Je suis perdu.

LE PLUS JEUNE

Au plafond de la libellule

Un enfant fou s’est pendu,

Fixement regarde l’herbe,

Confiant lève les yeux :

Le brouillard léger se lèche comme un chat

Qui se dépouille de ses rêves.

L’enfant sait que le monde commence à peine

Tout est transparent,

C’est la lune qui est au centre de la terre,

C’est la verdure qui couvre le ciel

Et c’est dans les yeux de l’enfant,

Dans ses yeux sombres et profonds

Comme les nuits blanches

Que naît la lumière.

AU HASARD

Hasard une épopée, mais bien finie maintenant,

Tous les actes sont prisonniers

D’esclaves à barbe d’ancêtre

Les paroles coutumières

Ne valent que dans leur mémoire.

Au hasard tout ce qui brûle, tout ce qui ronge,

Tout ce qui use, tout ce qui mord, tout ce qui tue,

Mais ce qui brille tous les jours

C’est l’accord de l’homme et de l’or,

C’est un regard lié à la terre.

Au hasard une délivrance,

Au hasard l’étoile filante

Et l’éternel ciel de ma tête

S’ouvre plus large à son soleil,

À l’éternité du hasard.

L’ABSOLUE NÉCESSITÉ

L’absolue nécessité, l’absolu désir, découdre tous ces habits, le plomb de la verdure qui dort sous la feuillée avec un tapis rouge dans les cheveux d’ordre et de brûlures semant la pâleur, l’azurine de teinte de la poudre d’or du chercheur de noir au fond du rideau dur et renâclant l’humide désertion, poussant le verre ardent, hachure dépendant de l’éternité délirante du pauvre, la machine se disperse et retrouve la ronde armature des rousses au désir de sucre rouge.

Le fleuve se détend, passe avec adresse dans le soleil, regarde la nuit, la trouve belle et à son goût, passe son bras sous le sien et redouble de brutalité, la douceur étant la conjonction d’un œil fermé avec un œil ouvert ou du dédain avec l’enthousiasme, du refus avec la confiance et de la haine avec l’amour, voyez quand même la barrière de cristal que l’homme a fermée devant l’homme, il restera pris par les rubans de sa crinière de troupeaux, de foules, de processions, d’incendies, de semailles, de voyages, de réflexions, d’épopées, de chaînes, de vêtements jetés, de virginités arrachées, de batailles, de triomphes passés ou futurs, de liquides, de satisfactions, de rancunes, d’enfants abandonnés, de souvenirs, d’espoirs, de familles, de races, d’armées, de miroirs, d’enfants de chœur, de chemins de croix, de chemins de fer, de traces, d’appels, de cadavres, de larcins, de pétrifications, de parfums, de promesses, de pitié, de vengeances, de délivrances dis-je – de délivrances comme au son des clairons ordonnant au cerveau de ne plus se laisser distraire par les masques successifs et féminins d’un hasard d’occasion, aux prunelles des haies, la cavalcade sanglante et plus douce au cœur de l’homme averti de paix que la couronne des rêves insouciante des rêves du sommeil.

ENTRE PEU D’AUTRES

À Philippe Soupault.

 

Ses yeux ont tout un ciel de larmes.

Ni ses paupières, ni ses mains

Ne sont une nuit suffisante

Pour que sa douleur s’y cache.

 

Il ira demander

Au Conseil des Visages

S’il est encore capable

De chasser sa jeunesse

 

Et d’être dans la plaine

Le pilote du vent.

C’est une affaire d’expérience :

Il prend sa vie par le milieu.

 

Seuls, les plateaux de la balance…

REVENIR DANS UNE VILLE

Revenir dans une ville de velours et de porcelaine, les fenêtres seront des vases où les fleurs, qui auront quitté la terre, montreront la lumière telle qu’elle est.

Voir le silence, lui donner un baiser sur les lèvres et les toits de la ville seront de beaux oiseaux mélancoliques, aux ailes décharnées.

Ne plus aimer que la douceur et l’immobilité à l’œil de plâtre, au front de nacre, à l’œil absent, au front vivant, aux mains qui, sans se fermer, gardent tout sur leurs balances, les plus justes du monde, invariables, toujours exactes.

Le cœur de l’homme ne rougira plus, il ne se perdra plus, je reviens de moi-même, de toute éternité.

