— La composition est excellente ; — elle a quelque chose d’inattendu parce qu’elle est vraie et naturelle.

 

P.-S. On dit qu’il y a des éloges qui compromettent, et que mieux vaut un sage ennemi..., etc. Nous ne croyons pas, nous, qu’on puisse compromettre le génie en l’expliquant.

 

 

HORACE VERNET

Cette peinture africaine est plus froide qu’une belle journée d’hiver. — Tout y est d’une blancheur et d’une clarté désespérantes. L’unité, nulle ; mais une foule de petites anecdotes intéressantes — un vaste panorama de cabaret ; — en général, ces sortes de décorations sont divisées en manière de compartiments ou d’actes, par un arbre, une grande montagne, une caverne, etc. M. Horace Vernet a suivi la même méthode ; grâce à cette méthode de feuilletoniste, la mémoire du spectateur retrouve ses jalons, à savoir : un grand chameau, des biches, une tente, etc. — vraiment c’est une douleur que de voir un homme d’esprit patauger dans l’horrible. — M. Horace Vernet n’a donc jamais vu les Rubens, les Véronèse, les Tintoret, les Jouvenet, morbleu !...

 

WILLIAM HAUSSOULLIER

Que M. William Haussoullier ne soit point surpris, d’abord, de l’éloge violent que nous allons faire de son tableau, car ce n’est qu’après l’avoir consciencieusement et minutieusement analysé que nous en avons pris la résolution ; en second lieu, de l’accueil brutal et malhonnête que lui fait un public français, et des éclats de rire qui passent devant lui. Nous avons vu plus d’un critique, important dans la presse, lui jeter en passant son petit mot pour rire — que l’auteur n’y prenne pas garde. — Il est beau d’avoir un succès à la Saint-Symphorien.

Il y a deux manières de devenir célèbre : par agrégation de succès annuels, et par coup de tonnerre. Certes le dernier moyen est le plus original. Que l’auteur songe aux clameurs qui accueillirent le Dante et Virgile, et qu’il persévère dans sa propre voie ; bien des railleries malheureuses tomberont encore sur cette œuvre, mais elle restera dans la mémoire de quiconque a de l’œil et du sentiment ; puisse son succès aller toujours croissant, car il doit y avoir succès.

Après les tableaux merveilleux de M. Delacroix, celui-ci est véritablement le morceau capital de l’Exposition ; disons mieux, il est, dans un certain sens toutefois, le tableau unique du Salon de 1845 ; car M. Delacroix est depuis longtemps un génie illustre, une gloire acceptée et accordée ; il a donné cette année quatre tableaux ; M. William Haussoullier hier était inconnu, et il n’en a envoyé qu’un.

Nous ne pouvons nous refuser le plaisir d’en donner d’abord une description, tant cela nous paraît gai et délicieux à faire. — C’est la Fontaine de Jouvence ; — sur le premier plan trois groupes ; — à gauche, deux jeunes gens, ou plutôt deux rajeunis, les yeux dans les yeux, causent de fort près, et ont l’air de faire l’amour allemand. — Au milieu, une femme vue de dos, à moitié nue, bien blanche, avec des cheveux bruns crespelés, jase aussi en souriant avec son partenaire ; elle a l’air plus sensuel, et tient encore un miroir où elle vient de se regarder ; — enfin, dans le coin à droite, un homme vigoureux et élégant — une tête ravissante, le front un peu bas, les lèvres un peu fortes — pose en souriant son verre sur le gazon, pendant que sa compagne verse quelque élixir merveilleux dans le verre d’un long et mince jeune homme debout devant elle.

Derrière eux, sur le second plan, un autre groupe étendu tout de son long sur l’herbe : — ils s’embrassent. — Sur le milieu du second, une femme nue et debout, tord ses cheveux d’où dégouttent les derniers pleurs de l’eau salutaire et fécondante ; une autre, nue à moitié couchée, semble comme une chrysalide, encore enveloppée dans la dernière vapeur de sa métamorphose. — Ces deux femmes, d’une forme délicate, sont vaporeusement, outrageusement blanches ; elles commencent pour ainsi dire à reparaître. — Celle qui est debout a l’avantage de séparer et de diviser symétriquement le tableau. Cette statue, presque vivante, est d’un excellent effet, et sert, par son contraste, les tons violents du premier plan, qui en acquièrent encore plus de vigueur. La fontaine, que quelques critiques trouveront sans doute un peu Séraphin, cette fontaine fabuleuse nous plaît ; elle se partage en deux nappes, et se découpe, se fend en franges vacillantes et minces comme l’air. — Dans un sentier tortueux qui conduit l’œil jusqu’au fond du tableau, arrivent, courbés et barbus, d’heureux sexagénaires. — Le fond de droite est occupé par des bosquets où se font des ballets et des réjouissances.

Le sentiment de ce tableau est exquis ; dans cette composition l’on aime et l’on boit, — aspect voluptueux — mais l’on boit et l’on aime d’une manière très sérieuse, presque mélancolique. Ce ne sont pas des jeunesses fougueuses et remuantes, mais de secondes jeunesses qui connaissent le prix de la vie et qui en jouissent avec tranquillité.

Cette peinture a, selon nous, une qualité très importante, dans un musée surtout — elle est très voyante. — Il n’y a pas moyen de ne pas la voir. La couleur est d’une crudité terrible, impitoyable, téméraire même, si l’auteur était un homme moins fort ; mais...