elle est distinguée, mérite si couru par MM. de l’école d’Ingres. — Il y a des alliances de tons
heureuses ; il se peut que l’auteur devienne plus tard un franc coloriste. — Autre qualité énorme et qui fait les hommes, les vrais hommes, cette peinture a la foi — elle a la foi de sa beauté, — c’est de la peinture absolue, convaincue, qui crie : je veux, je veux être belle, et belle comme je l’entends, et je sais que je ne manquerai pas de gens à qui plaire.
Le dessin, on le devine, est aussi d’une grande volonté et d’une grande finesse ; les têtes ont un joli caractère. — Les attitudes sont toutes bien trouvées. — L’élégance et la distinction sont partout le signe particulier de ce tableau.
Cette œuvre aura-t-elle un succès prompt ? Nous l’ignorons. — Un public a toujours, il est vrai, une conscience et une bonne volonté qui le précipitent vers le vrai ; mais il faut le mettre sur une pente et lui imprimer l’élan, et notre plume est encore plus ignorée que le talent de M. Haussoullier.
Si l’on pouvait, à différentes époques et à diverses reprises, faire une exhibition de la même oeuvre, nous pourrions garantir la justice du public envers cet artiste.
Du reste, sa peinture est assez osée pour bien porter les affronts, et elle promet un homme qui sait assumer la responsabilité de ses oeuvres ; il n’a donc qu’à faire un nouveau tableau.
Oserons-nous, après avoir si franchement déployé nos sympathies (mais notre vilain devoir nous oblige à penser à tout), oserons-nous dire que le nom de Jean Bellin et de quelques Vénitiens des premiers temps nous a traversé la mémoire, après notre douce contemplation ? M. Haussoullier serait-il de ces hommes qui en savent trop long sur leur art ? C’est là un fléau bien dangereux, et qui comprime dans leur naïveté bien d’excellents mouvements. Qu’il se défie de son érudition, qu’il se défie même de son goût — mais c’est là un illustre défaut, — et ce tableau contient assez d’originalité pour promettre un heureux avenir.
DECAMPS
Approchons vite — car les Decamps allument la curiosité d’avance — on se promet toujours d’être surpris — on s’attend à du nouveau — M. Decamps nous a ménagé cette année une surprise qui dépasse toutes celles qu’il a travaillées si longtemps avec tant d’amour, voir les Crochets et les Cimbres ; M. Decamps a fait du Raphaël et du Poussin. — Eh ! mon Dieu ! — oui.
Hâtons-nous de dire, pour corriger ce que cette phrase a d’exagéré, que jamais imitation ne fut mieux dissimulée ni plus savante — il est bien permis, il est louable d’imiter ainsi.
Franchement — malgré tout le plaisir qu’on a à lire dans les oeuvres d’un artiste les diverses transformations de son art et les préoccupations successives de son esprit, nous regrettons un peu l’ancien Decamps.
Il a, avec un esprit de choix qui lui est particulier, entre tous les sujets bibliques, mis la main sur celui qui allait le mieux à la nature de son talent ; c’est l’histoire étrange, baroque, épique, fantastique, mythologique de Samson, l’homme aux travaux impossibles, qui dérangeait les maisons d’un coup d’épaule — de cet antique cousin d’Hercule et du baron de Munchhausen. — Le premier de ces dessins — l’apparition de l’ange dans un grand paysage — a le tort de rappeler des choses que l’on connaît trop — ce ciel cru, ces quartiers de roches, ces horizons graniteux sont sus dès longtemps par toute la jeune école — et quoiqu’il soit vrai de dire que c’est M. Decamps qui les lui a enseignés, nous souffrons devant un Decamps de penser à M. Guignet.
Plusieurs de ces compositions ont, comme nous l’avons dit, une tournure très italienne — et ce mélange de l’esprit des vieilles et grandes écoles avec l’esprit de M. Decamps, intelligence très flamande à certains égards, a produit un résultat des plus curieux. — Par exemple, on trouvera à côté de figures qui affectent, heureusement du reste, une allure de grands tableaux, une idée de fenêtre ouverte par où le soleil vient éclairer le parquet de manière à réjouir le Flamand le plus étudieur. — Dans le dessin qui représente l’ébranlement du Temple, dessin composé comme un grand et magnifique tableau, — gestes, attitudes d’histoire — on reconnaît le génie de Decamps tout pur dans cette ombre volante de l’homme qui enjambe plusieurs marches, et qui reste éternellement suspendu en l’air. — Combien d’autres n’auraient pas songé à ce détail, ou du moins l’auraient rendu d’une autre manière ! mais M. Decamps aime prendre la nature sur le fait, par son côté fantastique et réel à la fois — dans son aspect le plus subit et le plus inattendu.
