Et en la regardant grimper dedans, j’ai comme une idée qu’elle m’a lancé le regard en coulisse en question et que j’ai une vache touche.

    Quoi qu’il en soit, tandis que je rumine là-dessus en me demandant si c’est moi qui me goure ou si j’ai vraiment tapé dans l’œil à c’te môme, l’auto démarre. Elle traverse la chaussée et vient ramper le long du trottoir à quelques mètres devant moi. Par la vitre arrière je vois la frangine en question me regarder en souriant, cette fois, y a pas de doute. Et alors la voiture stoppe.

    Moi, je suis d’avis qu’il ne faut jamais laisser passer une bonne occasion, et d’ailleurs, qu’auriez-vous fait à ma place ? Je m’avance vers la portière et j’ôte mon chapeau. Elle me regarde à travers la glace, et je vous jure que c’te môme est jolie comme un cœur. Elle a de ceci et de cela, et elle en a à revendre, et elle sait porter la toilette. J’en ai vu des gonzesses dans mon existence, mais celle-ci en jette un drôle de jus, je vous le dis.

    « Eh bien, Lemmy, fait-elle, c’est comme ça qu’on snobe les amis ? »

    Je lui dis en riant : « Mande pardon, ma p’tite dame, je vous trouve délicieuse et je suppose que vous allez me prendre pour la reine des gourdes si je vous dis que je ne vous remets pas du tout, et pour oublier une môme comme vous, je me demande vraiment ce qui a pu me tomber sur la tête. »

    Elle sourit et me montre deux jolies rangées de petites perles.

    « Allons donc, Lemmy. Tu ne te souviens pas de cette soirée à New York, quand t’avais tellement bu de cochonneries qu’il a fallu te ramener chez toi ? Tu sais bien, le fameux souper que Schœller a donné au Ritz… Tu ne te rappelles plus qui t’a ramené en voiture ? » Je siffle un petit coup.

    « Ça par exemple… Alors, c’était toi… Eh ben, on peut dire que la vie est bizarre, quand même… » Je me souviens d’elle. Je m’étais trouvé à cette soirée et j’y avais bu pas mal d’alcool frelaté, c’est vous dire… C’est elle qui m’avait ramené chez moi, du moins elle le prétendait et il fallait bien que ce soit elle, sinon comment l’aurait-elle su ?

    « Eh bien, qu’est-ce qu’on décide ? Je lui demande. – Monte, Lemmy. J’ai à te parler. » Je vous le répète, faut jamais laisser passer une bonne occasion, alors je monte. La voiture démarre et tourne dans Pall Mail. Il est hors de doute que cette souris me connaît car elle me parle d’un tas de gens et d’endroits que je fréquentais. Elle me parle aussi d’une copine à elle, une nommée Liliane Schultz, que je connais. Paraît qu’elle l’a accompagnée en Angleterre, et elle propose qu’on aille boire un whisky pour fêter notre réunion. Au moment de l’entretien, je m’aperçois que nous sommes à Knightsbridge. Peu après, la voiture quitte l’avenue et prend une rue transversale, puis une autre, et s’arrête enfin devant un immeuble tout ce qu’il y a de rupin.

    Nous descendons et prenons l’ascenseur. En arrivant à la porte de l’appartement, elle se retourne et me regarde :

    « Tu sais, Lemmy, c’est merveilleux d’être tombé sur toi comme ça, fait-elle. C’est épatant de rencontrer un vieux copain dans c’patelin. »

    Il me passe un tas d’idées dans le crâne. Je me dis que c’est pas fort ce que je fais là, me faire court-circuiter par une poule, alors que je suis venu ici m’occuper de la p’tite Miranda. Et, en même temps, je me dis qu’un homme a bien le droit de vivre quand même, que c’te môme est vraiment un Chopin et je me demande ce qu’elle peut bien penser de moi au juste.

    Pendant ce petit tête-à-tête avec mézigue, elle ouvré la porte et me fait entrer dans un hall. Elle tourne le commutateur. « Débarrasse-toi, Lemmy, dit-elle, et entre… »

    Elle disparaît par une porte à gauche dans le vestibule. De l’intérieur j’entends tinter la glace dans les verres et j’avoue que c’est un bruit qui m’est fort sympathique. Je suspends mon chapeau au portemanteau et je la suis, et une fois de l’autre côté de la porte je m’arrête pile, parce que sur le canapé d’en face, tenant son vieil égalisateur braqué droit sur mes tripes, j’aperçois Siegella.

    « Alors, pigeon, il fait, tu entres ? »

 

Chapitre II

    DE L’ARGENT DU PAYS

    Ça, pour être soufflé, j’étais soufflé. Je reste bien là dix secondes à ne plus très bien savoir sur quel pied danser. Vous m’auriez estourbi en me soufflant dessus… Parce qu’on est à Londres, en Angleterre, et j’ai là, devant moi, au complet, toute l’organisation Siegella. Lui-même est vautré sur le canapé ; il est tiré à quatre épingles et ressemble aux mannequins de la vitrine de chez Squire, le tailleur de l’élite. Eparpillés à travers la pièce, les autres me regardent avec un sourire inquiétant. Il y a là Yonnie Malas, Scutterby, dit « Le Gaucher », dit « l’Empaumeur », le gandin anglais qui s’était évadé de la prison d’Auburn, grâce à un pistolet de carton, Schultz l’Allemand, Willie" Carnazzi et son frère Ginto, la plus belle clique de « tueurs-minute » qu’on ait jamais rencontrée derrière une mitraillette.

    Derrière Siegella, j’aperçois Toni Rio, Franck Capa razi, Jimmy Riskin le Suédois, et encore d’autres éventreurs que je ne connais pas.

    Je dirais même que si je n’avais pas su être à Londres, j’aurais pu me croire au Paris Club à Toledo, ou dans n’importe quel repaire de gangsters.

    Je regardais la femme. Elle s’était assise sur un divan et attendait que Malas lui prépare un whisky-soda. Et avec ça, elle me souriait d’un petit air vache…

    « Rigole toujours, poupée, je lui dis.