C’est durant cette période qu’il se lia avec de nombreux artistes, parmi lesquels on trouve Eugène Delacroix et Gustave Courbet. Ces amitiés lui permirent de se familiariser avec l’art pictural ; mieux, d’en comprendre toutes les subtilités. Ces nouvelles connaissances en peinture, rapidement acquises car Baudelaire apprend vite ce qui l’intéresse, lui permirent de se trouver un autre thème d’écriture : la critique d’art. Et c’est ainsi que Baudelaire devint l’un des critiques d’art les plus intéressants du XIXe siècle.

 

 

Baudelaire durant sa période de faste, alors âgé de 25 ans : portrait par son ami le peintre Émile Deroy, en 1846.

 

Au bout de deux années de fastes et de dépenses somptuaires, Charles Baudelaire avait dépensé la moitié de son héritage. Voyant que leur fils engloutirait plus vite encore la moitié restante, ses parents intervinrent pour la faire placer sous tutelle par décision de justice. Aussitôt, bien sûr, Charles Baudelaire dut mettre un terme à ses extravagances parisiennes. Son quotidien devint austère, brutalement, puis, très vite, franchement misérable. Comme cela arrive bien souvent, cette pauvreté révolta l’enfant gâté que Baudelaire avait toujours été jusque-là. Les activités révolutionnaires furent son exutoire ; la politique et la contestation les prétextes qui lui permettaient d’exprimer ouvertement sa colère. Avec quelques autres hommes de lettres, il s’engagea idéologiquement et activement dans la révolution de 1848. L’établissement du Second Empire mit un terme à cette période d’activisme politique de Charles Baudelaire ; et d’ailleurs, il ne s’intéressa même plus du tout à la politique. À la place, il se découvrit un nouvel intérêt pour la souffrance et la misère humaine, suite logique de son mal-être — les psychologues de notre temps savent que c’est un réflexe classique d’inconsciemment se soulager un peu de sa propre détresse en venant en aide à de plus malheureux que soi. Durant le même temps, il fit de la critique d’art un moyen de subsistance ; il en vécu, même, pour l’essentiel. Ses premières œuvres publiées furent donc les Salons, entre 1845 et 1846. Cependant, il parvint tout de même à faire publier quelques-uns de ses poèmes aussi, dans quelques revues de l’avant-garde de son époque.

Charles Baudelaire s’essaya à divers thèmes et spécialités du journalisme, toujours pour en vivre, bien sûr, puisque privé du reste de son héritage. Et puis, en 1847, il fit publier son unique nouvelle, la Fanfarlo, œuvre autobiographique. On pense aujourd’hui que cette œuvre fut composée quelques années auparavant, en vérité, durant la période de faste de son auteur, car elle communique un optimisme allant fort bien de pair avec la vie d’un homme comblé.

On ne put jamais exactement savoir ce que fit Baudelaire entre la Révolution de 1848 et le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, en décembre 1851. Tout au plus découvre-t-on que c’est durant cette courte période qu’il acquit sa maturité d’écrivain, et qu’il produisit le meilleur de lui-même. C’est aussi à partir de cette période qu’il se fit connaître comme le traducteur d’Edgar Allan Poe, qu’il acquit simultanément une certaine notoriété en temps que critique d’art, et qu’il établit sa doctrine esthétique en matière de peinture.

Charles Baudelaire avait appris la langue anglaise très jeune, car il faut dire que sa mère était née à Londres (en 1793) parce qu’elle y était la fille d’un immigré français. Les lectures anglaises auxquelles le jeune Baudelaire s’intéressa très tôt, entretenaient un rapport avec le satanisme. Il avait lu The Monk, de M. G. Lewis, et il s’était bien vite intéressé au plus célèbre des poèmes d’Edgar Allan Poe, The Raven (le Corbeau). Il avait même tenté une première traduction de The Raven, car, fasciné par cette œuvre, il en avait entrepris une étude critique sérieuse. En fait, il retravailla cette traduction de multiple fois et durant plusieurs années, de 1852 à 1856. Le premier article qu’il écrivit sur Edgar Allan Poe fut publié dans la Revue de Paris, en 1852. Puis, en 1856, il fit finalement publier sa désormais célèbre traduction de quelques nouvelles de Poe, réunies en un volume portant le titre, les Histoires extraordinaires. Ce recueil de contes et nouvelles en particulier, n’a jamais cessé de bien se vendre depuis ; il est aussi le plus vendu de tous les volumes des œuvres d’Edgar Allan Poe traduites en français. Seulement un an plus tard, Charles Baudelaire fit publier une suite à ce premier opus qui connut un franc succès, les Nouvelles histoires extraordinaires, du même auteur.