Stevens, c’est suite au présent qui a reçu de sa part : un gilet. La seule condition : écrire une pièce sur les chiens des pauvres. M. Stevens était peintre et adorait les animaux.

 

CHARLES BAUDELAIRE

AMŒNITATES BELGICÆ

 

ÉDITION ORIGINALE


 

 

 

 

 

 

 

 

SOMMAIRE

AMŒNITATES BELGICÆ

 

I

VENUS BELGA

II

LA PROPRETÉ DES DEMOISELLES BELGES

III

LA PROPRETÉ BELGE

IV

L’AMATEUR DES BEAUX-ARTS EN BELGIQUE

V

UNE EAU SALUTAIRE

VI

LES BELGES ET LA LUNE

VII

ÉPIGRAPHE POUR L’ATELIER DE M. ROPS, FABRICANT DE CERCUEILS, À BRUXELLES

VIII

LA NYMPHE DE LA SENNE

IX

OPINION DE M. HETZEL SUR LA FARO

X

UN NOM DE BON AUGURE

XI

LE RÊVE BELGE

XII

L’INVIOLABILITÉ DE LA BELGIQUE

XIII

ÉPITAPHE POUR LÉOPOLD Ier

XIV

ÉPITAPHE POUR LA BELGIQUE

XV

L’ESPRIT CONFORME

XVI

LES PANÉGYRIQUES DU ROI

XVII

LE MOT DE CUVIER

XVIII

AU CONCERT, À BRUXELLES

XIX

UNE BÉOTIE BELGE

XX

LA CIVILISATION BELGE

XXI

LA MORT DE LÉOPOLD Ier

 

 

 

AMŒNITATES BELGICÆ1

 

I

VENUS BELGA2

 

Ces mollets sur ces pieds montés,

Qui vont sous ces cottes peu blanches,

Ressemblent à des troncs plantés

      Dans des planches.

 

Les seins des moindres femmelettes,

Ici, pèsent plusieurs quintaux,

Et leurs membres sont des poteaux

Qui donnent le goût des squelettes.

 

Il ne me suffit pas qu’un sein soit gros et doux ;

Il le faut un peu ferme, ou je tourne casaque.

Car, sacré nom de Dieu ! je ne suis pas Cosaque

Pour me soûler avec du suif et du saindoux.

 

 

 

 

II

LA PROPRETÉ DES DEMOISELLES BELGES

 

Elle puait comme une fleur moisie.

Moi, je lui dis (mais avec courtoisie) :

« Vous devriez prendre un bain régulier

Pour dissiper ce parfum de bélier. »

 

Que me répond cette jeune hébétée ?

« Je ne suis pas, moi, de vous dégoûtée ! »

— Ici pourtant on lave le trottoir

Et le parquet avec un savon noir !

 

 

 

 

III

LA PROPRETÉ BELGE

 

« Bains ». — J’entre et demande un bain. Alors le maître

Me regarde avec l’œil d’un bœuf qui vient de paître,

Et me dit : « Ca n’est pas possible, ça, sais-tu,

Monsieur ! » — Et puis, d’un air plus abattu :

« Nous avons au grenier porté nos trois baignoires. »

 

J’ai lu, je m’en souviens, dans les vieilles histoires,

Que le Romain mettait son vin au grenier ; mais,

Si barbare qu’il fût, ses baignoires, jamais !

Aussi, je m’écriai : « Quelle idée, ô mon Dieu ! »

 

Mais l’ingénu : « Monsieur, c’est qu’on venait si peu ! »

 

 

 

 

IV

L’AMATEUR DES BEAUX-ARTS EN BELGIQUE

 

Un ministre qu’on dit le Mecenas flamand,

Me promenait un jour dans son appartement,

Interrogeant mes yeux devant chaque peinture,

Parlant un peu de l’art, beaucoup de la nature,

Vantant le paysage, expliquant le sujet,

 

Et surtout me marquant le prix de chaque objet.

— Mais voilà qu’arrivé devant un portrait d’Ingres,

(Pédant dont j’aime peu les qualités malingres)

Je fus pris tout à coup d’une sainte fureur

De célébrer David, le grand peintre empereur !

