Schopenhauer
Figures
du Savoir : une série de monographies consacrées à un auteur – savant,
philosophe, ancien, moderne – ayant contribué à la connaissance, ayant légué à
la postérité un outil intellectuel susceptible d’être repris par n’importe quel
sujet pensant.
Ni
biographie, ni commentaire, ni débat, ni reprise mais enseignement :
une exposition des contributions les plus importantes de l’auteur présenté,
conceptions, notions, arguments, thèses, qui en font une figure du savoir.
Essai pédagogique :
rendre accessible et vivante une pensée pour un lecteur non spécialiste
d’aujourd’hui. La contextualiser pour montrer comment elle intervient dans un
monde, comment sa façon de s’y poser et s’y distinguer entre en résonance avec
les situations et les horizons de notre monde. La ramener à des schèmes
extrêmement simples et immédiatement parlants pour l’expérience commune. La
reconnaître à l’œuvre dans d’autres lieux disciplinaires ou d’autres
époques culturelles.
En
bref, introduire tous les éléments d’information susceptibles de montrer l’actualité
de cette pensée, sans s’interdire d’indiquer les prolongements, critiques et
contre-propositions qu’elle peut appeler aujourd’hui.
FIGURES
DU SAVOIR
Collection fondée par Richard Zrehen,
dirigée par Corinne Enaudeau
CHRISTOPHE BOURIAU
SCHOPENHAUER
LES BELLES LETTRES
2013
À mon père Michel,
« Chez moi, les deux questions de
l’origine du mal et de l’origine du monde convergent vers une seule et même
réponse. »
Arthur Schopenhauer (M, 1418).
Je
tiens à remercier Sandrine Avril, Marie-José Pernin, Peter Welsen, Gérard
Pierron et Jean-Charles Banvoy pour leur relecture attentive de ce livre, ainsi
que Richard Zrehen, Corinne Enaudeau pour leurs conseils et leur accueil dans
la collection « Figures du savoir ». J’exprime également toute ma
gratitude à Daniel Schneider pour les échanges fructueux que j’ai eus avec lui.
Abréviations
DR :
Dialogue sur la religion, trad. Etienne Osier, suivi de la page.
EP :
Éthique et politique, trad. Auguste Dietrich, suivi de la page.
FM :
Le Fondement de la morale, trad. Auguste Burdeau, suivi de la page.
LA :
Essai sur le libre arbitre, trad. Salomon Reinach, suivi de la page.
M :
Le Monde comme volonté et comme représentation, trad. Auguste Burdeau,
suivi de la page.
N :
Der handschriftliche Nachlass, éd. Arthur Hübscher, suivi de la page.
PE :
Les Problèmes fondamentaux de l’éthique, trad. Christian Sommer, suivi
de la page.
PP :
Parerga und Paralipomena, trad. Jean-Pierre Jackson, suivi de la page.
QR :
De la quadruple racine du principe de raison suffisante, trad.
François-Xavier Chenet, suivi de la page.
VN :
De la volonté dans la nature, trad. Edouard Sans, suivi de la page.
SW : Sämtliche Werke, 5 vol.,
éd. Wolfgang Freiherr von Löhneysen, Frankfurt am Main, Suhrkamp Taschenbuch
Wissenschaft, 1986-1989. Lorsque nous citons le texte allemand,
nous faisons suivre l’abréviation SW du numéro de volume et de la page.
(Les
références complètes de ces ouvrages sont données en bibliographie.)
Repères chronologiques
1769 :
naissance de Napoléon Bonaparte.
1770 :
naissance de Hegel et de Hölderlin.
1772 :
naissance de Frédéric Schlegel.
1775 :
naissance de Schelling.
1788 :
naissance d’Arthur Schopenhauer à Dantzig (Gdansk) ; Kant, Critique de
la raison pratique.
1789 :
en mai, début de la Révolution française ; en juillet, prise de la
Bastille ; en août, abolition des privilèges et adoption de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen ; en décembre, création des
départements.