GEORGES BRAQUE

Un oiseau s’envole,

Il rejette les nues comme un voile inutile,

Il n’a jamais craint la lumière,

Enfermé dans son vol,

Il n’a jamais eu d’ombre.

 

Coquilles des moissons brisées par le soleil.

Toutes les feuilles dans les bois disent oui,

Elles ne savent dire que oui,

Toute question, toute réponse

Et la rosée coule au fond de ce oui.

 

Un homme aux yeux légers décrit le ciel d’amour.

Il en rassemble les merveilles

Comme des feuilles dans un bois,

Comme des oiseaux, dans leurs ailes

Et des hommes dans le sommeil.

DANS LA BRUME

Dans la brume où des verres d’eau s’entrechoquent, où les serpents cherchent du lait, un monument de laine et de soie disparaît. C’est là que, la nuit dernière, apportant leur faiblesse, toutes les femmes entrèrent. Le monde n’était pas fait pour leurs promenades incessantes, pour leur démarche languissante, pour leur recherche de l’amour. Grand pays de bronze de la belle époque, par tes chemins en pente douce, l’inquiétude a déserté.

Il faudra se passer des gestes plus doux que l’odeur, des yeux plus clairs que la puissance, il y aura des cris, des pleurs, des jurons et des grincements de dents.

Les hommes qui se coucheront ne seront plus désormais que les pères de l’oubli. À leurs pieds le désespoir aura la belle allure des victoires : sans lendemain, des auréoles sous le beau ciel bleu dont nous étions parés.

Un jour, ils en seront las, un jour ils seront en colère, aiguilles de feu, masques de poix et de moutarde, et la femme se lèvera, avec des mains dangereuses, avec des yeux de perdition, avec un corps dévasté, rayonnant à toute heure.

Et le soleil refleurira, comme le mimosa.

LES NOMS

LES NOMS : CHÉRI-BIBI, GASTON LEROUX.

Il a dû bien souffrir avec ces oiseaux ! Il a pris le goût des animaux, faudra-t-il le manger ? Mais il gagne son temps et roule vers le paradis. C’est BOUCHE-DE-CŒUR qui tient la roue et non CHÉRI-BIBI. On le nomme aussi MAMAN, par erreur.

LA NUIT

Caresse l’horizon de la nuit, cherche le cœur de jais que l’aube recouvre de chair. Il mettrait dans tes yeux des pensées innocentes, des flammes, des ailes et des verdures que le soleil n’inventa pas.

Ce n’est pas la nuit qui te manque, mais sa puissance.

ARP

Tourne sans reflets aux courbes sans sourires des ombres à moustaches, enregistre les murmures de la vitesse, la terreur minuscule, cherche sous des cendres froides les plus petits oiseaux, ceux qui ne ferment jamais leurs ailes, résiste au vent.

JOAN MIRO

Soleil de proie prisonnier de ma tête,

Enlève la colline, enlève la forêt.

Le ciel est plus beau que jamais.

 

Les libellules des raisins

Lui donnent des formes précises

Que je dissipe d’un geste.

 

Nuages du premier jour,

Nuages insensibles et que rien n’autorise,

Leurs graines brûlent

Dans les feux de paille de mes regards.

 

À la fin, pour se couvrir d’une aube

Il faudra que le ciel soit aussi pur que la nuit.

JOUR DE TOUT

Empanaché plat, compagnie et compagnie a la parole facile, tout à dire. Peur plus tiède que le soleil. Il est pâle et sans défauts. Compagnie et compagnie s’est habitué à la lumière.

Est-ce avoir l’air musicien que d’avoir l’air des villes ? Il parle, roses des mots ignorés de la plume.

Et je me dresse devant lui comme le mât d’une tente, et je suis au sommet du mât, colombe.

L’IMAGE D’HOMME

L’image d’homme, au-dehors du souterrain, resplendit. Des plaines de plomb semblent lui offrir l’assurance qu’elle ne sera plus renversée, mais ce n’est que pour la replonger dans cette grande tristesse qui la dessine. La force d’autrefois, oui la force d’autrefois se suffisait à elle-même. Tout secours est inutile, elle périra par extinction, mort douce et calme.

Elle entre dans les bois épais, dont la silencieuse solitude jette l’âme dans une mer où les vagues sont des lustres et des miroirs. La belle étoile de feuilles blanches qui, sur un plan plus éloigné, semble la reine des couleurs, contraste avec la substance des regards, appuyés sur les troncs de l’incalculable impéritie des végétaux bien accordés.