— Lui, se tourne vers son fournisseur ordinaire,

Qui se tenait debout comme un factionnaire,

Ou comme un chambellan qui savoure avec foi

Les sottises tombant des lèvres de son roi,

Et lui dit, avec l’œil d’un marchand de la Beauce :

« Je crois, mon cher, je crois que David est en hausse ! »

 

 

 

 

V

UNE EAU SALUTAIRE

 

Joseph Delorme a découvert

Un ruisseau si clair et si vert

Qu’il donne aux malheureux l’envie

D’y terminer leur triste vie.

— Je sais un moyen de guérir

De cette passion malsaine

Ceux qui veulent ainsi périr :

Menez-les au bord de la Senne,

 

« Voyez — dit ce Belge badin

Qui n’est certes pas un ondin —

La contrefaçon de la Seine.

— Oui — lui dis-je — une Seine obscène ! »

 

Car cette Senne, à proprement

Parler, où de tout mur et de tout fondement

L’indescriptible tombe en foule

Ce n’est guère qu’un excrément

          Qui coule.

 

 

 

 

VI

LES BELGES ET LA LUNE3

 

On n’a jamais connu de race si baroque

Que ces Belges. Devant le joli, le charmant,

Ils roulent de gros yeux et grognent sourdement.

Tout ce qui réjouit nos cœurs mortels les choque.

 

Dites un mot plaisant, et leur œil devient gris

Et terne comme l’œil d’un poisson qu’on fait frire ;

Une histoire touchante ; ils éclatent de rire,

Pour faire voir qu’ils ont parfaitement compris.

 

Comme l’esprit, ils ont en horreur les lumières ;

Parfois sous la clarté calme du firmament,

J’en ai vu, qui rongés d’un bizarre tourment,

 

Dans l’horreur de la fange et du vomissement,

Et gorgés jusqu’aux dents de genièvre et de bières,

Aboyaient à la Lune, assis sur leurs derrières.

 

 

 

 

VII

ÉPIGRAPHE

POUR

L’ATELIER DE M. ROPS

FABRICANT DE CERCUEILS À BRUXELLES

 

Je rêvais, contemplant ces bières

De palissandre ou d’acajou,

Qu’un habile ébéniste orne de cent manières :

« Quel écrin ! et pour quel bijou !

 

Les morts, ici, sont sans vergognes !

Un jour, des cadavres flamands

Souilleront ces cercueils charmants.

Faire de tels étuis pour de telles charognes ! »

 

 

 

 

VIII

LA NYMPHE DE LA SENNE

 

« Je voudrais bien — me dit un ami singulier,

Dont souvent la pensée alterne avec la mienne, —

          Voir la Naïade de la Senne ;

Elle doit ressembler à quelque charbonnier

          Dont la face est toute souillée. »

          — « Mon ami, vous êtes bien bon.

          Non, non ! Ce n’est pas de charbon

          Que cette nymphe est barbouillée ! »

 

 

 

 

IX

OPINION DE M. HETZEL SUR LE FARO4

 

« Buvez-vous du faro ? » — dis-je à monsieur Hetzel ;

Je vis un peu d’horreur sur sa mine barbue,

— « Non, jamais ! le faro (je dis cela sans fiel !)

             C’est de la bière deux fois bue. »

 

Hetzel parlait ainsi, dans un Café flamand,

Par prudence sans doute, énigmatiquement ;

Je compris que c’était une manière fine

De me dire : « Faro, synonyme d’urine ! »

 

             « Observez bien que le faro

             Se fait avec de l’eau de Senne »

— « Je comprends d’où lui vient sa saveur citoyenne.

Après tout, c’est selon ce qu’on entend par eau ! »

 

 

 

 

X

UN NOM DE BON AUGURE

 

Sur la porte je lus : « Lise Van Swieten ».

(C’était dans un quartier qui n’est pas un Éden)

— Heureux l’époux, heureux l’amant qui la possède,

Cette Ève qui contient en elle son remède !

