Nous sortîmes donc de la maison et, comme nous passions devant les femmes, Lodas me parla sur un ton de colère.

— Sors de ma ferme ! s’écria-t-il. Je ne veux rien avoir à faire avec toi.

Nous nous rendîmes aussitôt auprès de l’appareil pour détacher les cordes. Ensuite je roulai vers le champ où j’avais atterri. Lodas suivait à pied et, lorsque nous fûmes à portée de voix des hommes, il me cria bien haut.

— Pars d’ici. Je ne veux rien avoir à faire avec toi. Que je ne te revoie jamais dans ma ferme.

Les ouvriers de la ferme nous regardèrent avec de grands yeux étonnés, qui s’agrandirent encore lorsque je décollai.

Comme je l’avais fait en quittant Sanara, je m’envolai dans la direction opposée à celle où je voulais aller ; et lorsque je fus hors de vue je revins vers l’océan. Je découvris l’île que Lodas avait décrite et j’atterris facilement. De hauts fourrés poussaient du côté exposé au vent, et j’amarrai l’appareil derrière ceux-ci. J’y travaillai jusqu’au crépuscule et je l’avais si solidement amarré que je ne pensais pas que qui que ce fût sinon un ouragan pût l’emporter.

J’avais apporté un peu de nourriture de Sanara et, après avoir mangé, je me glissai dans la cabine et m’installai pour la nuit. Je me sentais très seul là-bas, rien qu’avec le vent qui murmurait entre les buissons et le martèlement des vagues sur le rivage de cette mer inconnue. Mais je dormis et rêvai de Duare. Je savais qu’elle devait déjà s’inquiéter à mon sujet, et je me sentais honteux de l’avoir traitée ainsi. J’espérais que Muso lui dirait bientôt que j’étais simplement parti en mission pour lui. Au pire, j’espérais être de retour le deuxième jour.

Je m’éveillai tôt et traversai l’île vers son côté faisant face au rivage ; et environ une demi-heure plus tard je vis un immense gantor qui approchait, tirant un chariot derrière lui. Lorsqu’il fut plus près, je reconnus Lodas perché sur le dos de l’animal. Je lui fis un salut du bras, et il agita le bras en retour. Laissant son véhicule près du rivage, Lodas descendit dans une petite crique, et bientôt je le vis pousser une embarcation rudimentaire dans l’eau. Peu après, je m’y trouvais avec lui et il ramait pour rejoindre la terre.

— Comment notre petit plan a-t-il marché ? lui demandai-je.

— Oh, très bien, dit-il avec un large sourire. J’ai refusé de leur dire ce que tu voulais me faire faire, mais je leur ai dit que c’était quelque chose de mal et que je partais à Amlot pour en parler aux autorités. Cela les a tous convaincus ; et donc s’il y avait un espion parmi eux, je ne crois pas qu’il nous causera des ennuis. Tu es un homme très malin pour avoir pensé à ce plan.

Une fois dans la crique, nous tirâmes le bateau sur une petite saillie et nous montâmes dans le véhicule qui attendait, un chariot à quatre roues en forme de bac, chargé de foin et de légumes. Lodas poussa avec sa fourche un peu de foin sur un côté et me dit de m’allonger dans le creux qu’il avait préparé ; puis il replaça le foin sur moi.

Il y avait environ seize kilomètres jusqu’à Amlot, et de tous les seize kilomètres inconfortables que je parcourus jamais, ceux-ci remportaient le premier prix. Le foin où j’étais allongé était assez mou, mais les graines entraient dans mes oreilles, dans mon nez, dans ma bouche, sous mon harnachement et sous mon pagne, et je suffoquais presque sous le tas de foin qui me couvrait. Le mouvement du chariot était pour le moins excentrique. Il tanguait, brinquebalait et cahotait sur une route qui devait être neuve du temps où le sérum de longévité avait été inventé, mais qui n’en avait jamais reçu une goutte. L’allure du gantor était bien plus rapide que je l’avais prévu. Il avait manifestement une démarche longue et cadencée ; et nous devions au moins faire du dix kilomètres à l’heure, ce qui était quelque part entre la vitesse d’un cheval au pas et au trot.

Mais enfin nous atteignîmes Amlot. Je le sus lorsque nous nous arrêtâmes enfin et que j’entendis des voix d’hommes qui interrogeaient Lodas. Enfin, j’entendis l’un d’eux dire :

— Oh, je connais ce fermier. Il apporte souvent des marchandises en ville.