Au-dehors du souterrain, l’image d’homme manie cinq sabres ravageurs. Elle a déjà creusé la masure où s’abrite le règne noir des amateurs de mendicité, de bassesse et de prostitution. Sur le plus grand vaisseau que déplace la mer, l’image d’homme s’embarque et conte aux matelots revenant des naufrages une histoire de brigands : « À cinq ans, sa mère lui confia un trésor. Qu’en faire ? Sinon de l’amadouer. Elle rompit de ses bras d’enfer la caisse de verre où dorment les pauvres merveilles des hommes. Les merveilles la suivirent. L’œillet de poète sacrifia les cieux pour une chevelure blonde. Le caméléon s’attarda dans une clairière pour y construire un minuscule palais de fraises et d’araignées, les pyramides d’Egypte faisaient rire les passants, car elles ne savaient pas que la pluie désaltère la terre. Enfin, le papillon d’orange secoua ses pépins sur les paupières des enfants qui crurent sentir passer le marchand de sable. »

L’image d’homme rêve, mais plus rien n’est accroché à ses rêves que la nuit sans rivale. Alors, pour rappeler les matelots à l’apparence de quelque raison, quelqu’un qu’on avait cru ivre prononce lentement cette phrase :

« Le bien et le mal doivent leur origine à l’abus de quelques erreurs. »

LE MIROIR D’UN MOMENT

Il dissipe le jour,

Il montre aux hommes les images déliées de l’apparence,

Il enlève aux hommes la possibilité de se distraire.

Il est dur comme la pierre,

La pierre informe,

La pierre du mouvement et de la vue,

Et son éclat est tel que toutes les armures, tous les masques en sont faussés.

Ce que la main a pris dédaigne même de prendre la forme de la main,

Ce qui a été compris n’existe plus,

L’oiseau s’est confondu avec le vent,

Le ciel avec sa vérité,

L’homme avec sa réalité.

TA CHEVELURE D’ORANGES

Ta chevelure d’oranges dans le vide du monde

Dans le vide des vitres lourdes de silence

Et d’ombre où mes mains nues cherchent tous tes reflets.

 

La forme de ton cœur est chimérique

Et ton amour ressemble à mon désir perdu.

Ô soupirs d’ambre, rêves, regards.

Mais tu n’as pas toujours été avec moi. Ma mémoire

Est encore obscurcie de t’avoir vu venir

Et partir. Le temps se sert de mots comme l’amour.

LES LUMIÈRES DICTÉES

Les lumières dictées à la lumière constante et pauvre passent avec moi toutes les écluses de la vie. Je reconnais les femmes à fleur de leurs cheveux, de leur poitrine et de leurs mains. Elles ont oublié le printemps, elles pâlissent à perte d’haleine.

Et toi, tu te dissimulais comme une épée dans la déroute, tu t’immobilisais, orgueil, sur le large visage de quelque déesse méprisante et masquée. Toute brillante d’amour, tu fascinais l’univers ignorant.

Je t’ai saisie et depuis, ivre de larmes, je baise par­tout pour toi l’espace abandonné.

TA BOUCHE AUX LÈVRES D’OR

Ta bouche aux lèvres d’or n’est pas en moi pour rire

Et tes mots d’auréole ont un sens si parfait

Que dans mes nuits d’années, de jeunesse et de mort

J’entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde.

 

Dans cette aube de soie où végète le froid

La luxure en péril regrette le sommeil,

Dans les mains du soleil tous les corps qui s’éveillent

Grelottent à l’idée de retrouver leur cœur.

 

Souvenirs de bois vert, brouillard où je m’enfonce

J’ai refermé les yeux sur moi, je suis à toi,

Toute ma vie t’écoute et je ne peux détruire

Les terribles loisirs que ton amour me crée.

ELLE EST

Elle est – mais elle n’est qu’à minuit quand tous les oiseaux blancs ont refermé leurs ailes sur l’ignorance des ténèbres, quand la sœur des myriades de perles a caché ses deux mains dans sa chevelure morte, quand le triomphateur se plaît à sangloter, las de ses dévotions à la curiosité, mâle et brillante armure de luxure. Elle est si douce qu’elle a transformé mon cœur.