1790 :
fête de la Fédération et Constitution civile du clergé en France ; Kant, Critique
de la faculté de juger.
1791 :
Constitution française.
1792 :
Louis XVI déclare la guerre au « roi de Bohême et de Hongrie » ;
la Prusse entre en guerre aux côtés de l’Autriche, pénètre en France ;
victoire de Dumouriez contre les Prussiens à Valmy ; les armées
révolutionnaires entrent en Belgique et en Prusse.
1794 :
Fichte, Fondements de la doctrine de la science dans son ensemble.
1798 :
les frères Schlegel fondent la revue Athenäum.
1799 :
Herder publie Entendement et expérience : une métacritique de la
critique de la raison pure.
1800 :
Schelling publie Système de l’idéalisme transcendantal, Herder, Kalligone
(contre la critique du jugement de Kant).
1801 :
Hegel publie Différence entre les systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling.
1803 :
mort de Herder.
1803-1805 :
Schopenhauer voyage en Europe occidentale ; il en rapporte un Journal
de voyage qui témoigne de son pessimisme et d’une bonne connaissance du
français, de l’anglais et de l’espagnol (en 1861 il traduira Balthazar Gracian
en allemand).
1804 :
Napoléon empereur, naissance de Feuerbach, mort de Kant.
1805 :
décès du père ; Schopenhauer peut renoncer à la carrière commerciale
voulue par son père pour entreprendre des études secondaires au lycée de Gotha,
puis de Weimar ; mort de Schiller.
1806 :
naissance de Stirner.
1807 :
Hegel publie La Phénoménologie de l’esprit.
1808 :
Fichte, Discours à la nation allemande ; Goethe, Les Affinités
électives et la première partie de Faust.
1809-1813 :
Schopenhauer étudie à l’université de Göttingen puis de Berlin, où il suit les
cours de Fichte sur la folie.
1813 :
Schopenhauer soutient sa thèse de doctorat : De la quadruple racine du
principe de raison suffisante ; naissance de Kierkegaard.
1814 :
Schopenhauer se brouille avec sa mère, qui s’est installée à Weimar et qui y
tient salon ; c’est par elle qu’il a fait la connaissance de Goethe ;
mort de Fichte.
1815 :
défaite de Napoléon à Waterloo ; le congrès de Vienne réorganise l’Europe
sous le signe de la Sainte-Alliance.
1816 :
Schopenhauer publie son premier ouvrage, inspiré des positions de Goethe, Sur
la vue et les couleurs.
1818 :
Hegel entre à l’université de Berlin, où il enseignera jusqu’à sa mort ;
naissance de Marx.
1819 :
Le Monde comme volonté et comme représentation, première édition.
1820 :
Schopenhauer soutient sa thèse d’habilitation, Sur les quatre genres de
causes ; il est nommé professeur à l’université de Berlin ; c’est
un échec, très peu de personnes suivant ses cours, qu’il a placés aux mêmes
heures que ceux que donne Hegel.
1821 :
mort de Napoléon.
1825 :
nouvel échec à l’université de Berlin ; Schopenhauer renonce à
l’enseignement et vit de l’héritage paternel.
1829 :
mort de Frédéric Schlegel, écrivain et philosophe allemand qui fonda avec
Frédéric Schleiermacher le « cercle d’Iéna », foyer de la théorie
romantique en Allemagne.
1830 :
Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques
1831 :
mort de Hegel à la suite de l’épidémie de choléra qui ravage Berlin ;
Schopenhauer prend soin de déménager à Francfort, où il demeure jusqu’à sa
mort.
1834 :
August Wilhelm Schlegel publie De l’origine des Hindous, revue des langues
affiliées au sanscrit.
1836 :
Schopenhauer, De la volonté dans la nature.
1839 :
le mémoire de Schopenhauer Sur la liberté du vouloir humain est couronné
par la Société royale des sciences de Norvège.
1840 :
son mémoire Le Fondement de la morale n’est pas couronné par la Société
royale des sciences du Danemark, alors qu’il est le seul concurrent ; on
lui reproche surtout son irrévérence à l’égard de Kant.
