Ce que savait Maisie

RÉSUMÉ

Ebook réalisé par Issa

 

Au divorce de ses parents, Maisie est l'objet d'un jugement de Salomon, « coupée par moitié, et les tronçons jetés impartialement aux deux adversaires ». Enjeu et instrument de la haine que se vouent ses géniteurs avant d'être rejetée comme un témoin gênant, elle est la spectatrice passive de l'égoïsme des adultes. À travers son regard innocent et lucide, Henry James compose une peinture ironique des passions humaines. Ce roman est le tour de force d'un maître en psychologie, la recréation d'une âme enfantine et du monde qui l'entoure, où l'analyse minutieuse des sentiments, d'une profondeur remarquable, laisse le lecteur émerveillé.


PRÉFACE

Entre les mouvements littéraires des différents pays, il existe presque toujours un décalage. L’Amérique était devenue naturaliste au moment où, en France, le naturalisme déclinait. Voici qu’elle réveille d’entre les morts Henry James cependant que, chez nous, triomphent Hemingway, Steinbeck et Caldwell. Tous les romans et récits de James sont aujourd’hui, aux États-Unis, réédités, recherchés, commentés. Les critiques les plus sérieux de la jeune génération : Edmund Wilson, F.-O. Matthiessen, W.-H. Auden lui consacrent des livres ou des études. L’Amérique, qui l’avait repoussé comme un esthète européen, le revendique maintenant avec fierté et certains vont jusqu’à le proclamer le plus grand romancier américain. Les renouveaux de la gloire sont choses communes dans l’histoire littéraire ; toutefois celui de James apparaît comme l’un des plus rapides et des plus inattendus.

Car Henry James revient de loin et peu de grands écrivains ont été, de leur vivant, plus maltraités. L'Amérique lui reprochait d’être allé se mettre à l’école des romanciers européens; de s’être fait disciple de Tourgueniev et de Flaubert, ami des Goncourt, de Paul Bourget et d’Alphonse Daudet; d’avoir vécu à Londres et à Paris plutôt qu’à Boston ou à New York ; de n’avoir peint dans ses livres que l’aristocratie anglaise et la ploutocratie américaine ; d’avoir ignoré la vie réelle, celle des hommes d’affaires et des masses ; d’être devenu un champion de l’art pour l’art et, pour tout résumer d’un mot, d’avoir été un déraciné.

Cependant l’Europe, à laquelle il avait tout sacrifié, ne l’avait pas elle-même adopté. James y avait conquis quelques fidèles de qualité, dont Sir Edmund Gosse, Charles Du Bos, Jacques-Émile Blanche, mais beaucoup de bons esprits lui reprochaient ce qu'ils appelaient son snobisme. André Gide le tenait pour un « profane », qui sacrifiait tout à la virtuosité et dont les caractères manquaient d’âme. Wells le blâmait de peintre « des êtres sans viscères » que tourmentent de vains scrupules. « Pour vous, écrivait-il à James, la littérature est une fin, comme la peinture ; pour moi la littérature, comme l’architecture, est un moyen : elle doit servir. » À quoi James répondait que la littérature, à ses yeux, était essentiellement une question de forme. « C’est l’art qui fait la vie, disait-il, et la forme seule qui sauve les œuvres d’art. » Le temps s’est fait juge du débat. Au lendemain de la mort de Wells, Henry James ressuscite et triomphe.

 

Quelle est l’explication de ce revirement et quelles sont les valeurs qui renaissent avec James ? J’en vois deux : l’intelligence et la technique. Henry James était admirablement intelligent au sens où l’était Marcel Proust. Il savait analyser les mouvements d’âmes les plus ténus ; il était adroit à les déceler et à les indiquer par d’infimes et symboliques détails. Après tant de brutes bégayantes aux monosyllabes blasphématoires, les dialogues un peu tarabiscotés de ses héros cultivés ont plaisamment surpris le lecteur américain de notre temps.

Quant à la technique, peu de romanciers lui ont accordé autant de réflexions et de soins. James avait bien étudié ses modèles : Tourgueniev, Flaubert, et il avait cru découvrir leur secret dans une merveilleuse économie de moyens et dans une parfaite construction. Économie : tout, dans ses romans, est sacrifié au sujet central. « Un roman de James, disait Wells, est comme une église où il n’y aurait pas de fidèles à regarder pour se distraire et où toute la lumière serait concentrée sur le maître-autel... » Construction : Henry James fait choix, pour centre du roman, d’une conscience qui sera le miroir pour lequel se refléteront les événements. Par rapport à ce centre, les épisodes s’ordonnent avec une symétrie et une gradation flaubertiennes.

 

Considérons par exemple Ce que savait Maisie. C’est l’histoire de la rupture d’un ménage anglais, vue par les yeux de la petite fille qui en est la victime. Maisie sera l’unique réflecteur. Nous ne saurons des événements que ce qu’en peut connaître Maisie, mais nous en saurons tout de même plus qu’elle parce que nous déduirons, des signes qu’elle observe, les conséquences qui lui échappent. La donnée première du sujet se bornait à cela : le divorce, l’enfant, un remariage. De cette graine minuscule, la technique de James a fait surgir un arbre vivant.

« Quelqu’un avait par hasard mentionné devant moi, écrit-il, la manière dont la situation de la malheureuse enfant d’un couple divorcé avait été affectée par le remariage d’un des parents...