         Cet homme enviable a trouvé,

         Ce que nul n’a jamais rêvé,

Depuis le pôle nord jusqu’au pôle antarctique :

         Une épouse prophylactique !

 

 

 

 

XI

LE RÊVE BELGE

 

 

La Belgique se croit toute pleine d’appas ;

Elle dort. Voyageur, ne la réveillez pas.

 

 

 

 

XII

L’INVIOLABILITÉ DE LA BELGIQUE

 

« Qu’on ne me touche pas ! Je suis inviolable ! »

Dit la Belgique. — C’est, hélas ! incontestable.

Y toucher ? Ce serait, en effet, hasardeux,

         Puisqu’elle est un bâton merdeux.

 

 

 

 

XIII

ÉPITAPHE POUR LÉOPOLD Ier

 

Ci-gît un roi constitutionnel,

(Ce qui veut dire : Automate en hôtel

                  Garni)

Qui se croyait sempiternel

Heureusement, c’est bien fini !

 

 

 

 

XIV

ÉPITAPHE POUR LA BELGIQUE

 

On me demande une épitaphe

Pour la Belgique morte. En vain

Je creuse, et je rue et je piaffe ;

Je ne trouve qu’un mot : « Enfin ! »

 

 

 

 

XV

L’ESPRIT CONFORME

 

I

Cet imbécile de Tournai

Me dit : « J’ai l’esprit mieux tourné

Que vous, Monsieur. Ma jouissance

Dérive de l’obéissance ;

J’ai mis toute ma volupté

Dans l’esprit de Conformité ;

Mon cœur craint toute façon neuve

En fait de plaisir ou d’ennui,

Et veut que le bonheur d’autrui

Toujours au sien serve de preuve. »

 

Ce que dit l’homme de Tournai,

(Dont vous devinez bien, je pense,

Que j’ai retouché l’éloquence)

N’était pas si bien tourné.

 

 

II

Les Belges poussent, ma parole !

L’imitation à l’excès,

Et s’ils attrapent la vérole,

C’est pour ressembler aux Français.

 

 

 

 

XVI

LES PANÉGYRIQUES DU ROI

 

Tout le monde, ici, parle un français ridicule :

On proclame immortel ce vieux principicule.

            Je veux bien qu’immortalité

                        Soit le synonyme

                        De longévité,

            La différence est si minime !

 

Bruxelles, ces jours-ci, déclarait (c’est grotesque !)

Léopold immortel. — Au fait, il le fut presque.

 

 

 

 

 

XVII

LE MOT DE CUVIER

 

« En quel genre, en quel coin de l’animalité

Classerons-nous le Belge ? » Une Société

Scientifique avait posé ce dur problème.

Alors le grand Cuvier se leva, tremblant, blême,

Et pour toutes raisons criant : « Je jette aux chiens

Ma langue ! Car, messieurs les Académiciens,

L’espace est un peu grand depuis les singes jusques

                  Jusques aux mollusques ! »

 

 

 

 

XVIII

AU CONCERT, À BRUXELLES

 

On venait de jouer de ces airs ravissants

Qui font rêver l’esprit et transportent les sens ;

Mais un peu lâchement, hélas ! à la flamande.

« Tiens ! l’on n’applaudit pas ici ? » fis-je. — Un voisin,

Amoureux comme moi de musique allemande,

Me dit : « Vous êtes neuf dans ce pays malsain,

Monsieur ? Sans ça, vous sauriez qu’en musique,

Comme en peinture et comme en politique,

Le Belge croit qu’on le veut attraper,

— Et puis qu’il craint surtout de se tromper. »

 

 

 

 

XIX

UNE BÉOTIE BELGE

 

            La Belgique a sa Béotie !

            C’est une légende, une scie,

            Un proverbe ! — Un comparatif

            Dans un état superlatif !

Bruxelles, ô mon Dieu ! méprise Poperinghe !

Un vendeur de trois-six blaguant un mannezingue !

Un clysoir, ô terreur ! raillant une seringue !

Bruxelles n’a pas droit de railler Poperinghe !

            Comprend-on le comparatif

            (C’est une épouvantable scie !)

