On le nomme aussi MAMAN, par erreur.
LA NUIT
Caresse l’horizon de la nuit, cherche le cœur de jais que l’aube recouvre de chair. Il mettrait dans tes yeux des pensées innocentes, des flammes, des ailes et des verdures que le soleil n’inventa pas.
Ce n’est pas la nuit qui te manque, mais sa puissance.
ARP
Tourne sans reflets aux courbes sans sourires des ombres à moustaches, enregistre les murmures de la vitesse, la terreur minuscule, cherche sous des cendres froides les plus petits oiseaux, ceux qui ne ferment jamais leurs ailes, résiste au vent.
JOAN MIRO
Soleil de proie prisonnier de ma tête,
Enlève la colline, enlève la forêt.
Le ciel est plus beau que jamais.
Les libellules des raisins
Lui donnent des formes précises
Que je dissipe d’un geste.
Nuages du premier jour,
Nuages insensibles et que rien n’autorise,
Leurs graines brûlent
Dans les feux de paille de mes regards.
À la fin, pour se couvrir d’une aube
Il faudra que le ciel soit aussi pur que la nuit.
JOUR DE TOUT
Empanaché plat, compagnie et compagnie a la parole facile, tout à dire. Peur plus tiède que le soleil. Il est pâle et sans défauts. Compagnie et compagnie s’est habitué à la lumière.
Est-ce avoir l’air musicien que d’avoir l’air des villes ? Il parle, roses des mots ignorés de la plume.
Et je me dresse devant lui comme le mât d’une tente, et je suis au sommet du mât, colombe.
L’IMAGE D’HOMME
L’image d’homme, au-dehors du souterrain, resplendit. Des plaines de plomb semblent lui offrir l’assurance qu’elle ne sera plus renversée, mais ce n’est que pour la replonger dans cette grande tristesse qui la dessine. La force d’autrefois, oui la force d’autrefois se suffisait à elle-même. Tout secours est inutile, elle périra par extinction, mort douce et calme.
Elle entre dans les bois épais, dont la silencieuse solitude jette l’âme dans une mer où les vagues sont des lustres et des miroirs. La belle étoile de feuilles blanches qui, sur un plan plus éloigné, semble la reine des couleurs, contraste avec la substance des regards, appuyés sur les troncs de l’incalculable impéritie des végétaux bien accordés.
Au-dehors du souterrain, l’image d’homme manie cinq sabres ravageurs. Elle a déjà creusé la masure où s’abrite le règne noir des amateurs de mendicité, de bassesse et de prostitution. Sur le plus grand vaisseau que déplace la mer, l’image d’homme s’embarque et conte aux matelots revenant des naufrages une histoire de brigands : « À cinq ans, sa mère lui confia un trésor. Qu’en faire ? Sinon de l’amadouer. Elle rompit de ses bras d’enfer la caisse de verre où dorment les pauvres merveilles des hommes. Les merveilles la suivirent. L’œillet de poète sacrifia les cieux pour une chevelure blonde. Le caméléon s’attarda dans une clairière pour y construire un minuscule palais de fraises et d’araignées, les pyramides d’Egypte faisaient rire les passants, car elles ne savaient pas que la pluie désaltère la terre. Enfin, le papillon d’orange secoua ses pépins sur les paupières des enfants qui crurent sentir passer le marchand de sable. »
L’image d’homme rêve, mais plus rien n’est accroché à ses rêves que la nuit sans rivale. Alors, pour rappeler les matelots à l’apparence de quelque raison, quelqu’un qu’on avait cru ivre prononce lentement cette phrase :
« Le bien et le mal doivent leur origine à l’abus de quelques erreurs. »
LE MIROIR D’UN MOMENT
Il dissipe le jour,
Il montre aux hommes les images déliées de l’apparence,
Il enlève aux hommes la possibilité de se distraire.
