Elle a des yeux verts et des cheveux noirs.
Elle a vingt-quatre ans. Elle portait une courte robe noire. Seule de toutes les femmes qui étaient là, elle ne s’était pas endimanchée pour aller à cette noce. J’eus même l’impression qu’elle s’était habillée si simplement exprès, pour marquer le dédain qu’elle éprouve envers la méfiante province : on la tient à l’écart. Tout le monde sait qu’elle n’est qu’une fille adoptée, rien de mieux au fond que ces gamines de l’Assistance employées dans nos fermes. De plus, elle a épousé un homme qui est presque un paysan, vieux, avare et rusé ; il possède les plus beaux domaines de la région, mais il ne parle que patois et mène lui-même ses vaches aux champs. Elle doit s’entendre à faire valser ses sous : la robe était de Paris, et elle a plusieurs bagues ornées de gros diamants. Je connais bien le mari : c’est lui qui a racheté petit à petit tout mon maigre héritage. Les dimanches, je le rencontre parfois dans les chemins. Il a mis des souliers, une casquette ; il s’est rasé et il vient contempler les prés que je lui ai cédés, où paissent maintenant ses bêtes. Il s’accoude à la barrière ; il plante en terre le gros bâton noueux dont il ne se sépare jamais ; il appuie son menton sur ses deux grandes et fortes mains, et, droit devant lui, il regarde. Moi, je passe. Je me promène avec mon chien, ou je chasse ; je rentre à la nuit tombante, et il est toujours là ; il n’a pas plus bougé qu’une borne ; il a contemplé son bien ; il est heureux. Sa jeune femme ne vient jamais de mon côté, et j’avais envie de la voir. Je m’étais informé d’elle auprès de Jean Dorin :
— Vous la connaissez donc ? demanda-t-il. Nous sommes voisins et le mari est un de mes clients. Je les inviterai à mon mariage et il nous faudra les recevoir, mais je ne voudrais pas qu’elle se lie avec Colette. Je n’aime pas ses façons libres avec les hommes.
Quand cette jeune femme entra, Hélène était debout, non loin de moi. Elle était émue et lasse. On avait fini de manger. On avait servi un déjeuner de cent couverts sur un parquet de bal apporté de Moulins et dressé dehors sous une tente. La température était douce, le temps serein et humide. Parfois un pan de toile se soulevait et on voyait le grand jardin des Érard, les arbres nus, le bassin plein de feuilles mortes. À cinq heures, les tables enlevées, on dansa. Des invités arrivaient encore ; ceux-là étaient les plus jeunes, qui n’aimaient ni manger ni boire avec excès, mais désiraient prendre part au bal ; les divertissements sont rares chez nous ; Brigitte Declos était parmi eux, mais elle ne semblait connaître intimement personne ; elle vint seule. Hélène lui serra la main comme aux autres ; un instant seulement ses lèvres se contractèrent et elle fit cette moue souriante et courageuse des femmes qui leur sert à masquer les plus secrètes pensées.
Puis les vieux cédèrent à la jeunesse la salle de bal improvisée et se retirèrent à l’intérieur de la maison. On fit cercle autour des grands feux ; on étouffait dans ces chambres closes ; on buvait de la grenadine et du punch. Les hommes parlaient de la récolte, des fermes données en métayage, du prix des bêtes. Il y a dans une assemblée de gens mûrs quelque chose d’imperturbable ; on devine des organismes qui ont digéré tous les plats lourds, amers, épicés de la vie, qui ont éliminé tous les poisons, qui sont pour dix ou quinze ans dans un état d’équilibre parfait, de santé morale enviable. Ils sont satisfaits d’eux-mêmes.
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