            À côté du superlatif ?

            La Belgique a sa Béotie !

 

 

 

 

XX

LA CIVILISATION BELGE

 

Le Belge est très civilisé ;

Il est voleur, il est rusé ;

Il est parfois syphilisé ;

Il est donc très civilisé.

Il ne déchire pas sa proie

Avec ses ongles ; met sa joie

À montrer qu’il sait employer

À table fourchette et cuiller ;

Il néglige de s’essuyer,

Mais porte paletots, culottes,

Chapeau, chemise même et bottes ;

Fait de dégoûtantes ribottes ;

Dégueule aussi bien que l’Anglais ;

Met sur le trottoir des engrais ;

Rit du Ciel et croit au progrès

Tout comme un journaliste d’Outre-

Quiévrain5 ; — de plus, il peut foutre

Debout comme un singe avisé.

 

Il est donc très civilisé.

 

 

 

 

XXI

LA MORT DE LÉOPOLD Ier

 

I

Le grand juge de paix d’Europe6

A donc dévissé son billard !

(Je vous expliquerai ce trope).

Ce roi n’était pas un fuyard

Comme notre Louis-Philippe.

Il pensait, l’obstiné vieillard,

Qu’il n’était jamais assez tard

Pour casser son ignoble pipe7.

 

 

II

Léopold voulait sur la Mort

Gagner sa première victoire

Il n’a pas été le plus fort ;

 

Mais dans l’impartiale histoire,

Sa résistance méritoire

Lui vaudra ce nom fulgurant :

« Le cadavre récalcitrant. »

 

 

 

NOTES


 

1 Ce recueil est composé de 23 pièces autographes (les 21 du sommaire plus deux sachant qu’il y a deux parties pour L’Esprit conforme et La Mort de Léopold 1er), qui ont été réunis par M. Poulet-Malassis. Ce sont principalement des épigrammes contre la Belgique, qui traduisent l’échec de son exil en Belgique en 1864.

2 Venus Belga, qui signifie Vénus Belge, a été publié en 1866 dans une revue belge : Nouveau Parnasse Satyrique du XIXe siècle.

3 Publié pour la première fois dans Charles Baudelaire de l’édition René Pincebourde.

4 Publié pour la première fois dans Charles Baudelaire de l’édition René Pincebourde, le dernier sonnet n’y figurait pas.

5 C. B. : Les gens d’outre-Quiévrain, c’est sous ce nom qu’en Belgique on désigne communément les Français.

6 C. B. : Surnom donné à Léopold par la niaiserie française. Rengaine.

7 C. B. : Autre figure empruntée à l’argot parisien.

 

CHARLES BAUDELAIRE

LE SALON DE 1845

 

ÉDITION ORIGINALE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1845

 

 

SOMMAIRE

LE SALON DE 1845

 

I

QUELQUES MOTS D’INTRODUCTION

II

TABLEAUX D’HISTOIRE

III

PORTRAITS

IV

TABLEAUX DE GENRE

V

PAYSAGES

VI

DESSINS & GRAVURES

VII

SCULPTURES

VIII

CONCLUSION

 

 

LE SALON DE 1845

 

I

QUELQUES MOTS D’INTRODUCTION

 

Nous pouvons dire au moins avec autant de justesse qu’un écrivain bien connu à propos de ses petits livres : ce que nous disons, les journaux n’oseraient l’imprimer. Nous serons donc bien cruels et bien insolents ? non pas, au contraire, impartiaux. Nous n’avons pas d’amis, c’est un grand point, et pas d’ennemis. — Depuis M. G. Planche, un paysan du Danube dont l’éloquence impérative et savante s’est tue au grand regret des sains esprits, la critique des journaux, tantôt niaise, tantôt furieuse, jamais indépendante, a, par ses mensonges et ses camaraderies effrontées, dégoûté le bourgeois de ces utiles guide-ânes qu’on nomme comptes rendus de Salons.

