Chaleur du sang
Chaleur du sang
DU MÊME AUTEUR
Aux Éditions Denoël
Suite française, 2004, prix Renaudot. Folio n° 4346
Le Maître des âmes, 2005. Folio n° 4477
Aux Éditions Gallimard
Films parlés, 1934
Un enfant prodige, 1992. Folio Junior n° 1362
Chez d’autres éditeurs
Les Chiens et les Loups, Albin Michel, 1990
Le Vin de solitude, Albin Michel, 1990
Le Bal, Grasset, 2002
Dimanche et autres nouvelles, Stock, 2004
Destinées, Éditions Sables, 2004
La Proie, Albin Michel, 2005
La Vie de Tchékhov, Albin Michel, 2005
Les Feux de l’automne, Albin Michel, 2005
Jézabel, Albin Michel, 2005
David Golder, Grasset, 2005
Les Mouches d’automne, Grasset, 2005
L’Affaire Courilof, Grasset, 2005
Les Biens de ce monde, Albin Michel, 2005
Le Pion sur l’échiquier, Albin Michel, 2005
Irène Némirovsky
Chaleur du sang
roman
Texte établi et préfacé
par Olivier Philipponnat et Patrick Lienhardt
DENOËL
© Éditions Denoël, 2007
À Olivier Rubinstein,
ce dernier roman de ma mère,
aux découvreurs
Olivier Philipponnat et Patrick Lienhardt
et à tous ceux qui ont entouré
cette Chaleur du sang.
Denise Epstein
PRÉFACE
Les paradis perdus d’Irène Némirovsky
Elle avait quinze ans et ses poèmes féeriques la soustrayaient au grand ennui blanc de Mustamäki, villégiature finlandaise transformée en radeau de la riche société de Saint-Pétersbourg, le temps d’une révolution. Ses parents avaient fui la terreur bolchevique ; elle rêvait – en vers – à la revanche de Blanchette :
Petite chèvre pâturant dans la montagne,
Galya est si heureuse de vivre.
Le loup gris avalera la petite chèvre
Mais Galya, elle, avalerait toute une arméei…
Le 6 décembre 1937, presque vingt ans après, Irène Némirovsky rouvre l’étroit calepin noir, témoin de ses premiers efforts littéraires. Elle y retrouve ce quatrain et se commente avec tendresse : « Si jamais vous lisez ceci, mes filles, que vous me trouverez bête ! Que je me trouve bête moi-même à cet âge heureux ! Mais il faut respecter son passé. Je ne déchire donc rien. » Quelques mots à l’encre noire pour sceller ses retrouvailles avec l’adolescente qui n’était alors plus tout à fait russe, ni déjà française, ni consciemment juive.
Elle ne déchire donc rien et se met aussitôt en quête de sujets neufs, soigneusement numérotés de 1 à 27. Déjà en 1934, peu après la mort de son père, une prospection dans les vestiges de son enfance lui avait fourni la matière de trois romans et quelques nouvelles, tous esquissés pêle-mêle dans un manuscrit proliférant, mi-brouillon mi-journal, baptisé « le Monstre ». Quatre ans plus tard, ce fabuleux animal est exsangue. De ses flancs sont nés « Les Fumées du vinii », Le Vin de solitude, Jézabel et même Deux, qui sera publié en 1938. La pleine maturité de son œuvre.
Irène Némirovsky, elle aussi, est lasse : un roman chaque année depuis 1927, des dizaines de nouvelles, une demande de naturalisation en souffrance depuis 1935, un héritage réduit à rien par une mère névropathe qui la contraint, pour maintenir son statut dans la République des lettres, de publier sans relâche dans les revues à gros tirage, sans considérer leur contenu politique : Gringoire, Marianne, l’auguste Revue des Deux Mondes, bientôt Candide. Les revenus de son mari, employé de banque, sont trois fois inférieurs aux siens. « Papa et maman doivent manger », disait Tchékhov. Elle, ce sont ses deux filles, Denise, huit ans, et la petite Élisabeth, née le 20 mars 1937.
Parfois, elle perd courage. Alors elle suspend sa besogne et se livre : « Inquiétude, tristesse, désir fou d’être rassurée. Oui, voilà ce que je cherche sans le trouver, ce que le paradis seul pourrait me donner : être rassurée. Je me rappelle Renan : “Du sein de Dieu où tu reposes.” Confiante et rassurée, abritée dans le sein de Dieu. Et pourtant, j’aime la vie. » (5 juin 1937)
À trente-quatre ans, le faîte est franchi. Elle le sait et son calepin retrouvé la submerge de mélancolie. Trois des nouvelles qu’elle esquisse alors sont autant de méditations sur les âges de la vie et la fuite du temps. Dans « La Confidence », elle s’imagine devenue une vieille institutrice époussetant son cher passé sous les sarcasmes de Colette, son insolente élève ; « et ceci, et sa fatigue, et le pressentiment de cette mort proche qu’elle redoutait l’emplissaient de trouble, faisaient remonter à la surface, plus forts que jamais, les vieux souvenirsiii ». Dans « Magie », elle se remémore ceux des Russes de la colonie finnoise qui « rentrèrent dans leur pays et disparurent ensuite comme jetés au fond de l’eauiv ». Dans « Le Départ pour la fête », enfin, elle entend traiter de « l’attente vaine du bonheur au commencement de la vie », de la chute du royaume enfantin et de cette sensation que l’on a, à quarante ans, « de perdre pied, de s’enfoncer dans l’eau profondev ». Cette terreur de l’eau noire – permanente, depuis la noyade de Tatiana dans Les Mouches d’automne jusqu’à celle de l’abbé Péricand dans Suite française –, on la retrouvera dans Chaleur du sang : c’est la chute mortelle du minotier Jean Dorin dans l’étang du Moulin-Neuf.
Chaleur du sang : ce titre n’est pas encore celui du roman – ou, elle hésite, de la nouvelle – dont l’idée lui vient spontanément ce 6 décembre 1937. Mais les contours en sont déjà discernés : « Sujets nouv. et rom. Je pensais à Jeunes et Vieux. Pour roman (une pièce vaudrait mieux). Austérité, pureté des parents qui furent jeunes et coupables. Impossibilité de comprendre cette “chaleur du sang”. Action possible. Inconvénient : pas de types bien tranchés. » L’incompréhension des générations : c’était le sujet de « La Confidence ».
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