes du monde, invariables, toujours exactes.

Le cœur de l’homme ne rougira plus, il ne se perdra plus, je reviens de moi-même, de toute éternité.

GEORGES BRAQUE

Un oiseau s’envole,

Il rejette les nues comme un voile inutile,

Il n’a jamais craint la lumière,

Enfermé dans son vol,

Il n’a jamais eu d’ombre.

 

Coquilles des moissons brisées par le soleil.

Toutes les feuilles dans les bois disent oui,

Elles ne savent dire que oui,

Toute question, toute réponse

Et la rosée coule au fond de ce oui.

 

Un homme aux yeux légers décrit le ciel d’amour.

Il en rassemble les merveilles

Comme des feuilles dans un bois,

Comme des oiseaux, dans leurs ailes

Et des hommes dans le sommeil.

DANS LA BRUME

Dans la brume où des verres d’eau s’entrechoquent, où les serpents cherchent du lait, un monument de laine et de soie disparaît. C’est là que, la nuit dernière, apportant leur faiblesse, toutes les femmes entrèrent. Le monde n’était pas fait pour leurs promenades incessantes, pour leur démarche languissante, pour leur recherche de l’amour. Grand pays de bronze de la belle époque, par tes chemins en pente douce, l’inquiétude a déserté.

Il faudra se passer des gestes plus doux que l’odeur, des yeux plus clairs que la puissance, il y aura des cris, des pleurs, des jurons et des grincements de dents.

Les hommes qui se coucheront ne seront plus désormais que les pères de l’oubli. À leurs pieds le désespoir aura la belle allure des victoires : sans lendemain, des auréoles sous le beau ciel bleu dont nous étions parés.

Un jour, ils en seront las, un jour ils seront en colère, aiguilles de feu, masques de poix et de moutarde, et la femme se lèvera, avec des mains dangereuses, avec des yeux de perdition, avec un corps dévasté, rayonnant à toute heure.

Et le soleil refleurira, comme le mimosa.

LES NOMS

LES NOMS : CHÉRI-BIBI, GASTON LEROUX.

Il a dû bien souffrir avec ces oiseaux ! Il a pris le goût des animaux, faudra-t-il le manger ? Mais il gagne son temps et roule vers le paradis. C’est BOUCHE-DE-CŒUR qui tient la roue et non CHÉRI-BIBI.