1841 :
publication des deux mémoires de concours sous le titre : Les Deux
Problèmes fondamentaux de l’éthique ; Feuerbach, L’Essence du
christianisme.
1843 :
Kierkegaard, Crainte et tremblement ; mort de Hölderlin.
1844 :
deuxième édition du Monde, avec les « Suppléments » ;
Stirner, L’Unique et sa propriété ; Marx et Engels, La Sainte
Famille ; naissance de Nietzsche.
1845 :
mort d’August Wilhelm Schlegel.
1846 :
Comte, Discours sur l’esprit positif.
1848 :
Révolution en France et en Allemagne ; Schopenhauer, conservateur,
soutient la répression à Francfort, allant jusqu’à proposer son appartement aux
soldats pour faire feu sur les insurgés ; Marx et Engels, Manifeste du
parti communiste.
1851 :
Schopenhauer, Parerga et Paralipomena ; succès, et premiers
disciples.
1854 :
mort de Schelling.
1855 :
mort de Kierkegaard.
1856 :
naissance de Freud, mort de Stirner.
1859 :
Darwin, L’Origine des espèces.
1860 :
mort de Schopenhauer.
Note biographique
Arthur
Schopenhauer naît le 22 février 1788 à Dantzig. Son père est un commerçant
aisé ; sa mère (née Trosiener), férue de belles-lettres, fréquente les
salons littéraires. Maints biographes avancent que Schopenhauer a hérité de sa
mère ses hautes facultés intellectuelles et de son père un tempérament volontaire
et colérique. Schopenhauer lui-même formera l’hypothèse suivante :
« L’homme hérite de son père ses qualités morales, son caractère, ses
penchants, son cœur, et de sa mère au contraire son intelligence, avec le
degré, la nature, la direction qu’elle comporte » (M, 1269).
En
1793, la famille Schopenhauer déménage à Hambourg, où Arthur passera toute son
enfance. Après un séjour au Havre où il apprend le français, il veut entrer au
lycée. Son père, qui le destine à une carrière commerciale, s’y oppose, lui offrant
en contrepartie un voyage dans toute l’Europe. Arthur accepte. Un premier
voyage a lieu en 1799. Un second, d’une durée de deux ans, débute en 1803. La
visite du bagne de Toulon, notamment, suscite la compassion du jeune Arthur.
Les traces sanglantes de la « terreur blanche » à Lyon éveillent sa
hantise de toute révolution. La « terreur blanche » désigne la
répression exercée généralement par les royalistes, dont la couleur
emblématique est le blanc, contre leurs opposants : révolutionnaires,
bonapartistes et libéraux. Les premières « terreurs blanches » ont
lieu dans la vallée du Rhône en 1795 puis en 1799, année où Schopenhauer visite
Lyon.
Après
le suicide de son père le 20 avril 1805, Arthur prend une autre orientation,
désormais délié de la promesse d’embrasser une carrière commerciale. Après des
études secondaires au lycée de Gotha puis de Weimar, il s’inscrit en 1809 à
l’université de Göttingen, où il commence par étudier la médecine avant de se
tourner vers la philosophie.
Notre
philosophe en herbe s’initie à Kant en suivant l’enseignement de Gottlob Ernst
Schulze (1761-1833), célèbre auteur d’Énésidème (1792), ouvrage dans
lequel il s’attache à défendre Hume contre Kant, en s’opposant notamment à la
fameuse « chose en soi » kantienne. Kant suppose en effet des
« choses en soi » pouvant affecter notre sensibilité, et il les
définit comme les causes inconnues de ce qui nous apparaît (les phénomènes).
Cela revient à dire que nous ne connaissons des choses que les effets qu’elles
produisent sur notre âme par le biais de nos organes sensoriels, sans les
connaître telles qu’elles sont en elles-mêmes. Selon Schulze, Kant se contredit
en posant des choses en soi ainsi définies, car il fait un usage illégitime,
transphénoménal, de la catégorie de causalité.
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