Il est dur comme la pierre,
La pierre informe,
La pierre du mouvement et de la vue,
Et son éclat est tel que toutes les armures, tous les masques en sont faussés.
Ce que la main a pris dédaigne même de prendre la forme de la main,
Ce qui a été compris n’existe plus,
L’oiseau s’est confondu avec le vent,
Le ciel avec sa vérité,
L’homme avec sa réalité.
TA CHEVELURE D’ORANGES
Ta chevelure d’oranges dans le vide du monde
Dans le vide des vitres lourdes de silence
Et d’ombre où mes mains nues cherchent tous tes reflets.
La forme de ton cœur est chimérique
Et ton amour ressemble à mon désir perdu.
Ô soupirs d’ambre, rêves, regards.
Mais tu n’as pas toujours été avec moi. Ma mémoire
Est encore obscurcie de t’avoir vu venir
Et partir. Le temps se sert de mots comme l’amour.
LES LUMIÈRES DICTÉES
Les lumières dictées à la lumière constante et pauvre passent avec moi toutes les écluses de la vie. Je reconnais les femmes à fleur de leurs cheveux, de leur poitrine et de leurs mains. Elles ont oublié le printemps, elles pâlissent à perte d’haleine.
Et toi, tu te dissimulais comme une épée dans la déroute, tu t’immobilisais, orgueil, sur le large visage de quelque déesse méprisante et masquée. Toute brillante d’amour, tu fascinais l’univers ignorant.
Je t’ai saisie et depuis, ivre de larmes, je baise partout pour toi l’espace abandonné.
TA BOUCHE AUX LÈVRES D’OR
Ta bouche aux lèvres d’or n’est pas en moi pour rire
Et tes mots d’auréole ont un sens si parfait
Que dans mes nuits d’années, de jeunesse et de mort
J’entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde.
Dans cette aube de soie où végète le froid
La luxure en péril regrette le sommeil,
Dans les mains du soleil tous les corps qui s’éveillent
Grelottent à l’idée de retrouver leur cœur.
Souvenirs de bois vert, brouillard où je m’enfonce
J’ai refermé les yeux sur moi, je suis à toi,
Toute ma vie t’écoute et je ne peux détruire
Les terribles loisirs que ton amour me crée.
ELLE EST
Elle est – mais elle n’est qu’à minuit quand tous les oiseaux blancs ont refermé leurs ailes sur l’ignorance des ténèbres, quand la sœur des myriades de perles a caché ses deux mains dans sa chevelure morte, quand le triomphateur se plaît à sangloter, las de ses dévotions à la curiosité, mâle et brillante armure de luxure. Elle est si douce qu’elle a transformé mon cœur. J’avais peur des grandes ombres qui tissent les tapis du jeu et les toilettes, j’avais peur des contorsions du soleil le soir, des incassables branches qui purifient les fenêtres de tous les confessionnaux où des femmes endormies nous attendent.
Ô buste de mémoire, erreur de forme, lignes absentes, flamme éteinte dans mes yeux clos, je suis devant ta grâce comme un enfant dans l’eau, comme un bouquet dans un grand bois. Nocturne, l’univers se meut dans ta chaleur et les villes d’hier ont des gestes de rue plus délicats que l’aubépine, plus saisissants que l’heure. La terre au loin se brise en sourires immobiles, le ciel enveloppe la vie : un nouvel astre de l’amour se lève de partout – fini, il n’y a plus de preuves de la nuit.
LE GRAND JOUR
Viens, monte. Bientôt les plumes les plus légères,
scaphandrier de l’air, te tiendront par le cou.
La terre ne porte que le nécessaire
et tes oiseaux de telle espèce, sourire.
Aux lieux de ta tristesse, comme une ombre derrière
l’amour, le paysage couvre tout.
Viens vite, cours. Et ton corps va plus vite
que tes pensées, mais rien, entends-tu ?
rien, ne peut te dépasser.