Et tout d’abord, à propos de cette impertinente appellation, le bourgeois, nous déclarons que nous ne partageons nullement les préjugés de nos grands confrères artistiques qui se sont évertués depuis plusieurs années à jeter l’anathème sur cet être inoffensif qui ne demanderait pas mieux que d’aimer la bonne peinture, si ces messieurs savaient la lui faire comprendre, et si les artistes la lui montraient plus souvent.

Ce mot, qui sent l’argot d’atelier d’une lieue, devrait être supprimé du dictionnaire de la critique.

Il n’y a plus de bourgeois, depuis que le bourgeois — ce qui prouve sa bonne volonté à devenir artistique, à l’égard des feuilletonistes — se sert lui-même de cette injure.

En second lieu le bourgeois — puisque bourgeois il y a — est fort respectable ; car il faut plaire à ceux aux frais de qui l’on veut vivre.

Et enfin, il y a tant de bourgeois parmi les artistes, qu’il vaut mieux, en somme, supprimer un mot qui ne caractérise aucun vice particulier de caste, puisqu’il peut s’appliquer également aux uns, qui ne demandent pas mieux que de ne plus le mériter, et aux autres, qui ne se sont jamais doutés qu’ils en étaient dignes.

C’est avec le même mépris de toute opposition et de toutes criailleries systématiques, opposition et criailleries devenues banales et communes, c’est avec le même esprit d’ordre, le même amour du bon sens, que nous repoussons loin de cette petite brochure toute discussion, et sur les jurys en général, et sur le jury de peinture en particulier, et sur la réforme du jury devenue, dit-on, nécessaire, et sur le mode et la fréquence des expositions, etc. D’abord il faut un jury, ceci est clair — et quant au retour annuel des expositions, que nous devons à l’esprit éclairé et libéralement paternel d’un roi à qui le public et les artistes doivent la jouissance de six musées (la Galerie des Dessins, le supplément de la Galerie Française, le Musée Espagnol, le Musée Standish, le Musée de Versailles, le Musée de Marine), un esprit juste verra toujours qu’un grand artiste n’y peut que gagner, vu sa fécondité naturelle, et qu’un médiocre n’y peut trouver que le châtiment mérité.

Nous parlerons de tout ce qui attire les yeux de la foule et des artistes ; — la conscience de notre métier nous y oblige. — Tout ce qui plaît a une raison de plaire, et mépriser les attroupements de ceux qui s’égarent n’est pas le moyen de les ramener où ils devraient être.

Notre méthode de discours consistera simplement à diviser notre travail en tableaux d’histoire et portraits — tableaux de genre et paysages — sculpture — gravure et dessins, et à ranger les artistes suivant l’ordre et le grade que leur a assignés l’estime publique.

 

8 mai 1845

 

 

 

 

II

TABLEAUX D’HISTOIRE

 

DELACROIX

M. Delacroix est décidément le peintre le plus original des temps anciens et des temps modernes. Cela est ainsi, qu’y faire ? Aucun des amis de M. Delacroix, et des plus enthousiastes, n’a osé le dire simplement, crûment, impudemment, comme nous. Grâce à la justice tardive des heures qui amortissent les rancunes, les étonnements et les mauvais vouloirs, et emportent lentement chaque obstacle dans la tombe, nous ne sommes plus au temps où le nom de M. Delacroix était un motif à signe de croix pour les arriéristes, et un symbole de ralliement pour toutes les oppositions, intelligentes ou non ; ces beaux temps sont passés. M. Delacroix restera toujours un peu contesté, juste autant qu’il faut pour ajouter quelques éclairs à son auréole. Et tant mieux ! Il a le droit d’être toujours jeune, car il ne nous a pas trompés, lui, il ne nous a pas menti comme quelques idoles ingrates que nous avons portées dans nos panthéons. M. Delacroix n’est pas encore de l’Académie, mais il en fait partie moralement ; dès longtemps il a tout dit, dit tout ce qu’il faut pour être le premier — c’est convenu ; — il ne lui reste plus — prodigieux tour de force d’un génie sans cesse en quête du neuf — qu’à progresser dans la voie du bien — où il a toujours marché.

M. Delacroix a envoyé cette année quatre tableaux :

 

I.