Votre voiture est le long de la petite route près du hangar, de l’autre côté de l’auberge. Vous la trouverez garée derrière trois arbres à deux pas de la route. C’est moi qui l’ai planquée là. Et maintenant, suivez mon conseil, et tirez-vous.

     – Entendu, fait-elle, toute gaie. Mais, dites-moi, c’est gentil à vous. Je ne vous connais pas, mais vous m’êtes très sympathique.

     – N’ayez crainte. Vous aurez l’occasion de me revoir. Adieu, mignonne. »

    Elle fait demi-tour et longe le couloir. Je la suis et trois ou quatre minutes plus tard, posté dans l’ombre près de l’entrée du cabaret, je vois la lueur rouge de son feu arrière s’enfoncer dans la nuit.

    C’était déjà ça de gagné. Elle n’était plus dans le coup. Mais, entendons-nous bien. N’allez pas imaginer que je suis le preux chevalier qui passe son temps à secourir les pauvres petites délaissées, parce_ que c’est pas ça. Ah ! Mais pas du tout. Mettons simplement que ça ne m’arrangerait pas que la petite Van Zelden aille se fourrer dans une sale histoire dans ce coin-là. Je ruminais quelque chose de mon cru pour cette môme.

    Je suis là à regarder son feu arrière qui rapetisse peu à peu dans le lointain, quand subitement je sens qu’il doit y avoir quelqu’un dans les parages. Je tourne la tête, et, guettant lui aussi la voiture de Miranda, j’aperçois Siegella.

    Au cas où vous ne le sauriez pas, Siegella est un grand type, presque aussi fort que moi. Mince de taille, le visage un peu en lame de couteau et le nez maigre et crochu. Il a de petits yeux perçants comme des vrilles, et c’est toute la saloperie de la terre qui vous regarde à travers ces yeux-là.

    Il me sourit. Ensuite, il regarde encore une fois le feu arrière de la voiture, et de nouveau se tourne vers moi. Après quoi, il dit calmement :

    « Belle pêche, hein, petit ? »

    Je prends un air étonné :

    « J’sais pas ce que vous voulez dire, mon vieux, j’suis fait ; mais, entre nous soit dit, je n’en mène pas large. »

    Le fait que Siegella se trouve dans les parages de l’auberge à un moment pareil me prouve que j’étais dans le vrai en pensant que c’était lui qui patronnait Lacassar, et maintenant je m’attends à tout moment à recevoir de quelque part un bout de plomb chaud dans la viande. Mais rien ne se produit.

    Siegella tire de sa poche un étui à cigarettes et me le tend. J’en prends une et lui aussi. Puis il sort son briquet et me donne du feu.

    A la flamme du briquet, je le vois qui ricane. Il referme le briquet et le remet dans sa poche.

    « Eh ben, à un de ces jours », il dit avec un signe de tête. Il longe le couloir qui conduit à la salle de danse où tout est calme à présent.

    Je me débine. Je vais prendre mon chapeau au vestiaire. Ensuite, je sors par une porte dérobée et je rejoins la route de traverse, en me tenant le plus possible dans l’ombre jusqu’à l’endroit où j’ai garé ma voiture. Je prends le volant et j’appuie à fond, car, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, je ne suis pas un type à prendre des risques inutiles, mais quand même, je suis embêté.

    Tout en avalant des kilomètres, je pense à ce boniment que Siegella m’a balancé… « Belle pêche, hein, petit ? » Je me demande si par hasard Siegella se serait rencardé sur ma combine…

    C’est marrant comme ça va vite la pensée. Tout ça m’est passé dans la tête le temps de faire quelques pas dans Haymarket, à Londres. En ce moment, je me trouve à la hauteur du Théâtre-Royal. Le spectacle vient de prendre fin et les gens commencent à sortir. Je reste planté là un moment sans bouger, car j’aperçois, montant dans une voiture arrêtée le long du trottoir d’en face, une poule tout ce qu’y a de bien, et quand je vous dis qu’une poule est tout ce qu’y a de bien, vous pouvez me croire parce que c’est exactement ce qu’elle est. Et elle a aussi une bagnole tout c’qu’y a de chouettes.