LA COURBE DE TES YEUX
La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs
Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
CELLE DE TOUJOURS, TOUTE
Si je vous dis : « j’ai tout abandonné »
C’est qu’elle n’est pas celle de mon corps,
Je ne m’en suis jamais vanté,
Ce n’est pas vrai
Et la brume de fond où je me meus
Ne sait jamais si j’ai passé.
L’éventail de sa bouche, le reflet de ses yeux,
Je suis le seul à en parler,
Je suis le seul qui soit cerné
Par ce miroir si nul où l’air circule à travers moi
Et l’air a un visage, un visage aimé,
Un visage aimant, ton visage,
À toi qui n’as pas de nom et que les autres ignorent,
La mer te dit : sur moi, le ciel te dit : sur moi,
Les astres te devinent, les nuages t’imaginent
Et le sang répandu aux meilleurs moments,
Le sang de la générosité
Te porte avec délices.
Je chante la grande joie de te chanter,
La grande joie de t’avoir ou de ne pas t’avoir,
La candeur de t’attendre, l’innocence de te connaître,
Ô toi qui supprimes l’oubli, l’espoir et l’ignorance,
Qui supprimes l’absence et qui me mets au monde,
Je chante pour chanter, je t’aime pour chanter
Le mystère où l’amour me crée et se délivre.
Tu es pure, tu es encore plus pure que moi-même.
LISTE DES POÈMES
Répétitions (1921)
• Max Ernst
• Suite
• Manie
• L’Invention
• Plus près de nous
• Porte ouverte
• Suite
• La Parole
• La Rivière
• L’Ombre aux soupirs
• Nul
• Poèmes
• Limite
• Les Moutons
• L’Unique
• La Vie
• Nul
• Intérieur
• À côté
• À côté
• L’Impatient
• Sans musique (aussi publié dans Les Conséquences des rêves, 1921)
• Luire
• La Grande Maison inhabitable
• La Mort dans la conversation
• Raison de plus
• Lesquels ?
• Rubans
• L’Ami (aussi publié dans Les Conséquences des rêves, 1921)
• Volontairement
• À la minute
• Parfait
• Ronde
• Ce n’est pas la poésie qui...
• Œil de sourd
Mourir de ne pas mourir (1924)
• L’Égalité des sexes
• Au cœur de mon amour
• Pour se prendre au piège
• L’Amoureuse
• Le Sourd et l’aveugle
• L’Habitude
• Dans la danse
• Le Jeu de construction
• Entre autres
• Giorgio de Chirico
• Bouche usée
• Dans le cylindre des tribulations
• Denise disait aux merveilles
• La Bénédiction
• La Malédiction
• Silence de l’Évangile
• Sans rancune
• Celle qui n’a pas la parole
• Nudité de la vérité
• Perspective
• Ta foi
• Mascha riait aux anges
• Les Petits Justes
Nouveaux Poèmes
• Ne plus partager
• Absences
• Fin des circonstances
• Baigneuse du clair au sombre
• Pablo Picasso
• Première du monde
• Sous la menace rouge
• Cachée
• L’As de trèfle
• À la flamme des fouets
• À la flamme des fouets - II
• Boire
• André Masson
• Paul Knee
• Les Gertrude Hoffmann Girls
• Paris pendant la guerre
• L’Icône aérée
• Le Diamant
• L’Hiver sur la prairie
• Grandes Conspiratrices
• Leurs yeux toujours purs
• Max Ernst
• Une
• Le Plus Jeune
• Au hasard
• L’Absolue Nécessité
• Entre peu d’autres
• Revenir dans une ville
• Georges Braque
• Dans la brume
• Les Noms
• La Nuit
• Arp
• Joan Miró
• Jour de tout
• L’Image d’homme
• Le Miroir d’un moment
• Ta chevelure d’oranges
• Les Lumières dictées
• Ta bouche aux lèvres d’or
• Elle est
• Le Grand Jour
• La Courbe de tes yeux
• Celle de toujours, toute
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