Le plus beau de tous est sans contredit le dernier — le Samson aux grosses épaules, le Samson invincible est condamné à tourner une meule — sa chevelure, ou plutôt sa crinière n’est plus — ses yeux sont crevés — le héros est courbé au labeur comme un animal de trait — la ruse et la trahison ont dompté cette force terrible qui aurait pu déranger les lois de la nature. — À la bonne heure — voilà du Decamps, du vrai et du meilleur — nous retrouvons donc enfin cette ironie, ce fantastique, j’allais presque dire ce comique que nous regrettions tant à l’aspect des premiers. — Samson tire la machine comme un cheval ; il marche pesamment et voûté avec une naïveté grossière — une naïveté de lion dépossédé ; la tristesse résignée et presque l’abrutissement du roi des forêts, à qui l’on ferait traîner une charrette de vidanges ou du mou pour les chats.
Un surveillant, un geôlier, sans doute, dans une attitude attentive et faisant silhouette sur un mur, dans l’ombre, au premier plan — le regarde faire. — Quoi de plus complet que ces deux figures et cette meule ? Quoi de plus intéressant ? Il n’était même pas besoin de mettre ces curieux derrière les barreaux d’une ouverture — la chose était déjà belle et assez belle.
M. Decamps a donc fait une magnifique illustration et de grandioses vignettes à ce poème étrange de Samson — et cette série de dessins où l’on pourrait peut-être blâmer quelques murs et quelques objets trop bien faits, et le mélange minutieux et rusé de la peinture et du crayon — est, à cause même des intentions nouvelles qui y brillent, une des plus belles surprises que nous ait faites cet artiste prodigieux, qui, sans doute, nous en prépare d’autres.
ROBERT FLEURY
M. Robert Fleury reste toujours semblable et égal à lui-même, c’est-à-dire un très bon et très curieux peintre. — Sans avoir précisément un mérite éclatant, et, pour ainsi dire, un genre de génie involontaire comme les premiers maîtres, il possède tout ce que donnent la volonté et le bon goût. La volonté fait une grande partie de sa réputation comme de celle de M. Delaroche. — Il faut que la volonté soit une faculté bien belle et toujours bien fructueuse, pour qu’elle suffise à donner un cachet, un style quelquefois violent à des œuvres méritoires, mais d’un ordre secondaire, comme celles de M. Robert Fleury. — C’est à cette volonté tenace, infatigable et toujours en haleine, que les tableaux de cet artiste doivent leur charme presque sanguinaire. — Le spectateur jouit de l’effort et l’œil boit la sueur. — C’est là surtout, répétons-le, le caractère principal et glorieux de cette peinture, qui, en somme, n’est ni du dessin, quoique M. Robert Fleury dessine très spirituellement, ni de la couleur, quoiqu’il colore vigoureusement ; cela n’est ni l’un ni l’autre, parce que cela n’est pas exclusif. — La couleur est chaude, mais la manière est pénible ; le dessin habile, mais non pas original.
Son Marino Faliero rappelle imprudemment un magnifique tableau qui fait partie de nos plus chers souvenirs. — Nous voulons parler du Marino Faliero de M. Delacroix. — La composition était analogue ; mais combien plus de liberté, de franchise et d’abondance !...
Dans l’Auto-da-fé, nous avons remarqué avec plaisir quelques souvenirs de Rubens, habilement transformés. — Les deux condamnés qui brûlent, et le vieillard qui s’avance les mains jointes. — C’est encore là, cette année, le tableau le plus original de M. Robert Fleury. — La composition en est excellente, toutes les intentions louables, presque tous les morceaux sont bien réussis. — Et c’est là surtout que brille cette faculté de volonté cruelle et patiente, dont nous parlions tout à l’heure.
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